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TROIS MILLE ANS À T'ATTENDRE

(femme): Mon nom est Alithea.

Mon histoire est vraie.

Mais vous me croirez sûrement mieux si
je vous la raconte comme un conte de fées.

Alors, il était une fois

quand les humains traversaient
les airs à bord d'oiseaux métalliques,

quand ils se chaussaient de nageoires
pour marcher au fond de la mer,

quand ils tenaient dans leurs
mains des carreaux de verre

pouvant renfermer des chansons
d'amour venues des airs,

une femme qui vivait tout à fait
heureuse et solitaire.

Solitaire par choix.

Heureuse parce qu'elle était
indépendante,

et qu'elle gagnait sa vie
grâce à son esprit savant.

Son domaine,
c'était les histoires.

Spécialiste en narratologie,

elle étudiait toutes
les histoires de l'humanité

pour leur trouver
une vérité commune.

Et pour cela,
une ou deux fois par an,

elle s'aventurait
sur des terres lointaines.

En Chine, sur les mers du Sud

et dans les villes intemporelles
du Levant...

...où des gens comme elle
affluaient

pour raconter des histoires
sur des histoires.

- Par ici.
- Excusez-moi!

- Par ici, madame.

- Qu'est-ce que vous faites?
Lâchez ça, s'il vous plaît!

- Les mystères d'Istanbul.

(homme, au loin): Alithea!

- Au revoir!
(au loin): Alithea!

Bienvenue!

- Oh! Gunhan!
- Bienvenue enfin!

- Oh!
(rires)

- Oh, ma chère amie.
C'est merveilleux!

Oh, excusez-moi.
Voici Amina.

- Amina.

- Du British Council.
(Alithea): Bonjour.

- Cet homme à l'aéroport
qui malmenait mes bagages,

est-ce que vous l'avez vu?
- Quel homme?

- Oui, il s'est enfui
quand vous êtes arrivés.

Veste en peau de mouton,
col rose,

de petite taille.

- Intéressant.

- Il était chaud au toucher.

Musqué.

- C'était peut-être un djinn.

- C'était un chauffeur de taxi
illégal, à mon avis.

- Avec trop d'eau de Cologne.

- Alors Professeur, vous dites
que vous croyez aux génies?

- Je crois qu'il existe des gens
qui ont besoin d'y croire.

- Incluant moi?

- Génies, fantômes...

euh, martiens,
si ça peut faire du bien.

(rire)

- L'hôtel a organisé une très
jolie surprise pour vous.

- C'est la chambre
d'Agatha Christie.

C'est dans cette chambre qu'elle a
écrit Le crime de l'Orient-Express.

(soupir)

(rires)

- Alors, comment expliquer
la puissance d'un orage

si nous n'avons pas les moyens
de mesurer et de modéliser

les données météorologiques?

Comment expliquer les saisons,
de l'automne à l'hiver,

puis du printemps à l'été

si vous ne savez pas que
la terre orbite autour du Soleil

tout en étant inclinée
sur un axe?

Tout n'était que mystère.

Les saisons, les tsunamis,

les maladies microbiennes...

Que pouvions-nous faire d'autre
que recourir à des histoires?

Comme docteur Binnie
nous a aidés à comprendre,

les histoires étaient
le seul moyen

de rendre cohérente
notre existence déconcertante.

- C'est exactement ça.

Nous avons donné un nom
aux forces inconnues

derrière toutes les merveilles
et les catastrophes

en nous racontant...

euh... en nous racontant
des histoires.

- Je vais vous montrer.

Nous nous sommes raconté
des histoires de Dieux tout-puissants

auxquels nous nous fions,

omniprésents
dans toutes les cultures,

dans toutes les mythologies,
depuis les Grecs, les Romains,

jusqu'aux Nordiques et ainsi
de suite, et ainsi de suite.

Les descendants connus
de Zeus, Poseidon, Athena, Thor,

toute la bande se manifeste
encore aujourd'hui.

Et voici leurs vestiges.

- La question demeure:
quel est leur but exactement?

Qu'est-ce que nous leur
demandons maintenant?

- Euh, il y a les mythes,
et il y a la science.

(tout bas): Oh! Désolée.

La mythologie est ce que
nous connaissions à l'époque.

La science est ce que
nous savons jusqu'à présent.

(léger vrombissement)

Tôt ou tard,

les histoires qu'on s'est
inventées sont remplacées

par les arguments de la science.

Une science rigoureuse.

