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Je suis désolée.

C'est pas grave, vous n'y êtes

pour rien.

Oui.

Oui.

Oui, non, non, mais j'aurais

terminé en fin d'après-midi, même avant.

D'accord.

Je vous la porte vers 17h30.

Oui.

D'accord.

Au revoir, à tout à l'heure.

C'est l'au revoir.

J'ai cassé le cadeau de papa.

Il est complètement foutu.

Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je marchais dans la rue, on m'a

bousculé et j'ai...

Et l'anniversaire, c'est demain.

Il va falloir que tu ailles tout

de suite leur acheter s'il en reste.

Ah non !

Ça m'arrange pas du tout.

Je dois passer à Montrouge

chercher ma guitare et j'aurai

jamais le temps de faire un aller-retour.

Tu peux pas y aller, toi ?

Non, moi j'ai mon article à finir.

Ça m'arrange pas non plus.

C'est si pressé.

Il faut absolument que je le rende

avant 6h, il est déjà plus de 3h.

Pas possible ?

Pas possible pour moi non plus.

Non mais c'est pourtant ta faute.

On est samedi, je comprends pas du

tout pourquoi tu dois le remettre

ce soir.

Parce que le rédacteur en chef

veut l'emporter pour le lire à la campagne.

Il quitte les bureaux à 6h et part

demain matin très tôt.

Comme il l'aurait écrit toujours

plus ou moins, donne-lui lundi.

Comme ça pour une fois, il sera

obligé de le passer tel quel.

Il n'y aura pas du tout.

Alors, mets-le dans sa boîte au

lait, dans la nuit, avant qu'il parte.

Ah oui, bonne idée.

En plus, je pourrai en profiter

pour remanier un peu mon papier.

D'accord.

Moi qui voulais me coucher tôt ce

soir, j'ai passé presque toute la

nuit à écrire, hier et avant-hier.

Tu fais le contraire des autres.

Tu veilles la semaine et tu dors

le samedi.

Tu es trop perfectionniste.

Mais sors un peu, amuse-toi.

À quoi ça te sert d'écrire et de

réécrire quand tu sais que tu

seras coupé ?

Pas cette fois, c'est trop

documenté, trop serré.

Ouais, espérons-le.

Mais enfin, à mon avis, laisse

l'article comme il est, et sors

avec des amis, rencontre des gens,

à cause des types, je sais pas, moi.

Non mais toi aussi, tu vas

travailler ce soir ?

On va me faire de la musique avec

des copains, j'appelle pas ça travailler.

Puis je t'ai pas dit.

Après, la répète, j'ai rendez-vous

avec une fille sublime.

Ah oui, alors toi tu dragues et

moi je fais des heures supplémentaires.

Non mais c'est qui cette fille ?

Où est-ce que tu l'as trouvé ?

Elle passait dans la rue au moment

où j'ai cassé le cadeau, on s'est

regardé, elle s'est arrêtée et je

lui ai donné rendez-vous au bar le

rallye à 2 heures du matin.

Elle a accepté ?

Ben oui.

Je ne pourrais pas accepter un

rendez-vous comme ça dans la rue

avec n'importe qui.

Je ne suis pas n'importe qui.

Et puis je t'ai dit, elle est sublime.

Et Sophie ?

Sophie...

Sophie, depuis quelque temps, elle

me tape un peu sur les nerfs.

Vraiment, ça m'étonne beaucoup d'elle.

Allez, à demain.

Je compte sur toi.

Oui.

Allô ?

Sophie ?

Oui, non, j'étais pas là cet après-midi.

D'ailleurs, il faut que je repars

tout de suite pour ma répétition.

Mon anniversaire.

Ah, notre anniversaire ?

C'était aujourd'hui.

J'avais pas pensé.

Bon anniversaire aussi, alors.

Ah non, c'est pas possible.

Tu sais bien que je répète tard,

cette nuit.

Passez chez moi.

Je sais pas vraiment à quelle

heure je rentre, je te dis.

Un autre jour, on aura tout le temps.

Non, si tu m'aimes vraiment, ne

viens pas, j'aime pas les faits te rater.

Bonsoir.

Bonsoir.

