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Tu veux vraiment que je me tire ?

Tu me détestes à ce point-là ?

Ne fais pas l'idiot.
Entre nous, c'est quasiment parfait.

Mais je ne veux pas
que tu dormes ici.

Pourquoi ?

Je ne veux pas me réveiller
à côté de toi.

Pourquoi ?

Ce serait comme si
on était des amoureux.

Et on ne l'est pas.

Je t'aime bien,
j'aime bien faire l'amour avec toi.

Tu aimes avec tout le monde.

Pas du tout.

J'ai quelqu'un,
mais il n'est jamais là.

Je peux me réveiller avec lui
le matin.

Avec personne d'autre.

- Mais baiser, tu peux.
- Ouais, j'aime.

Mais alors, tu me vires ?

- Je vais où ?
- Je ne sais pas, moi. Où tu veux.

Tu sais pourtant que je suis un SDF.
Sans feu, ni lieu...

Justement, t'as l'habitude.

Ça, c'est vraiment gentil.

Tu trouveras bien un endroit.

Et n'oublie pas
d'embarquer ta capote.

Tiens, un Kleenex.

Le sac poubelle
est derrière la porte.

On nage en plein romantisme.

Du coup, tu peux le descendre.

Ça m'évitera de le faire
tôt demain matin.

Badaboum.

Berk.

Sniff sniff.

Schlaps !

Schbing.

Bingo.

- Burp.
- T'es dég !

Schplouf.

Bouh !

Merde !

Pouf.

Plouf.

Plouf.

Salut !

Splotch.

Allez, on se dépêche.

Tout le monde est là ?

On va prendre la scène du salon.

Trissotin, Armande, Henriette,
Bélise et Philaminte,

en place, s'il vous plaît.

Les autres, silence, s'il vous plaît.

Merci.

Faites-la sortir,

quoi qu'on die de
votre riche appartement,

où cette ingrate insolemment

attaque votre belle vie.

Ah, tout doux !
Laissez-moi de grâce respirer.

Non, Marion, s'il te plaît.

Tu es en complet pléonasme
avec le texte.

Joue le rapport. Tu dis à Trissotin :
"Arrêtez, je n'en peux plus",

mais ne tombe pas en pâmoison.

- Plus concret.
- Oui, beaucoup plus.

On reprend directement à la réplique.

Ah, tout doux !
Laissez-moi de grâce respirer.

Donnez-nous, s'il vous plaît,
le loisir d'admirer.

On se sent, à ces vers,
jusqu'au fond de l'âme

couler je ne sais quoi
qui fait que l'on se pâme.

La dévastation du langage,

qui s'étend partout,
et avec rapidité,

ne tient pas seulement
à la responsabilité

d'ordre esthétique et moral

qu'on assume en chacun des usages
que l'on fait de la parole.

Elle provient d'une mise en danger

de l'essence de l'homme.

- Tu t'en vas ?
- Ouais.

Je n'ai pas envie d'écouter
monsieur Paul B.

Je me fiche de ses théories.

Je veux être comédienne,

pas sémiologue, sociologue,
politologue, idéologue

ou Dieu sait quoi "ologue".

Si ça vous amuse de décrypter
les signes du pauvre monde, restez.

- Tu vas te faire engueuler.
- Je m'en fous.

Ça t'amuse, toi, ces histoires ?

Pas vraiment.
J'y comprends pas grand-chose.

- Mais il est sympa.
- Ciao.

Et c'est peut-être pas plus mal de
sortir du théâtre de temps en temps.

Tout faux.

Il ne faut jamais en sortir.
Il faut vivre avec les textes,

respirer avec, tout le temps.

Comédien, c'est pas un métier.
C'est une vocation, un absolu.

Toi, t'as qu'une envie,
c'est de mourir sur scène un jour.

Sainte et martyre des planches.

T'es mal barrée.

Qu'est-ce qu'il fout ?

T'as remarqué ?

Margot non plus n'est pas là.
C'est curieux.

Ça n'a rien à voir,
qu'est-ce que tu racontes ?

Paul, ça se voit au premier coup
d'œil : c'est un homme à femmes.

C'est quelle heure ?

Alors, c'est quelle heure ?

10h15.

Il est en retard,
le donneur de leçons.

D'habitude, il est plutôt ponctuel,
mais ça peut arriver.

Désolé, je suis en retard.

Hé, Momo, tu ramènes Paul B.
dans ton sac ?

- Pourquoi, il n'est pas là ?
- Non, on l'attend.

Mais qu'est-ce que tu trimballes
tout le temps dans ce sac ?

Mon trésor. Ou ma maison.
Ça dépend des jours.

Vous avez remarqué ? Il y a
deux absents : Paul et aussi Margot.

J'ai toujours pensé que Margot
avait un faible pour Paul B.

Ils sont peut-être partis
en amoureux.

Arrête tes conneries.

L'air de rien,
il vous a toutes séduites.

Et c'est Margot qui a tiré
le bon numéro à la loterie.

Tu dis n'importe quoi.

Deux heures de congé,
messieurs-dames.

C'est presque la demie.
Il ne viendra plus.

Ça t'arrange, hein ?

Oh oui !

Moi, il me scie les pieds
avec ses histoires.

Il est probablement malade.
Il a appelé au secrétariat ?

Non, aucune nouvelle.

On a téléphoné chez lui,
pas de réponse.

C'est quand même étrange, non ?

Oui, c'est curieux.

Peut-être que
Margot pourra nous expliquer.

Encore ?
Ce que vous pouvez être cons.

Salut !

On se met là ?

Tu ne trouves pas qu'il était
bizarre, ces derniers temps ?

Non, j'ai rien remarqué.
Bizarre comment ?

Je sais pas.

Étranger, moins proche de nous.

Il a toujours été distant.

- On n'est pas de la même famille.
- Quelle famille ?

Ah ouais,
la grande famille des comédiens.

T'as l'air d'en savoir
plus que nous sur lui.

Tu l'as rencontré
en dehors des cours ?

Ça m'est arrivé.

Ça t'est arrivé ?

Ça veut dire quoi "ça m'est arrivé" ?
C'est quoi, ça ?

Quoi, "ça" ?

Ça, des leçons particulières
de sémiologie ?

- Ah, ça !
- Dis-moi tout ça.

J'ai rien à dire sur ça.

Donc tu me caches quelque chose.

Si tu l'as rencontré hors cours,
c'était pas pour décrypter

les signes du monde contemporain.

Non.

- De toute façon, c'est mon affaire.
- Tu aurais pu m'en parler.

Pas besoin de toujours
tout se raconter.

Il y a des choses
qu'on garde pour soi.

Je me doutais que Paul était
un séducteur sans en avoir l'air.

C'est Margot qui a pris la relève ?

Mais non, laisse Margot tranquille.

Tu as l'air d'avoir des regrets.

Des regrets ?

Vous, les militantes, ses groupies,
vous savez où il est.

On est passées chez lui,
ça ne répond pas.