Et tous les Dieux
et les monstres

survivent à leur raison d'être
initiale,

mais ne sont plus réduits
qu'à une simple métaphore.

(voix caverneuse): Des bêtises!
(grognement)

(voix étouffée): Alithea!

- Est-ce que ça va?

- Alithea.

- Qu'est-ce qui s'est passé?

- Je ne sais pas,
elle est tombée.

- Doucement.
- Elle est tombée.

(gémissement)
- Mon Dieu!

Je crois que ça va aller.

- Hé, attention.

(gémissement)

- Doucement.
- Est-ce que ça va?

(quelques applaudissements
dans la salle)

(applaudissements chaleureux)

- Vous ne voulez pas voir un docteur?
- Pourquoi?

Je me sens parfaitement bien!
- Excusez-moi, Alithea.

En êtes-vous sûre?

- À part les petits bobos
habituels, il n'y a rien de fâcheux.

C'est pas la peine
d'en faire tout un plat.

- Alors qu'est-ce qui s'est
passé tout à l'heure?

- Ces derniers temps, mon imagination
prend souvent le dessus sur moi.

Elle me tend des pièges.

C'est comme une mise en garde.
- À quel propos?

- À ne pas être complaisante.

À me tenir aux aguets.

Elle se manifeste tout à coup
quand je m'y attends le moins.

J'essaie
de ne pas la contrarier.

Elle prend le contrôle pour un
moment, et...

et puis elle repart.
- Mais qu'est-ce qui repart?

- Oh, Gunhan, c'est irrationnel.
Ne vous en faites pas.

- Vous vous comportez
comme une enfant.

Est-ce que vous le savez?
- En fait, je suis une enfant.

(Il rit.)

(Alithea): Si le destin existe,
peut-on y échapper?

Qui peut le dire?

Mais je vais vous dire ceci:

dans le Grand Bazar d'Istanbul,

il y a 62 rues
et 4000 boutiques.

Et dans une de ces boutiques,
il y a trois pièces.

Dans la plus petite
de ces pièces,

il y avait tout un tas de choses
non triées,

anciennes et nouvelles.

À travers ce capharnaüm,
j'ai choisi un souvenir.

Vous savez ce que c'est?

- Je suis pas sûr, mais ça pourrait être
Cesm-i Bulbul, l'Oeil du Rossignol.

Vers 1845, il y avait
des verriers à Incirkoy.

Ils étaient connus pour leur
motif bleu et blanc en spirale.

- Oh, s'il vous plaît!
C'est un cadeau de ma part.

Choisissez une chose
moins ennuyeuse.

- Mon Dieu.

Et, euh... si ça, c'est...
Cesm-il Bulbul,

euh... y a-t-il une façon
de l'authentifier?

- Il paraît que si c'est
authentique,

on peut parfois voir
des taches de sang

provenant des poumons
des souffleurs de verre.

Mais ça, c'est sûrement
une imitation récente.

- Ça a été abîmé par le feu.
Prenez autre chose.

- Non, merci, Gunhan.

Je l'aime bien.

Peu importe ce que c'est, je suis sûre
que son histoire est intéressante.

(rumeur de la ville)

(soupir)

(dring!)

(dring!)

Allô?
- Euh, bonjour, Docteur Binnie.

- Bonjour.
- C'est le service aux chambres.

Comment
désirez-vous vos oeufs?

- Euh, à la coque,
s'il vous plaît.

- Et le pain? Grillé?
- Euh, oui.

Mais sans croûte.
- Deux oeufs?

- Un seul.
- OK, merci.

- Merci.

(vrombissement de la brosse)

(tintement)

(fracas, souffle du vent)

Ah!

(craquement)

(borborygmes)

(grincement)

(gémissement)

Je vais fermer les yeux
et compter jusqu'à trois,

après quoi, je vous serais reconnaissante
de bien vouloir disparaître.

Donc un.

Deux.

Trois.

(souffle du vent)

Quatre.

Cinq.

Six.

Sept.

Huit. Neuf. Dix!

(grognement)

Je présume que
vous ne parlez pas français?

(grognement)

- Allemand?

Espagnol?

Grec?

(en grec ancien):
Vous parlez le grec d'Homère?

- J'ai suivi quelques cours...

à l'université.

- S'il vous plait, ne me craignez pas

et ne me traitez pas avec désinvolture.

Je vous suis redevable

pour cette délivrance.

Et à ce titre,

je dois vous accorder

trois vœux.

Il y a des règles

qui ne peuvent pas être abolies.