On s'est jamais encore parlé, je crois.

Oui.

Je vous vois rarement ici.

Vous êtes pigiste ?

Oui.

Moi aussi.

J'avais l'impression que vous

étiez presque tout le temps au journal.

Oui.

J'aime y travailler.

Surtout le soir.

Les bureaux vides m'inspirent et

j'ai l'impression d'être utile.

Moi ça me glace.

Je n'arrive à écrire que chez moi.

Je suis passée ici uniquement pour l'imprimante.

Vous auriez pu attendre lundi

matin ?

Vous auriez été absolument à le lire.

Mais il est parti depuis belle Lurette.

Je sais.

Je dois le déposer vers deux

heures et quart dans sa botolette.

De sorte qu'il aura tout le

dimanche pour le récrire à son aise.

Vous connaissez ça, vous aussi ?

Si ça peut vous consoler, oui.

Cette fois, je suis prête à parier

qu'il ne pourra pas y changer grand-chose.

Deux heures moins dix, il faut que

j'y aille.

Vous avez le temps de reprendre un café.

Il me faut moins qu'un quart

d'heure pour aller là-bas.

Oui, mais vous avez devant vous

une heure dix.

Vous oubliez que c'est le

changement d'heure aujourd'hui ?

Tu es folle ?

Qu'est-ce que tu fais là ?

Tu es là depuis longtemps ?

Dix minutes, à peine.

Tu vois, tu rentres pas si tard.

Il est pas deux heures.

Je suis fatigué.

Je vais me coucher tout de suite.

Moi aussi.

Je n'arriverai pas à dormir toute seule.

Quand tu penses qu'il y a un an,

Nous étions presque à cette

heure-là assis sur un banc dans ce

petit parc.

Tu te souviens mon amour, c'était

une vraie nuit d'été.

Je me demande si tu ne confonds pas.

J'en ai un souvenir plutôt

frisquet et puis...

Nous n'étions pas encore très amoureux.

Si.

Moi je l'étais déjà tout à fait.

Écoute Sophie, ils sont raisonnables.

D'accord.

On boit une coupe de champagne, et

puis tu rentreras chez toi.

Je suis à la fois fatigué, énervé

ce soir.

Le lit sera trop petit pour nous deux.

Si tu restes ici, je vais te

dormir sur le canapé.

Oh non, c'est moi.

Ça me dérange pas à partir de

moment où je sais que tu n'es pas

loin de moi.

Je vois pourquoi je n'arrive pas à

écrire dans un lieu public.

C'est parce que j'aime trop

regarder les gens.

La plupart ne sont pas intéressants.

Non.

Ils ont chacun leur intérêt.

Et j'aime imaginer leur vie, en

partie par leur attitude, leur vêtement.

J'ai l'impression d'entrer dans

leur vie privée.

C'est indiscret et en même temps,

tous ces inconnus deviennent un

peu des amis.

Et moi ?

Comment vous imaginez ma vie ?

C'est trop tôt pour le dire.

En tout cas pas comme celle des

autres, peut-être pas en apparence

mais en profondeur si.

Je risque de vous décevoir.

Vous faites une trop belle image

de moi.

Oui mais c'est l'image que vous me

donnez et c'est peut-être pour ça

que je suis là en ce moment avec vous.

Mais qu'est-ce qu'il y a ?

Toujours aussi grognant.

Qu'est-ce que tu as ?

J'ai fait quelque chose qui te

déplaît ?

Non, justement.

Tout est là, à la même place.

Mais je suis en retard à nos rendez-vous.

Je ne pense plus à toi dans la journée.

Tu sais, j'aimais te faire des

baisers dans le cou, le jour, la nuit.

Et maintenant, je me demande

pourquoi je n'en ai plus envie.

Un peu comme si la petite flamme

indispensable avait disparu.

Moi non plus, je ne brûle pas 24

heures sur le lit.

Il n'y a plus d'amour, il n'y a

que deux êtres qui vivent ensemble.

C'est ça pour moi, le véritable amour.

Celui qui dépasse la passion, qui

va plus loin que le début.

J'ai essayé de vivre notre

histoire de manière tranquille.