Il n'y a plus de répondeur sur
son téléphone. On ne comprend rien.

Bonjour, madame. Ici la maison
Soleil, produits de beauté.

Vous avez reçu notre catalogue ?

Quelque chose vous intéresse ?

Vous n'avez pas
de problèmes de peau ?

Tout le monde en a !

Il veut qu'on lui foute la paix.

On est allées le voir
il y a quelques jours.

On s'est un peu engueulés.

Mais son absence
n'a rien à voir avec ça.

- Je n'en suis pas si sûre.
- Vous vous êtes engueulés ?

Bonjour, monsieur.
Est-ce que votre femme est là ?

C'est la maison Soleil,
produits de beauté.

Elle n'est pas là ?

Mais vous savez, nous avons aussi
des produits pour messieurs.

Les hommes ne doivent pas
négliger leurs problèmes de peau.

Pardon ?

Vous voulez savoir si moi,

j'ai la peau du cul trop grasse
ou trop sèche ?

Il a raccroché. Je n'ai pas eu
le temps d'aller vérifier.

Peau du cul ou pas,
c'est vrai qu'on s'est engueulés.

Mais à quel sujet ?

Il ne croit plus à l'action.

Vous, vous y croyez ?

On a envie de se battre. Pas toi ?

Si, ça dépend pour quoi.
Pas forcément dans la rue.

Ça t'avance à quoi,
d'aller te faire matraquer à Gênes ?

J'ai appris plein de choses.

Ça m'a fait du bien.

Lui, il avait déjà compris tout ça
il y a 30 ans. Il a décroché, normal.

Non, ce n'est pas normal.

Bonjour, madame.
Maison Soleil, produits de beauté.

Vous avez reçu notre catalogue ?

Ah, vous avez une peau de pêche ?

Je vous rappelle dans 50 ans ?

Mais vous avez quel âge ?

Ah, 20 ans.

Mais vous voyez, 50 ans, c'est long.
Ça nous mène vers 2050.

Ce sera difficile, parce que ce sera
l'année de la grande panique.

La grande panique ?
Vous voulez vraiment savoir ?

L'effet de serre, toutes les mafias,

la glace des pôles qui aura fondu.

On aura de l'eau aux genoux
et la cervelle en bouillie.

La panique.

Vous savez bien que notre mode
de vie est condamné, à terme.

Quand on en prendra conscience,
il sera trop tard.

Vous ne le saviez pas ?

Il sera trop tard,
et la panique se saisira du monde.

Je vous fais peur ?

Non, la peur, c'est pour 2030,

et ça n'a rien à voir
avec la panique.

La peur de 2030 ? Ce sera simplement
l'effondrement du capitalisme.

C'est pas grave.

La panique ?

C'est quand chacun se sauve,
sans savoir pourquoi,

parce qu'il prend exemple sur
son voisin, qui se sauve lui aussi,

et donc il suppose
que lui sait pourquoi.

Vous n'avez rien compris ?

Ça ne fait rien, je vous rappellerai
en 2050. Au revoir, mademoiselle.

C'est Paul qui vous a raconté ça ?

Non, ça, c'est la maison Soleil.

Il nous a dit qu'on n'avait rien
compris non plus.

Que la violence
ne servait plus à rien.

Il a perdu ses illusions.
Il est devenu un peu amer et cynique.

Non, pas cynique.

Il s'est fâché quand on a dit

que sa génération
avait tout raté.

Il dit qu'il n'y a plus d'utopie,
que le monde va dans le mur

et qu'il s'effondra tout seul
sans avoir à l'aider.

Il appelle ça
l'apocalypse au ralenti.

- Ça avait l'air de l'amuser.
- Nous, ça ne nous amuse pas.

Bonjour, madame.
Maison Soleil, produits de beauté.

Bien, excusez-moi. Au revoir, madame.

Merde, ça fait chier !
Il y en a marre.

Et lui, il ne propose plus rien ?

Si.

Il dit que plutôt que de casser,
on devait créer de la beauté.

Pourquoi pas ?

Avec le passé qu'il a,
on espérait autre chose.

- Comme mettre le feu aux poudres.
- Il nous parlait de beauté.

Il y avait comme un malentendu.

Il pense que ses repères
ne nous serviront à rien.

Qu'il ne peut plus rien pour nous.
À nous de nous débrouiller.

Bonjour, madame.
Maison Soleil, produits de beauté.

C'était par un beau dimanche d'été.

Je me promenais à la campagne avec
mon fils, alors âgé de 8 ans.

Il cueillait des pissenlits
au bord du chemin,

pour en faire un bouquet
pour sa maman.

Je lui fis remarquer que le ciel
était uniformément bleu,

sans un seul nuage.

Il leva la tête,

pointa son doigt au-dessus
des crêtes du Jura et me dit :

"Mais non, regarde là-bas,
il y a un tout petit nuage blanc."

Il avait raison.

Il ajouta :
"Le Bon Dieu est assis dessus."

"Le Bon Dieu ?", dis-je.

"Oui, me répondit-il.
C'est lui qui a tout fabriqué :

"les montagnes,
les animaux, les fleurs."

Je le laissai à ses certitudes

et pensai à ce que je pourrais
lui dire à ce sujet

d'ici quelques années.

D'abord ceci :

le simple fait de dire
"croire en Dieu"

est la preuve irréfutable
de sa non-existence,

car s'il existait, il n'y aurait
nul besoin d'y croire.

Il existerait, tout simplement,

comme le petit nuage dans le ciel.

S'il faut croire en son existence,

cela veut dire qu'on peut tout
aussi bien ne pas y croire.

Qu'il y a un doute.

Et dans le doute, on s'abstient.

Dieu n'est donc qu'une idée,
adoptée par les hommes,

pour conjurer leur peur de l'inconnu
et de la mort.

Et au fil des siècles,
on commence à s'apercevoir

que ce n'était vraiment pas
une bonne idée.

Tandis que nous continuions
notre promenade

et que mon fils faisait
son bouquet de pissenlits,

une boutade de Jacques Prévert
me vint en tête,

qui pose cette question :

"Qu'est-ce que Dieu pouvait
bien faire avant la Création ?"

Dans le ciel,
le petit nuage s'était effiloché

avant de disparaître complètement.

- Alors, ça roule, la pizza ?
- Ouais, ça va.

Je sais pas comment les gens
bouffent ça, mais ça marche.

Tu devrais peut-être
te mettre à ton compte.

On pourrait faire équipe,
avec toi aux fourneaux.

On finirait par se marier.

Génial !

Tu n'as pris que
pour 5 balles d'essence.

T'iras pas loin avec ça !

Ouais, tu pourrais m'arranger
un peu le coup ?

Si. Prends-en encore pour 12 balles.

Je remets pas
le compteur de la pompe à zéro.

Avec un peu de chance, c'est le
prochain client qui t'en fera cadeau.

- Tu finis à quelle heure ?
- À dix heures.