Trois c'est trois.

Un chiffre de grand pouvoir.

Vous ne pouvez pas souhaiter

des vœux à l'infini.

- Oui.

Je suis familière avec le concept.

- Vous ne pouvez pas non plus souhaiter
la vie éternelle.

Votre nature est d'être mortelle.

La mienne est d'être immortel.

(quelques notes de musique)

Je ne peux absoudre le péché

ni mettre fin à toutes les souffrances du monde.

Je ne suis qu'un Djinn.

C'est raisonnable.

Ce sont les limites.

(bourdonnement électrique)

C'est quoi ce petit homme?

- C'est un...

sorcier.

Il nous guide à travers le temps.

Einstein.
(Il répète): Einstein.

Vous êtes une sorcière...

qui l'a mis dans une boîte?

- Non.

C'est la science.

(en français): Télévision.
- Télévision.

(en grec ancien):
Des vagues de...

lumières et de sons.

(en français): Émetteur.
- Émetteur.

(en grec ancien):
Je ne sais pas comment ça marche.

Je suis une érudite littéraire.

On ne sait pas grand-chose.

(en français): Je suis un djinn
aux modestes pouvoirs,

mais je commence à comprendre
ces... ces émissions.

- Oh!

Vous avez déjà appris
à parler ma langue.

- Votre langue est très facile.

Ses règles sont vite apprises.

(bourdonnement électrique)

- Oh!

(gémissements d'Einstein)

- Voulez-vous avoir
ce petit Albert?

- Non, non. Non.

Non, c'est sûrement pas bon
pour lui, remettez-le.

- Je pourrais l'agrandir.
(Einstein): Comment?

- On pourrait lui parler.
- Non, remettez-le!

- C'est votre voeu?

(Einstein): Ce n'est pas possible!
- Non. C'est votre obligation.

- Alors, que souhaitez-vous?

Quel est votre désir
le plus cher?

- Euh... Maintenant?

Attendez, euh...
n'y allons pas trop brusquement.

J'ai... j'ai besoin
d'y aller doucement.

- Eh bien, j'ai tout le temps
du monde.

Parlez-moi de vous.

- Je m'appelle, euh...
Alithea Binnie.

Je suis en Turquie
pour une conférence.

Et je rentre chez moi
dès demain.

- Quoi d'autre?

(hésitante): Quoi d'autre?

J'ai une confession
à vous faire.

Quelque chose que je n'ai jamais
dit à personne.

- Excellent.

- Quand j'étais jeune,
il y avait un garçon.

- Votre premier amour.

- Oh non, non, non.

Il n'était pas tout à fait
humain en fait.

- Un génie?
- Euh... non.

Eh bien, à cette époque,

je fréquentais
une école pour filles.

Toute une bande de filles.

J'étais... En fait,

je suis un être solitaire
de nature.

Et ce garçon, Enzo,

est venu à moi,
arrivant de nulle part.

Par nécessité d'imagination.

Il m'a raconté des histoires dans
un langage que seuls nous deux parlions.

Et quand j'avais un mal de tête,
il disparaissait toujours,

mais il n'était jamais très loin
quand j'avais une crise d'asthme.

(le djinn): Il était
comme ce petit Albert

que vous ne m'avez pas laissé
vous offrir.

Une émanation.

(Alithea): Oh, oui,

mais seulement l'émanation
d'une absence.

J'ai eu peur qu'il parte,
alors j'ai tout écrit.

Et j'ai rempli ce journal,
bourré de faits.

Mais plus j'essayais
d'être réaliste,

et plus le doute m'envahissait.

Et euh... tout a commencé
à avoir l'air ridicule.

J'avais l'air ridicule.

Alors, après un moment, j'ai...

brûlé le tout dans le foyer
de l'école.

Et après ça,
il a complètement disparu.

- Et maintenant, je suis là.

- En dépit de la raison, oui.

- Je suis ici,

et nous avons
du travail à faire.

(toc-toc!)

- Pouvez-vous repasser
plus tard, s'il vous plaît?

- C'est le service aux chambres,
Docteur Binnie.

J'ai votre petit-déjeuner.

- Une minute
s'il vous plaît!

- Gardez la porte fermée.

- Bonjour. Merci.

- Où le voulez-vous,
Docteur Binnie?

Euh, non, je vais le prendre.
- Madame, permettez-moi.

- Non. Non, ça va aller. Merci.
- Très bien, Docteur Binnie.

J'espère que vous êtes
bien reposée.