Je ne peux pas.

Tout ce qui était magique, même

dans nos gestes quotidiens, les

petits mots, les attentions, les caresses...

devient pesant, presque insupportable.

Aujourd'hui, je dois me forcer.

Et ça, je peux pas m'y résoudre.

C'est étrange.

Comment se fait-il qu'on ne soit

pas parlés plus tôt ?

Moi, je ne crois pas au hasard.

Je pourrais dire que j'ai eu une

journée compliquée et que si mon

frère n'avait pas fait des

siennes, je ne serais pas là.

Mais nous nous étions déjà croisés.

Et nous nous croiserons encore.

Et c'est moi qui ai décidé d'vous aborder.

Oui, je suis plutôt timide.

Moi aussi.

Sauf les jours exceptionnels.

Et celui-ci, il est ?

Plutôt.

Je vous raconterai.

Mais plus tard.

J'aime parfois transformer le quotidien.

Il y a des instants rares.

À saisir tout de suite.

Oui.

J'aime aussi.

Mais je n'en fais pas suffisamment l'effort.

Je pourrais vous aider, si vous voulez.

Je comprends pas comment on a pu

en arriver là.

J'ai l'impression d'entendre un étranger.

Quelqu'un qui me parle une langue

inconnue, qui me dit des mots qui

n'ont pas de sens.

Mais parle !

Explique-moi, dis-moi quelque

chose !

Je t'ai déjà expliqué, Sophie.

C'est l'essentiel qui n'est plus là.

Tu sais, un matin, je me suis

réveillé et j'étais amoureux de toi.

Et puis un autre matin, je me suis

réveillé et j'étais plus amoureux

de toi.

C'était plus là.

Bon, je sais, tu m'aimes plus

comme avant, tu me l'as dit.

Mais moi non plus, je t'aime pas

tout à fait comme avant.

Je t'aime d'une autre manière.

Et c'est mieux.

D'une certaine façon, je t'aime,

moi aussi.

Je ne veux pas que nous soyons ennemis.

Seulement ?

Moi aussi, Sophie, ça me fait mal.

Je n'ai pas rencontré beaucoup de

gens comme toi.

Je veux dire, avec qui j'avais une

telle complicité.

Je te trouve toujours aussi belle

et attirante.

Je sais que ça sera dur de le

ressentir avec quelqu'un d'autre.

Alors ?

C'est plus pareil, crois-moi.

J'y peux rien.

Ce qui avait de la saveur pour moi

n'en a plus.

Et je peux pas continuer à vivre

comme ça par habitude.

Une répétition de gestes et j'ai

oublié pourquoi je les faisais.

Mais c'est pas possible.

Tu peux pas oublier.

Y'a des choses qu'on peut pas, que

tu peux pas oublier.

Je suis sûre que tu m'aimes encore.

Dis-moi que tu m'aimes.

Au sens que tu donnes aux mots,

non, je t'aime plus.

Alors rien sert plus à rien.

Je crois que maintenant, c'est l'heure.

Je peux vous dire ?

Tout à l'heure, j'avais un peu le cafard.

J'avais plus envie de travailler,

ni de rentrer.

Puis, voilà que grâce à...

Grâce à l'heure d'hiver ?

Grâce à l'heure d'hiver et grâce à

vous, je garderai un souvenir...

Inoubliable.

De cette heure hors du temps.

Mais qui n'en fut pas moins très réel.

Faites attention à ne pas trop déchanter.

Je me méfie de la griserie des nuits.

Moi, je leur fais confiance.

J'ai rarement été aussi sûr de moi.

Et de moi ?

Aussi.

Au fond, pourquoi pas ?

Disons, je vous crois.

Je vois que je vous choque.

Je sais, j'en fais toujours trop.

Ou tantôt trop, tantôt pas assez.

Non.

Si ?

Non.

Si vous êtes sincère...

Je le suis.

Tout ceci ne pourrait être qu'un

jeu, mais il est bien tentant.

Prenez-le comme vous voulez.

Vous le saurez plus tard.

Quand ?

Vous êtes libre demain soir ?

Bien sûr.

Alors on dine ensemble.

On reparlera de tout ça.