- Je passe te prendre.
- Pour aller où ? Bouffer une pizza ?

Non. Puisqu'on va s'associer,
on pourrait commencer par la fin.

Par le mariage. La nuit de noces.

Ah bon ?

Non, je suis crevée.
Je vais me coucher.

Toute seule ?

Toute seule.

Moi, je trouve qu'on ne baise pas
assez dans la vie.

Margot !

Margot !

Il y a quelqu'un qui t'appelle.

Non, arrête ! C'est Momo.

Il exagère. C'est 11 h !

Putain ! On va pas se
le récupérer tous les soirs.

D'autant qu'on a mieux à faire.

Il n'y a pas seulement la possession
du monde par les maîtres.

Il y a aussi la possession du monde
par les intellectuels.

C'est la maîtrise culturelle du monde
qui donne du bonheur.

Ne te laisse pas tenter par
les champions du malheur,

de la hargne stupide,
du sérieux joint à l'ignorance.

Soyez joyeux.

"L'embourgeoisement fait partie
intégrante de la lutte des classes.

"C'est pourquoi j'ai cité et je cite
jusqu'à l'obsession

"l'expression de Marx :
génocide, génocide culturel."

- C'est bon ?
- Ça manque de sel.

- Ça n'a pas de goût.
- Rien n'a de goût.

"La classe dominante,
dont le nouveau mode de production

"a créé une nouvelle forme de pouvoir

"et en conséquence
une nouvelle forme de culture,

"a procédé ces dernières années
en Italie au génocide

"de cultures particularistes
populaires

"le plus complet et total
que l'histoire italienne ait connu."

- Autant aller au McDo.
- Non, c'est dégueulasse.

Ça, c'est des carottes fraîches.

Et le poulet n'est pas si mauvais,
il a du goût.

C'est un faux goût.
C'est fabriqué, c'est usiné.

Ils sont élevés en batterie
par millions.

En plus, ils sont aveugles.

On leur crève les yeux ?

Non, c'est parce qu'ils vivent
dans l'obscurité.

"Les jeunes sous-prolétaires romains
ont perdu leur culture,

"c'est-à-dire leur manière d'être,
de se comporter,

"de parler, de juger la réalité.

"On leur a fourni un modèle
de vie bourgeois consumériste :

"ils ont été classiquement
détruits et embourgeoisés."

Tu arrêtes de nous lire tes
histoires ? On est ici pour bouffer.

- C'est quoi, comme bouquin ?
- C'est Pasolini.

- Ça parle de quoi ?
- Du génocide culturel.

Je ne vois pas le rapport
avec le poulet aux hormones.

- Pourtant !
- Tu sors ça d'où ?

Monsieur Paul B. me l'a donné.

J'en étais sûr.
Le gourou a encore frappé.

Il ne viendra plus.

Bonjour, tout le monde !

Margot ! Tu avais disparu.
Tu reviens d'où ?

Tu as fait un beau voyage
avec monsieur Paul B. ?

Qu'est-ce que tu racontes ?
Vous parlez de quoi ?

T'es partie sans rien dire,
on s'interrogeait.

- J'ai des comptes à vous rendre ?
- C'est que Paul B. a disparu.

Disparu ? Et alors ?

Moi, j'étais au Tessin.

Tu prends des vacances comme ça,
n'importe quand ?

Non, je ne suis pas partie
en vacances.

Paul m'avait demandé d'aller filmer
une interview

avec un vieux monsieur
qui a fait la guerre d'Espagne,

dans les Brigades internationales.

Le type était passionnant.

Il avait 16 ans quand il est parti en
Espagne pour combattre le fascisme.

À 16 ans, vous vous rendez compte ?

Je suis rentrée hier soir en stop,
depuis le Tessin.

Putain, c'est le bout du monde.

Vous dites que Paul a disparu ?

- Disparu comment ?
- Mystère et boule de gomme.

Donc, t'étais pas avec lui.

Évidemment que non.

Il faut que j'aille chez le véto.

La vie,
quand fut-elle vraiment nôtre ?

Quand sommes-nous vraiment
ce que nous sommes ?

En vérité, seuls, nous ne sommes pas,
nous ne sommes jamais

sinon vertige et vide,

grimace dans un miroir,
horreur et nausée.

Jamais la vie n'est nôtre.
Elle est aux autres.

La vie n'est à personne.
Nous sommes tous la vie.

Pain de soleil pour les autres,
tous les autres que nous sommes.

Je suis autre lorsque je suis.

Mes actes sont plus miens
s'ils sont aussi de tous.

Pour que je puisse être,
je dois être un autre, sortir de moi,

me chercher parmi les autres,

les autres qui ne sont pas
si je n'existe pas,

les autres qui me donnent existence.

Il n'y a pas de moi,
toujours nous sommes nous autres.

La vie est autre,
toujours là-bas, plus loin,

hors de toi, de moi,
toujours horizon.

Vie qui nous égare et sépare
de nous-mêmes,

qui nous invente un visage et l'use,

faim d'être,
ô mort, pain de tous.

Aucune nouvelle, aucun message.

Chez lui, ça ne répond pas.
Ça devient inquiétant.

Ça fait deux semaines.
C'est quand même étrange.

Bon... C'est 10h20.
Il ne viendra plus.

Salut, la compagnie !

Il lui est arrivé quelque chose.

Moi, je suis sûre
qu'il a sauté dans le Rhône.

Où il aimait se balader.

Arrête ! Il n'est pas suicidaire.

Plein de gens disparaissent.
Des milliers par année.

La grande majorité, c'est des ados
qui font des fugues,

qui reviennent trois jours après.

Il faut faire quelque chose.
On ne va pas attendre sans savoir.

Il faut aller chez lui, ouvrir
sa porte avec un serrurier,

aller chez les flics,
voir dans les hôpitaux.

Il a peut-être été rattrapé
par son passé.

Un règlement de comptes
entre anciens gauchos.

Tu dis n'importe quoi.
C'est de l'histoire ancienne.

L'histoire n'est jamais ancienne.
Jamais finie.

Maxime, tu m'apportes
le tableau noir, s'il te plaît ?

Merci.

Souvenez-vous, chers élèves,
de l'observation de Marx.

Karl Marx, dans son 18 Brumaire.

Tous les grands événements
et personnages

de l'histoire mondiale
surgissent deux fois.

La première fois, comme tragédie.
La seconde fois, comme farce.

Il prend l'exemple de Napoléon
Bonaparte et de Napoléon III.

Mais pensez à aujourd'hui.

Bush père et Bush fils,

c'est toujours la même boucherie.

Non, pas tout à fait.

Le premier, le père, avec la guerre
du Golfe, c'est la tragédie.

Le second, le fils, avec
son poker menteur, c'est la farce.

C'est la répétition de la même chose,
mais en pire ou en moins crédible.

En plus crédible du tout.

C'est la conception
de l'histoire comme spirale.

Si vous regardez la spirale
du dessus, c'est un cercle.