- Oh, ça a l'air délicieux.
Oui, je le suis.

- Que comptez-vous faire
en cette belle journée?

- Je ne suis pas sûre...
Je vais... improviser.

- Eh bien, j'aimerais vous montrer
une belle galerie d'art cet après-midi.

- C'est tellement gentil.
- Quand vous aurez une minute.

- Merci.
- Ce sera génial. J'ai vu--

- Peut-être une autre fois.
Passez une belle journée.

- OK. Très bien.
Bon appétit.

- Merci, monsieur!

MERCI DE NE PAS DÉRANGER.

(soupir)

Une taille plus pratique,
je vois.

- Je fais ce que je peux
pour m'intégrer.

Je vous prie.

- J'aurais pas dû commander
de petit-déjeuner.

- C'est un nan-e nokhodchi,

pois chiches, clous de girofle,
pistache.

Ça fond dans la bouche.
- Hum...

- Je peux vous demander
quelque chose?

- Je vous écoute.

- Comment vous êtes-vous
retrouvé dans ma bouteille?

- Oh, c'est toute une histoire.

C'était ma
troisième incarcération.

- Vous avez été enfermé
trois fois dans une bouteille?

- Je suis peut-être un génie,

mais je suis aussi
un idiot

qui aime trop la conversation
des femmes.

Je vais devoir être plus prudent
dans le futur.

- Comment c'est arrivé
la première fois?

- Par désir.
Quoi d'autre?

- Qui était-elle?

- Saba.

- La reine de Saba?

- On était apparentés.
- C'était un génie?

- Sa mère était un djinn.
- Est-ce que c'est possible?

- Il y a des lois qui permettent
l'union des génies et des mortels,

mais ces unions ne peuvent pas
produire un rejeton immortel,

comme un âne et un cheval ne
peuvent produire qu'une vulgaire mule.

- Alors, de quoi
elle avait l'air?

- À part une épaisse couche
de poils noirs sur les jambes,

elle ressemblait à n'importe
quel autre être humain,

sauf, bien sûr,
qu'elle était Saba.

- Au dire de tous,
elle était très belle.

- Elle n'était pas très belle.
C'était la beauté même.

J'étais libre
à tous points de vue.

J'allais et venais à ma guise
dans sa chambre à coucher.

Saba...

Je connaissais aussi bien
que ses esclaves féminines

les caresses qui la faisaient
frissonner de plaisir.

Je n'ai jamais autant désiré
une créature.

- Est-ce qu'elle vous
désirait aussi?

- J'étais son jouet.
- Son confident.

J'aurais pu devenir plus,
s'il n'y avait pas eu Salomon.

- Le roi Salomon?
- Bénie soit sa mémoire.

Il a traversé le désert
pour la courtiser.

- Est-ce qu'elle est allée
à lui?

- Non. Jamais.

- Mais c'est dans tous
les livres saints.

Toutes les histoires
et les tableaux.

Et la musique écrite
par Haendel.

- Madame, j'y étais.
Salomon est venu à elle.

(en araméen):
Tu es Reine, libre comme un oiseau puissant...

Tu vois toutes choses d'un œil égal.

Pourquoi t'attacherais-tu

au lit de l'homme?

- Mon cher cousin Djinn...

aucun homme

ne pourra me séduire ainsi.

(musique douce)

(le djinn): Il commença
par de la musique.

(fracas)

(La musique reprend.)

(musique envoûtante)

(La musique envoûtante continue,
puis s'arrête.)

(déglutition)

J'ai tout fait
pour la dissuader.

Mais quand elle a utilisé
la cire d'abeille parfumée

pour enlever les poils
de ses jambes,

j'ai su que j'étais perdu.

Mais moi, comme un idiot,

j'ai continué à lui dire que
son corps était riche et beau,

mais que son esprit était plus riche
et plus beau, et plus résistant.

Et elle a été d'accord
avec tout ce que je disais.

Elle a laissé couler
une larme brûlante.

Elle a commencé
à lui confier des tâches

qui semblaient impossibles,

comme trouver tel fil
de soie rouge

dans le palais
aux mille chambres,

deviner le nom secret
de sa mère djinn,

lui dire ce que les femmes
désirent le plus...

- Cela me paraît impossible.

- Pas pour lui.

Il pouvait parler
aux bêtes de la terre,

et aux djinns faits
de feu subtil.

Il a trouvé des fourmis
pour découvrir le fil de soie,

et un éfrit pour chuchoter
le nom de la mère.