Oui ?

Fini, fini ?

Mais tu n'avais pas rendez-vous

avec la fille de la rue ?

Tu n'y es pas allée ?

Mais non, on change d'heure cette

nuit, il est à peine deux heures

moins le quart.

Je le sais parce que je dois

déposer mon article sur mon

rédacteur, dans une demi-heure.

Oui ?

Ah, bonjour monsieur.

Non, non, je venais de me réveiller.

Comment, mais vous ne l'avez pas

trouvé ?

Mais je ne me suis pourtant pas

trompée de boîte aux lettres.

Il était deux heures et quart,

comme prévu.

De l'heure d'hiver, oui.

T'es pas encore prêt ?

Il est midi, papa nous attend.

Ouais, j'arrive.

J'arrive pour cinq minutes.

En fait, merci pour hier soir.

Merci, mais pourquoi ?

Sans toi, je ratais la fille.

Ça aurait été dommage, ça s'est

très bien passé.

On va se revoir ce soir.

Ben moi, ça s'est pas très bien passé.

Le rédacteur était déjà parti.

Il avait pas pensé au changement

d'heure, lui.

Finalement, il y a un moment, En

cause de moi, t'es avec des pépins.

Pas avec des pépins, non.

Enfin...

Quoi ?

C'est un peu compliqué, je te raconterai.

Et en plus, Poirier pourra pas

m'en vouloir.

C'est de sa faute.

Et comme ça, ton article, il le

passera peut-être telle qu'elle ?

Hein ?

Ah, mes enfants, vous voilà enfin.

Entrez.

Alors, ça va ?

Bon anniversaire !

C'est gentil.

Merci.

Merci.

Je vois que vous avez repensé à ce

petit magasin de maquette.

Ça m'envoi là.

J'étais plus rapide que vous.

Zut !

Peut-être qu'on peut la changer.

Non, c'est pas grave.

Gardez-la.

Vous essayez de la monter en

pensant à moi.

Moi, je veux bien.

On trouvera une autre surprise.

Il va nous falloir deux ans, nous.

Dites-donc, tous les deux, vous ne

l'avez pas l'air bien réveillé.

T'as l'air d'un idée faite.

T'as dû aller dans les barres.

Quant à toi, je suis sûr que tu as

passé ta nuit à écrire.

Même pas.

On s'est emmêlés avec les

changements d'heure.

En principe, je suis contre

l'heure d'été, mais là, en

l'occurrence, ça aurait dû vous

donner au moins une heure de

sommeil de plus.

Tu le contre-racontes ?

Je veux bien.

Allons-y.

Attendez-moi, je descends avec

vous, je vais chercher des cigarettes.

En somme, si je vous suis bien,

pour vous deux, ce changement

d'heure a été très bénéfique.

Oui, moi ça m'a permis de vous

verser un peu mes habitudes.

Et moi d'avoir le courage de

quitter Sophie.

Ah non, tu l'avais quittée avant

le changement d'heure, quand tu

m'as téléphoné.

Oui, mais je commençais à le regretter.

À la limite, si tu avais su que la

même heure existerait deux fois,

tu aurais Ce rêve impossible, ça

pouvait devenir réalité ?

C'est vrai dans ce genre de

situation, pour être tenté de pas choisir.

Ça serait plus confortable.

On a toujours peur de quitter ce

qu'on a.

Mais est-ce qu'il vaut mieux les

remords ou les regrets ?

Ah, c'est pas toujours rose la vie d'aventurier.

Surtout quand on a l'impression

que le plus beau est derrière soi.

Ah oui, mais rester avec quelqu'un

en se demandant toute sa vie si on

passe pas à côté de quelque chose

de mieux.

Votre mère avait une vision bien à

elle face à ce problème.

Elle pensait qu'il fallait jamais

s'embarasser de remords, de

regrets, mais toujours aller de

l'avant, sans s'arrêter, ni se retourner.

Il n'était plus question de choisir.

C'était le déroulement normal de

sa vie.

Pour elle, tout changement, tout

mouvement était préférable à l'immobilité.

C'est la théorie de la bicyclette.

Si elle avance pas, elle tombe.