Et la répétition a lieu
au même point.

On dirait une pomme.

Si vous faites une coupe,

vous voyez que les deux événements
sont superposés, mais différents.

Ils ne sont pas dans la même
courbe de la spirale. CQFD.

Le dernier homme de l'histoire
humaine sera un esclave.

Il n'y a pas de course aux armements,

il n'y a qu'une course à l'esclave.

C'est à qui des politiques
en sera le dernier maître.

Le sexe ne m'intéresse pas.
Je suis un politique.

Je traque l'esclave absolu.

Le dernier homme, le dernier esclave,

mourra avec ma langue de fou
dans sa gorge.

La prostitution, libre ou non,
consentante ou non,

c'est pour moi toujours
et encore de l'esclavage.

Ma folie,

c'est cette tentative d'élaboration
d'une langue, d'une musique,

par laquelle le dernier homme,
ce dernier esclave,

pourra dire à son maître,
à son politique,

qu'il a les moyens
de se rendre propriétaire

de son corps et de son organe,

mais qu'il n'a pas ceux de se rendre
propriétaire de sa pensée.

La pensée,

ça ne s'achète pas,
ça ne se vend pas.

Aucun maître ne peut être
à la fois propriétaire

d'un sexe et de la pensée de ce sexe.

- Tu viens souvent par ici ?
- Tous les jours.

Tous les jours ?

Je viens voir s'il n'y a pas
le cadavre de Paul B.

qui flotte dans le Rhône.

Tu es complètement folle.

Je vois rien.

Il m'est rarement arrivé de prier.

Au début de septembre 2001,

ma mère, qui pendant sa vie d'adulte

avait tâché d'être
mon père et ma mère,

et qui dans sa grande vieillesse
aurait pu être ma fille,

ma mère se mourait à l'hôpital
de la petite ville de G.

Il y avait des arbres énormes par
sa fenêtre, une muraille de feuilles.

Chaque journée de cette fin d'été
était belle,

le soleil variait à n'en plus finir
sur ce mur vert,

sous les yeux d'une mourante
qui avait aimé les arbres.

Je la voyais chaque jour,

mais quand j'arrivai le 7 septembre,

je vis que ça y était.

Mon esprit le vit,

mais mon cœur ne pouvait pas suivre.

Elle râlait, elle ne parlait plus,

elle était entrée dans
ce moment de l'âme errante

que les Tibétains appellent le Bardo.

Je m'assis près d'elle,

et au bout d'un moment
que je suis incapable de mesurer,

heures ou minutes,

je me levai en coup de vent, sortis
et courus dans une librairie

pour acheter des livres.

Quand j'entrai dans la chambre
de ma mère, elle ne râlait plus,

elle ne respirait plus,

sa main que je pris était encore
tout à fait tiède.

L'infirmière appelée ayant ratifié
sa mort, on me laissa.

Mon esprit était seul, là,
et constatait, comme tout à l'heure.

Les livres étaient bien sagement
posés au pied du lit

dans leur petite pochette,

près des pieds du cadavre
qui sont tout petits.

La muraille verte
était bonne à l'esprit.

L'esprit était tiède, lui aussi,
comme il l'est toujours.

Je devais prier, appeler le cœur
et l'âme, que cette femme méritait.

J'essayai une de ces choses apprises
au catéchisme,

sans doute le Notre-Père,

je m'arrêtai très vite.

Et puis le texte,

la prière, s'imposa,
venue de très loin,

comme envoyée par un autre,

et je la dis haut, pour que la morte
m'entende, en quelque sorte :

"Frères humains qui après nous vivez,

"n'ayez les cœurs
contre nous endurcis,

"car si pitié de nous pauvres avez,

"Dieu en aura plus tôt
de vous merci."

Le cœur et l'âme accoururent,

je dis le poème d'un bout à l'autre
comme il doit être dit,

dans les larmes.

Je me tins devant
le cadavre de ma mère

comme l'on doit se tenir,

dans les larmes.

J'ai prié une autre fois,

au mois d'octobre,
quelques années plus tôt.

Un enfant était né dans la nuit,

je venais de rentrer
chez moi au petit matin.

Quelque chose me vint
qui était de l'envie de prier,

de clore, de m'ouvrir.

Assis sur mon lit, tranquille,

souriant si on souriait
quand on est tout seul,

j'ai dit d'un bout à l'autre
à haute voix

Booz endormi.

Je l'ai dit comme il doit être dit,

dans le calme, l'acceptation de tout,

l'espérance contre toute raison,
la gloire qui vient toujours.

On est où, là ?
Pourquoi tu m'as demandé de venir ?

C'est là où habite Paul.
J'ai les clés de son appartement.

Tu as les clés de son appartement ?
Comment ça se fait ?

- Ça ne regarde que moi.
- Ah bon, d'accord.

Si je m'en étais douté...

Il faut savoir ce qui se passe.

J'ai peur d'y aller seule.

Si on le trouvait mort dedans ?

- On devrait appeler les flics.
- Je ne veux pas les mêler à ça.

C'est insupportable pour moi
de ne rien savoir.

On trouvera peut-être quelque chose,

une lettre, une piste, je sais pas.

Tu connais les ordinateurs.

Il en a un,
ça raconte plein de choses.

Bon, allons-y.

Tu trouves quelque chose ?
Une lettre ?

Je ne vois rien.

En tout cas, il n'y a pas de cadavre.
C'est déjà ça.

Voilà l'ordinateur.
Moi, j'y connais rien.

Il suffit de l'ouvrir,
mais c'est pas très réglo.

Il a peut-être
des choses confidentielles.

Mais vu la situation,
ça vaut la peine d'essayer.

Tiens, tiens.

Il y a une autobiographie.

Il a été aux avant-postes

dans les groupuscules
révolutionnaires à l'époque.

Il n'y a rien de plus récent ?

Si, attends.

Là, il y a un dossier
qui s'appelle "Projet 17".

17... On est 17 dans la classe.
Peut-être que ça nous concerne.

Mais oui, ça y est.

Il y a 17 icônes,
chacune intitulée de nos prénoms.

C'est marrant, ça.

Et sur lui, sur sa disparition,
il n'y a rien ?

Attends.

Non, je ne vois rien.

Mais là, il y a un petit texte
en guise d'introduction.

Tiens, regarde. Lis.

"Qui, dans la suffocation
intellectuelle contemporaine,

"n'éprouve ce désir insensé
mais nécessaire, viscéral,

"de sortir,
par la puissance de son esprit,

"d'un monde entièrement
balisé par l'argent

"et qui risque de dériver
vers la barbarie ?"

C'est bien lui, ça.

Silence !

Écoutez, ladies and gentlemen,
j'ai plein de choses à vous dire.

On peut baisser la musique,
s'il te plaît ? Michel ?

On est allés
dans l'appartement de Paul.

- Chez lui ? Vous l'avez vu ?
- Non, il n'y était pas.

Il n'y avait pas de cadavre.