(langue étrangère)

Puis il l'a regardé
dans les yeux

et lui a dit ce que les femmes
désirent le plus.

Elle était stupéfaite,

et lui a dit qu'il avait raison.

(soupir)

Et ainsi elle lui a accordé
ce qu'il désirait le plus,

soit l'épouser
et être emmenée dans son lit.

(en écho, cri étouffé)

(tintement du bracelet)

- Saba...!

(le djinn): C'était
un grand magicien

et d'une incantation,

il m'a emprisonné
dans une bouteille en laiton.

(musique douce)

Elle n'a rien fait
pour l'en empêcher.

Je n'étais rien
pour elle.

Un souffle dans une bouteille.

(La musique douce continue.)

Et alors, j'ai été jeté
dans la mer Rouge,

où j'ai langui
pendant 2500 ans.

- À part dormir constamment,

que fait-on dans une bouteille
pendant 2500 ans?

- Un djinn ne dort pas.

(soupir)

- Mais alors qu'est-ce
que vous faites?

- Eh bien, pendant
les 100 premières années,

je rage contre mon destin.

Je prie Boschkolo
pour qu'il me libère,

et quand ça ne marche pas, je prie
tous les Dieux que je connais,

puis tous ceux
que je ne connais pas.

Et comme je n'ai toujours pas
de réponses,

je passe mon temps dans
des rêves éveillés

à revisiter toutes les histoires
de ma vie.

Et quand j'ai tout épuisé
maintes et maintes fois,

je retourne à ma prière
et à ma rage.

Et puis, finalement...

je me joue un petit tour.

Je prie pour rester
dans la bouteille.

Je supplie Boschkolo de toujours
me garder dans la bouteille.

- Et est-ce que ça fonctionne?

- N'aspirer à rien,

faire semblant
de ne vouloir rien d'autre

que d'être contenu
dans une bouteille? Non.

Pour un djinn, c'est frôler
la mort sans pouvoir l'atteindre.

(soupir)

Est-ce que vous connaissez
la réponse à sa question?

- Qu'est-ce que les femmes
désirent, c'est ça?

- Oui.
- Vous ne le savez pas?

Si vous ne le savez pas,
je ne peux pas vous le dire!

- Mais on ne veut sûrement pas
toute la même chose.

- Madame, vos désirs ne sont
pas très clairs pour moi.

- Euh, je... j'en suis à un point
de ma vie où je n'ai besoin de rien.

J'ose dire que je suis comblée
et reconnaissante.

- Dites-moi, êtes-vous
une épouse? Une veuve?

- Hum...
- Une mère, peut-être?

- Je n'ai pas d'enfants, pas
de frères ni de soeurs ni de parents.

- J'ai déjà eu un mari.
- Ah!

Et quelle était la complexion
de ce mari?

- Sa complexion?

Euh, au début,
il était étincelant.

- Et à la fin?

- Ce n'est pas très intéressant
comme histoire.

- Mais c'est une histoire.
C'est votre histoire

et il est toujours sage de comprendre
ceux qui ont une emprise sur vous.

S'il vous plaît.

(inspiration)

Euh... bien, OK. Euh...

Euh... on se connaissait
depuis notre jeune âge.

On... s'est mariés
très tôt.

JOUR DE GRADUATION, JUILLET 1992
DÎNER DE LA FACULTÉ, 3 MARS 1996

Au début, on appréciait tous les deux
le corps et l'esprit de l'autre. Euh...

PREMIÈRE ET DERNIÈRE IMAGE DU PETIT ENZO

On a passé des années bien agréables
ensemble, et puis un jour, comme ça,

tout s'est évaporé.

Et, euh...
on est devenus plus...

distants.
- Et où est-il?

- Il est à Hackney,
avec Emmeline Porter.

- Hum...

(soupir)

(Alithea): Il m'a dit que j'étais
incapable de lire des émotions.

(fracas)

(klaxon)

J'étais incapable
de lire ses émotions.

- Et ce qui va arriver...
une révolution!

- C'est tellement excitant.
- Et pourtant, tout le monde est en vie!

(Alithea): La façon dont
mon cerveau fonctionne est...

est à la fois la source
de mon pouvoir

et, euh... de ma solitude.

Je suppose que c'est pour ça
que j'aime les histoires.

Les histoires suscitent en moi
des émotions.

(soupir)

- Peut-être que vous pourriez
souhaiter qu'il revienne.

- Oh, non. Non, non.
Non. Non, non.