Michel a fouillé son ordinateur

et on a trouvé des messages
pour nous.

- Des messages ?
- Oui. En plus des citations,

il nous a donné des petites missions
à accomplir après son départ,

en guise d'adieu.

Mais il est où ? Vous ne savez pas ?

Non. Pas la moindre idée.

On a fait des tirages papier.
On va vous les lire.

Il y en a vraiment pour
tous les goûts. Mathias,

tu pars à la chasse aux cygnes
dans un grand centre commercial.

Et tu racontes :

dis donc, le cygne
est un animal protégé.

Va plutôt à la chasse aux canards.

Même disparu, il nous emmerde encore.
Ne compte pas sur moi,

je veux être acteur,
pas chasseur de canards.

Moi, je prends.
La chasse aux cygnes, ça m'intéresse.

Ça, c'est pour Marina.
C'est plutôt mystérieux,

mais ça veut dire qu'il savait
pas mal de choses sur nous.

Surtout sur les filles...

Alors, c'est quoi ?

Ça doit avoir un rapport avec
ton côté écolo. C'est tout simple.

"Épouse ta rivière."
Tu comprends quelque chose ?

Je crois que oui.

Moi, je flaire un truc mystique.

Sûrement. Pour Marina, le théâtre
est un sacerdoce, on le savait.

Mais le mariage avec une rivière...

- Pour Marie, c'est Pasolini.
- Alors là, pas d'épousailles.

Il a annoté le livre à ton intention,
mais on ne l'a pas retrouvé.

Je l'ai déjà. Il me l'avait donné
il y a quelques semaines.

Alors là, c'est drôle.

C'est pour le trio de choc,
les dures.

Mirabelle, Madeleine et Monica.

Vous devez écrire
une petite pièce de théâtre,

d'environ 10 minutes
pour pas que ça vous affole,

à partir d'une citation d'un grand
journal anglais, The Guardian.

Il vous suggère d'aller voir
du côté d'Alfred Jarry.

C'est bizarre.
C'est quoi, cette citation ?

Voilà, je cite.

"L'Amérique a un parapluie dans
le cul qui a la taille de Manhattan."

Ça, ce n'est pas un cadeau.

Je sors, car si on ouvre un parapluie
à l'intérieur, ça porte malheur.

Là-dessus, on peut faire une tragédie
en 5 actes et 36 tableaux.

Bon, au suivant. À Mouche,
il est proposé de s'interroger

sur ce qui est vraiment
pornographique aujourd'hui.

Voilà quelque chose d'intéressant.

Je me propose pour les photos.

- Comme modèle ?
- Non, comme photographe.

Merci, j'ai eu peur.

Tu n'auras qu'à lire les magazines
de programme télé.

Momo, c'est pour toi.

Tu dois dresser
un catalogue des objets inutiles

dont nos existences s'encombrent.

Alors là, il se trompe de bonhomme.

Me demander ça, à moi qui n'ai rien,
même pas un plumard ?

La dernière fois
que j'ai eu un appart,

l'huissier m'a dit
que j'étais "insaisissable".

Tu te trompes, Momo.
Il y a une nouvelle loi

qui dit qu'on peut saisir
les sacs poubelle.

Margot, si tu nous as dit la vérité,
ta mission est accomplie.

Quelle vérité ?

Ton interview de l'ancien brigadiste
de la guerre d'Espagne.

- Mission accomplie, chef !
- Pour Marion, maintenant.

Réfléchir et faire un petit texte
sur une simple remarque

d'un auteur contemporain qui dit :

"Un homme qui prie tout seul,
c'est son affaire.

"Deux hommes qui prient ensemble,
cela devient dangereux."

Quoi ? Tu peux répéter ?

Regarde autour de toi.

Un type qui prie seul
ne peut pas faire la guerre.

Deux, ça leur donne envie.

C'est pour ça

qu'il n'y a plus que des guerres
de religion dans le monde.

Ah, d'accord, ouais...

À Matteo, il est demandé :

est-ce qu'on pourrait encore
de nos jours être résistant,

comme à l'époque
de l'occupation allemande en France ?

Est-ce qu'on peut encore imaginer
une figure de résistant

à l'époque de la société
de surveillance ?

Établir un catalogue concret des
instruments de cette surveillance.

- Oui, les téléphones portables.
- Les cartes de crédit.

Toutes les cartes
pour tout et n'importe quoi.

Moi, j'en ai aucune.

Les caméras de vidéosurveillance

dans la rue, les magasins,
les banques, partout.

- Les sites Internet.
- Et cetera, et cetera.

Salut, la résistance.

Une dernière feuille, pour Marco.

Là, je commence à avoir peur.

Il y a de quoi.

Tu dois dresser
un inventaire de l'intolérable,

le grand intolérable ou
le petit qu'on tolère tous les jours.

Il a fait une belle distribution
de cadeaux à tout le monde.

Il y a des cadeaux empoisonnés
là-dedans, mais bon...

Rien ne nous oblige à les accepter,
puisque l'expéditeur n'est plus là.

Tu ne nous as pas dit
ce que tu as reçu.

Ça.

"L'Homme sans qualités", de Musil,
à lire et à méditer.

Il m'en avait fait cadeau
il y a déjà quelque temps.

Tu étais assez proche de lui,
il me semble.

Pendant un temps, ouais.

- Proche, proche ?
- Ouais.

En lisant ce livre, je pense avoir
compris les raisons de sa fuite.

Et c'est quoi, ces raisons ?

C'est la fin d'un monde
auquel il a appartenu,

avec ses valeurs, ses critères,
son sens des proportions,

ses aspirations révolutionnaires...

Et l'arrivée d'un nouveau monde

auquel il n'a pas la moindre
envie d'adhérer,

qui aura sûrement
ses rêves et ses beautés,

mais il ne les comprend pas
et ne veut pas les comprendre.

Provisoirement,
nous ne chanterons pas l'amour,

qui s'est réfugié plus bas
que les souterrains.

Nous chanterons la peur,
qui rend stériles les embrassades.

Nous ne chanterons pas la haine,
car elle n'existe pas.

Seule existe la peur,
notre mère et compagne,

la grand-peur des sertões,

des mers, des déserts,
la peur des soldats,

des mères, des églises.

Nous chanterons la peur
des dictateurs, des démocrates.

Nous chanterons la peur de la mort
et la peur d'après la mort.

Et puis, nous mourrons de peur.

Et sur nos tombes pousseront
des fleurs jaunes et craintives.

La réflexion est chose presque
impossible à notre époque,

cela coûte cher.

On achète, il est vrai,
des idées toutes faites.

Elles sont en vente partout,
on les a même gratis.

Mais le gratuit
revient toujours cher.

Déjà, on commence à s'en apercevoir.

Résultat :

bénéfice nul et désordre persistant.

T'as vu notre chariot ?
C'est Byzance !

T'as combien, sur toi ?

Environ 20 balles. Et toi ?

La même chose.
T'as une carte de crédit ?

Non. Et toi ?

- Oui, mais mon compte est à sec.
- On est deux vraies débiles.

En plus, on voulait encore aller
au cinoche après ça.

Ok, allez, dans l'ordre :
retour à la case départ.

On va se débarrasser, un,

de tout ce dont on n'a pas
vraiment envie.

Deux : tout ce qui n'est pas
vraiment indispensable.

Trois : tout ce qui n'est pas
vraiment nécessaire.

- Bonjour.
- Bonjour.

1,60 franc, s'il vous plaît.

1,60 franc. C'est 80 centimes
chacune. Fifty-fifty.

Un gros pot, c'est moins cher
que deux petits.

Qu'est-ce que tu fais là ?

Je fais mon devoir,
j'accomplis ma mission.

Vous vous souvenez ?
Je suis à la chasse aux cygnes.

Tu en as tiré beaucoup ?

Il n'y a que ça ici.
J'en ai le vertige.

C'est le paradis des chasseurs.

- Un vrai bonheur.
- Le paradis ou l'enfer !

On va manger un morceau ?
Je crève la dalle.

- Non, on va au cinoche avec Marie.
- Vous allez voir quel film ?

On ne sait pas. Il y a 13
salles, on trouvera bien.

OK. Ciao !

Moi, en tout cas, je trouve
que les gens sont pas beaux.

Ça me fout le blues.
J'ai envie de pleurer.

On en arrive
à ne plus aimer les gens.

Ils ne s'aiment plus eux-mêmes.

Et pourtant,

tu te souviens de la rencontre
de Breton avec Nadja ?

Elle marche, la tête haute,
contrairement aux autres passants.

Si frêle qu'elle se pose
à peine en marchant.

Que se passe-t-il de si
extraordinaire dans ses yeux

que s'y mire-t-il
à la fois obscurément de détresse

et lumineusement d'orgueil ?

J'ai plus envie.

Regarde, il y a plein de films.

Justement, ils se ressemblent tous.

Tu as peut-être raison. J'ai plus
envie non plus. T'as pas faim ?

Il y a que du sucré, j'aime pas ça.

T'as jamais envie de rien !

Le pop-corn,
c'est pas du sucré. Allez !

Je t'interdis de manger du pop-corn.
Allez viens, on y va !

Il faut payer.

Je croyais que c'était gratis
pendant une heure.

Merde, on a juste dépassé.

C'est plus cher
que le pot de yogourt.

Aujourd'hui,
on a vraiment fait tout faux.

On a tout loupé.

Une vraie cata.

Trois !

Cinq !

Sept !

Un !

Merci, merci. On peut couper. Merci.

Dix minutes de pause. Merci beaucoup.

- Tu en es où avec ta mission ?
- Quelle mission ?

Celle que Paul nous a confiée à tous.

C'est fait.

Et toi, Mouche ?

Moi ? J'ai pas eu le temps
d'y penser.

Et toi, Momo ?

Moi, non plus. Je dois
absolument trouver une piaule.

C'est plus important, non ?

Et toi ?

C'est pas tes oignons.

Justement, c'est nos oignons.
Vous n'avez rien compris.

Il y a un projet là derrière,
j'en suis sûre.

Quel projet ? Tu rigoles ?

C'est à nous de trouver, tous
ensemble. Je veux bien m'en occuper.

On pourrait faire une vidéo.

Arrête, t'as envie de jouer avec
ta caméra, c'est tout. Un projet...

Il y a jamais eu de projet !
Avec le boulot qu'on a,

plus livrer des pizzas
la nuit pour survivre...

Laisse tomber, Margot ! C'étaient
juste des petits messages d'adieu

qu'il a laissés avant de se tirer.

On en fait ce qu'on veut.

On jette. De toute façon,
il n'y a jamais eu de projet.

Je suis sûre du contraire.
Vous vous dégonflez.

Pas nous. Hein, Monica ?

Ouais, nous, on l'a écrite, la pièce.

L'histoire du parapluie ?

Ouais. Vous verrez,
c'est d'une beauté... folle !

- C'est drôle, au moins ?
- Très.

Vous voyez.
Elles ont fait leur boulot, elles.

Ouais, mais pour elles,
Paul c'était un gourou.

Ah, la révolution...
Ou ce qu'il en reste.

Lui et ses amis ont tout bousillé
avec leurs grands idéaux.

Oh... il y en a marre.
Vous avez tous l'air d'avoir oublié

que quelqu'un a disparu. C'est grave.

Vous discutez
pendant que je me fais chier

à faire le tour des commissariats,
des hôpitaux.

- Résultat ?
- Rien.

Rien du tout.

"Au bout du petit matin,
l'échouage hétéroclite,

"les puanteurs exacerbées
de la corruption,

"les sodomies monstrueuses
de l'hostie et du victimaire,

"les coltis infranchissables
du préjugé et de la sottise,

"les prostitutions, les hypocrisies,
les lubricités, les trahisons,

"les mensonges, les faux,
les concussions,

"l'essoufflement
des lâchetés insuffisantes,

"l'enthousiasme
sans ahan aux poussis surnuméraires

"les avidités, les hystéries,
les perversions,

"les arlequinades de la misère,
les estropiements, les prurits,

"les urticaires, les hamacs tièdes
de la dégénérescence.

"Le bulbe tératique de la nuit,

"germé de nos bassesses
et de nos renoncements."

- Tu vas fermer ?
- Dans cinq minutes.

Il te faut combien ?

J'ai besoin de 500 balles.
C'est possible ?

Ouais, mais il faut vraiment
que le coup soit crédible,

sinon je suis vraiment dans la merde.

Bon. On va passer
dans l'arrière-boutique.

Je te file la clé,

tu fermes derrière toi à clé,

n'oublie pas de casser la vitre.

Sinon, ils vont me soupçonner.

Tu es vraiment trop chou.

Remercie plutôt les rois du pétrole.

Hé, Mélanie !

Momo, qu'est-ce que tu fais là ?

Je squatte.

Qu'est-ce que tu trimballes
dans tes sacs ?

Je répertorie les objets inutiles,
et je les récupère aussi.

Tu les récupères ou tu les voles ?

Ça, c'est un mystère.

Je t'offre un verre ?

C'est cela l'exil, l'étranger,

cette inexorable
observation de l'existence

telle qu'elle est vraiment

pendant ces longues heures lucides,

exceptionnelles
dans la trame du temps humain,

où les habitudes du pays précédent

vous abandonnent
sans que les autres,

les nouvelles, vous aient encore
suffisamment abruti.

Dis donc, c'est vachement bien ici.

Tu peux rester quelques nuits,

ça te changera de tes divans
chez les copains ou dans les boxons.

Ouais, mais si Paul revient

et trouve un gugus dans son pieu ?

Je crois pas
qu'il va revenir de sitôt.

Même s'il revenait, je suis sûre
qu'il comprendrait la situation.

Viens, je vais te faire un café.

Il y a un vrai grand plumard,
là derrière.

Pour deux.

Nous sommes une vie de pantins menés,

et ceux qui nous mènent

et tiennent
les ficelles du sale guignol

tablent avant tout,

je dis avant tout

sur l'amour propre invétéré de chacun

qui fait que pour rien au monde

c'est un chacun ne voudrait
ne pas se croire libre,

et avouer, et reconnaître honnêtement

et sincèrement qu'il ne l'est pas.

Voilà, mes amis.
Comme Paul nous l'avait demandé,

on a préparé pour vous
un petit jeu dramatique,

une petite pièce en un acte.

C'était comment déjà, la citation
qu'il vous avait refilée ?

L'Amérique a un parapluie dans le cul
qui a la taille de Manhattan.

Selon qui va jouer l'Amérique,
je veux bien faire le parapluie.

Justement, Mathias,
on a un rôle tout trouvé pour toi.

Ah ouais ? Le parapluie, j'espère.

Non. George W. Bush.

Ça y est, on va se taper un cours
de géopolitique. À gauche, toute !

Pas du tout. On a écrit
un petit truc pour se marrer.

Un pastiche d'Alfred Jarry. Ubu roi.

Et le père Ubu, c'est Bush.

Évidemment.

C'est vrai qu'ils se ressemblent,
ces deux-là.

Margot, tu peux faire la
mise en scène, si ça t'amuse.

Pourquoi pas ?

Dobelyou ! Dobelyou,
réveille-toi, Dobelyou !

Mère Dobelyou,
de par ma chandelle verte,

comment oses-tu nous réveiller ?

Nous étions justement en train
de faire un beau rêve

tout à fait angéliquouille,
cornegidouille.

Dieu me parlait, à moi,
en direct depuis son site Internet.

Je te demande pardon, mon ami,

mais il y a des gens qui insistent
pour te voir.

Ils attendent
depuis déjà pas mal de temps.

Qui sont ces gens
qui viennent troubler notre sommeil ?

De drôles de zigotos.

Ils ne ressemblent pas
aux gens d'ici.

Ils disent qu'ils ont fait
un long voyage pour venir te voir.

À ce que j'ai compris,

ils viennent des déserts de Barbarie.

Peut-être t'apportent-ils
des cadeaux, comme les Rois mages.

Des bons havanes
clandestins ou de la coca...

- Combien sont-ils, ces Barbares ?
- Ils sont deux.

Cornes au cul,
madame ma femelle. Ignorante !

Les Rois mages étaient trois.

Tu devrais relire les textes
sacrouilles, cornegidouille.

T'ont-ils...

T'ont-ils seulement
donné leurs noms ?

T'ont-ils seulement
donné leurs noms ?

Il me semble...

Il te semble...

Eh bien, qu'attends-tu ? J'attends !

J'ouvre tout grand mes oreilles.

- Mes oneilles.
- Mes oneilles.

Attends.

L'un d'eux s'appelait... Sdam,

roi de Babylonie
et grand marchand d'huile.

Il a une grosse moustache noire.

L'autre se nomme, sauf erreur,

Iousama...

Il se dit prince de la pompe à
phynance des déserts d'Arabie.

Il a une longue barbe grise toute
filasse et un torchon sur la tête.

Merde ! Cornes au cul,
madame ma femelle ! C'est bien eux !

Ils sont ici,
dans notre blanche maison ?

Quelle affaire ! Idiote,
il ne fallait pas les faire attendre.

Ce sont des amis.
Enfin, de drôles d'amis.

- Ils t'ont dit ce qu'ils voulaient ?
- Non.

Idiote, tu aurais dû leur demander.

Tu sais bien que je ne sais pas
parler et réfléchir en même temps.

Qu'est-ce que je fais ?

Je n'en sais rien.
Dois-je les faire entrer ?

Bien sûr, cornegidouille !

Mais ces Barbares me font peur.
Fais venir ici mes fidèles amis,

Toto Berlu et le blaireau.

Ils tombent bien, eux.
On ne sait jamais, en cas de tapage.

Mes Seigneuries !

Quel bon vent vous amène
dans ma blanche maison ?

Enfin, nous nous rencontrons !

Nous savons tout de vous,
enfin nous nous rencontrons.

Faisons les présentations :

toi, tu es Sdam.

Qu'est-ce que tu te ressembles !

Et toi, bien sûr, tu es Iousama !

Le monde entier te connaît
depuis que tu as dézingué

mes plus grands châteaux
avec tes pétoires volantes.

Quel plaisir de vous recevoir
dans ma blanche maison !

Je vous présente
mes fidèles serviteurs :

le blaireau,
roi de Grande-Bretouille.

Votre serviteur, pour vous servir.

Et Toto Berlu, roi de Ritalie.

Tout l'honneur est pour vous.

Mes Seigneuries,

quel bon vent vous amène
dans ma blanche maison ?

Qu'est-ce qui vous amène
en mon royaume ?

Qu'est-ce qui vous amène
en mon Royaume ?

Nous avons une requête à te faire.

Oui, un service à te demander.

Vous ? Mais vous êtes des proscrits,

des terroristes de l'Empire du Mal.

Demander des services
à l'Empereur du Bien ?

Je me demande déjà comment vous avez
pu arriver jusqu'ici.

Et où sont donc mes gardes ?

Ils faisaient tous la sieste.

Je les ferai bastonner.

De toute façon, tu nous aurais
laissés en vie,

car tu as besoin de nous.

Comment cela ?

Nous sommes des créatures,
et tu as besoin de nous.

Comment pourrais-tu être
l'Empereur du Bien

si le Mal n'existait pas ?

Le bien n'existe que
parce que le mal existe.

Donc, tu as besoin de nous.

Et tu le sais très bien.

Tu t'es d'ailleurs déjà
largement servi de nous.

Nous n'entendons rien à ces
élucubrations philosophales,

cornegidouille.

Tu as eu tout ce que tu voulais.

Grâce à nous,

tu nages dans d'immenses
flaques d'huile.

La route des contrées muslimes,

des Asie
et des Caucasie s'est ouverte à toi.

Et à ta mort, tu auras gagné ta place

à la droite du Dieu des infidèles.

C'est bien ça que tu voulais.

Délire ! De par ma chandelle verte !

Tu vas maintenant payer ta dette
envers nous.

- Une dette ?
- Oui, une dette.

Le moment est venu
de nous renvoyer l'ascenseur.

Quel ascenseur ?

Vous voulez monter au ciel.

Ce que nous voulons,
en fin de compte,

c'est vivre comme toi.

- Comme moi ?
- Oui, comme toi.

Dans ton beau royaume, au grand jour.

Quoi ? En Amérlequie ?
Vous voulez rire ?

Cornes au cul,
je vais faire du tapage.

Vous êtes complètement fous.

Que faire de ces deux zigotos
en attendant ?

My God, que le monde est compliqué.

Sorti des frontières du Texouille,
je n'entends plus rien.

Ce n'est que bougnoules, métèques,

Barbaresques et rastaquouères.

En plus, tu n'as jamais lu
un livre de ta vie,

comment veux-tu comprendre
ce fouti-foutoire ?

Il faut qu'on m'aide.

Appelez ma conseillère
pour les pays rastaquouères.

Qu'elle serve à quelque chose.

Trouvez-la, mère Dobelyou !
Elle courate toujours

comme une souris dératée dans
les couloirs de notre blanche maison.

La petite Condoléance Risotto ?

Elle-même. Va la chercher !

Mais bien sûr !

Tu as raison, Risotto.
On n'a plus besoin d'eux.

Foutre de foutre, l'Empire du Bien

tient désormais tout seul
sur ses pattes.

Il peut tout se permettre.

Faisons du tapage ! Gardes ! Gardes !

Munissez-vous
de vos grands bâtons à merdre

et jetez-moi
ces Barbaresques à la trappe !

À la trappe ! À la trappe !

Ne vous laissez jamais
mettre en cercueil !

Ce qui m'étonne un peu,

c'est qu'ils aient pris la manie
de compter les gens

et de les enregistrer,

comme s'ils avaient peur d'en perdre.

D'habitude, ils ne sont pas comme ça.

Mais voilà, ils tiennent à savoir
très exactement qu'on est bien X,

et non pas Y.

Comme si ça importait

de savoir qui laisser crever de faim.

Lorsque l'enfant était enfant,
il marchait les bras ballants.

Il voulait que le ruisseau soit
une rivière, et la rivière un fleuve.

Que cette flaque d'eau soit la mer.

Lorsque l'enfant était enfant,

il ne savait pas qu'il était enfant.

Pour lui, tout avait une âme

et toutes les âmes
n'en faisaient qu'une.

Lorsque l'enfant était enfant,
il n'avait d'opinion sur rien

et il n'avait pas d'habitude.

Lorsque l'enfant était enfant

vint le temps des questions
comme celle-ci :

pourquoi est-ce que je suis moi ?

Pourquoi est-ce que
je ne suis pas toi ?

Pourquoi est-ce que je suis ici ?

Et pourquoi est-ce que
je ne suis pas ailleurs ?

Quand a commencé le temps ?

Et où finit l'espace ?

La vie sous le soleil
n'est-elle rien d'autre qu'un rêve ?

J'arriverai lisse et jeune

dans ce pays mien

et je dirai à ce pays

dont le limon entre
dans la composition de ma chair :

"J'ai longtemps erré

"et je reviens vers la hideur
désertée de vos plaies."

Je viendrai à ce pays mien
et je lui dirai :

"Embrassez-moi sans crainte.

"Et si je ne sais que parler,
c'est pour vous que je parlerai."

Nom de Dieu !

Monsieur Paul.

Silence, s'il vous plaît.

Vos gueules ! J'ai une nouvelle
importante pour vous.

Et tes sacs ?
Tu as perdu tes trésors ?

Tu t'es fait cambrioler ?

- C'est bien plus grave que ça.
- Ah bon ?

Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

J'ai vu Paul B.

J'ai vu Paul B.

Ce n'est pas si grave, il est vivant.

- Tu l'as vu ?
- Si je vous le dis.

- Où ça ?
- À Carouge.

- Tu n'as pas rêvé ?
- Pas du tout.

C'était lui. J'en suis
absolument certain. Je l'ai vu.

- Il avait l'air comment ?
- C'est difficile à dire.

Tu ne lui as pas parlé ?

Non. Il a tourné au coin
d'une rue et disparu.

Je suis sûre que c'est pas vrai.

Si, c'est vrai. C'était lui.

Ça doit être une obsession
chez moi, les cadavres.

Ou ça l'est devenu
avec toute cette histoire.

Par exemple, on m'a offert ce livre.
Et hier soir, je tombe sur ce texte.

- "Cadavres si on veut".
- Fais voir.

"Il ne se passe rien,
c'est bien connu.

"Ou s'il se passe trop de choses

"auxquelles, c'est bien connu,
nous ne pouvons rien.

"Nous marchons sur des cadavres,
et continuons à tenter d'agir

"et de penser comme si
nous n'étions pas ces marcheurs

"piétinant les cadavres de plus
d'un demi-siècle de catastrophes,

"de défaites et d'abdications
en tout genre.

"Aujourd'hui, les cadavres
peuplent jusqu'à nos propres rues.

"Cadavres de société libérale avancée

"en état de décomposition avancé."

S'il n'est pas déjà trop tard,

on voudrait que ce qui fait de nous
aussi des acteurs-citoyens,

y compris de nos propres aveuglements
des encore vivants-citoyens

y compris sans vrai lieu d'espérance,
serve à la résistance,

même partielle, même infime,

à la domination du
"prêt à délasser pour tous".

Parce qu'il en est malgré tout

du théâtre comme de l'art
qui l'accompagne :

il n'existe jamais mieux
que contre la mondanité,

et tout contre le monde.

Cela n'empêchera sûrement pas
les presque cadavres

de continuer à proliférer
dans nos rues.

Cela permettra peut-être juste
de les envisager comme êtres,

de leur rendre à chacun
un visage, un nom,

une voix qui parle aussi au théâtre,

et non au reality show,
sans commisération, sans pathos,

ainsi qu'ils désignent le monde,
et nous dans le monde,

exemplaires, insensés et vaincus,

mourant à force de nos yeux morts,

annonçant ce qui nous guette
si nous renonçons à nous-mêmes,

si nous renonçons à nous battre,
disant : "Il ne se passe rien."

Vous connaissez ce proverbe ouzbek ?

"Quand tout a été détruit, il faut
se remettre en quête du beau."

Au travail, camarades !

Il y en a marre d'être toujours
contre, anti-ceci, anti-cela.

Antimondialisation.

Anticonstitutionnellement.

C'est le mot le plus long
de la langue française.

- Anticlérical !
- Antinomique !

- Antibiotique !
- Antichambre !

- Antichar.
- Antillais !

- Antitabac !
- Antitrust !

- Antigel !
- Antipathique !

- Antijeu !
- Antilope !

- Antispasmodique !
- Antirouille !

- Antiquaire !
- Antiquité !

- Soyons anti-anti !
- Oui, moins fois moins égale plus !

- Donc, soyons pour !
- Mais pour quoi ?

- Pour le rêve !
- Pour la poésie.

Pour le cul !

Ouais, pour le mien !
Qui veut ?

Ouais !

Il faut inventer de nouveaux slogans.

Silence.

Par les soirs bleus d'été,
j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés,
fouler l'herbe menue :

Rêveur, j'en sentirai
la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner
ma tête nue.

Je ne parlerai pas,
je ne penserai rien :

Mais l'amour infini
me montera dans l'âme,

Et j'irai loin, bien loin,
comme un bohémien,

Par la Nature,
heureux comme avec une femme.

Sous-titrage : Hiventy