Non.

Euh... je pensais que, euh...

je pourrais ressentir comme une perte
et une trahison, mais, euh...

Non, en fait, j'étais libre.

J'étais comme un prisonnier émergeant
d'un cachot vers la pleine lumière.

Je me suis épanouie dans
l'espace de ma propre vie. Non...

J'ai... je ne pourrais pas
souhaiter mieux.

- Vous êtes une femme sage
et prudente, Alithea, mais...

nous avons tous des désirs,

même s'ils demeurent
profondément enfouis en nous.

- Eh bien, c'est très possible,

mais je suis aussi...

une narratologue, et ça risque
d'être un problème.

Ça va poser
un très gros problème.

Je connais toutes les histoires
sur les génies fraudeurs

et leur façon de manipuler
les voeux à leur avantage.

- Je ne suis pas
l'un d'entre eux, madame,

je crains le Seigneur, je suis
honorable et je suis seulement ici

pour exaucer
ce que vous désirez.

- OK, même si cela est vrai,

comment pouvez-vous vous fier à ceux
qui sont appelés à faire des voeux?

- Que voulez-vous dire,
au juste?

- Comment savez-vous que
vous pouvez compter sur moi?

- Eh bien, je l'espère.

Avec vous,
je l'espère d'autant plus.

- Il y a une...

une petite histoire drôle que
vous devez sûrement connaître.

Trois amis sont perdus en mer
dans une petite barque.

Ils attrapent un poisson magique

qui accorde un voeu
à chacun d'entre eux.

Le premier dit: « J'aimerais être
à la maison avec ma femme. » Il disparaît.

Le deuxième: « J'aimerais être
à la campagne avec mes enfants.»

Il part à son tour.

Et le troisième: « Je m'ennuie
de mes amis... »

- « J'aimerais qu'ils soient ici. »
- Et voilà.

Il n'y a pas une histoire de voeux
qui ne soit pas une mise en garde.

Aucune ne finit bien.

Pas même celles censées
être un peu drôles.

- Mais vous et moi sommes
les auteurs de cette histoire

et on peut éviter
tous les pièges.

- Et si je ne faisais
aucun voeu?

- Pardon?

- Si je ne fais aucun voeu?

- Ça, ça serait un...

(respiration haletante,
craquements)

Ça, ça serait...
(criant): ...catastrophique!

(respiration haletante)

(marmonnements indistincts)

(Alithea): D'accord...

(soupir)

- Laissez-moi vous raconter
ma seconde incarcération.

- Je vous écoute.
Allez-y.

(soupir)

- Je ne saurai jamais...

comment ma bouteille
du fond de la mer Rouge

s'est retrouvée dans un palais
à Constantinople.

Mais j'imagine que cela impliquait
l'assassinat d'un guerrier ottoman.

(soupir)

La chute d'un empire.

(fracas)

Et une fille amoureuse.

(propos indistincts en turc)

(La fille murmure.)

(fracas)

(en perse):
Et qui êtes-vous?

UN DJINN TOMBÉ DANS L'OUBLI

(le djinn): Gulten vivait
en esclave

dans la cour des concubines
dans le sérail.

(souffle du vent)

(grognement du djinn)

(exclamation de surprise)

- Quand je me suis révélé
à elle...

...elle s'est évanouie.

Et j'ai eu beaucoup de mal
à la réveiller.

(murmures indistincts)

Je lui ai fait comprendre
que je ne lui voulais aucun mal,

que j'étais condamné à vivre
dans la bouteille.

- Jusqu'à ce que vous ayez
vos trois voeux.

- Jusqu'à ce qu'elle ait
les siens.

- Oh! OK.
- S'il vous plaît.

- Bon, alors la pauvre fille
m'a dit

qu'elle était éperdument
amoureuse d'un très bel homme

et qu'elle souhaitait immédiatement
trouver faveur à ses yeux.

(en perse):
Je les ai faits pour toi.

(le djinn): Il se trouve que
celui qu'elle désirait le plus

était le splendide Mustafa.
Prince Mustafa.

Fils aîné de Suleiman
le Magnifique,

et probablement l'héritier
de son grand royaume.

(inspiration profonde)

Si j'avais su ce qui allait
arriver,

j'aurais risqué
les Furies d'Iblis

pour la détourner avec véhémence
de son voeu.

Mais sans réfléchir,
j'ai utilisé ma bouteille

et fait apparaître des huiles
pour la préparer.

Des huiles enchantées
utilisées autrefois par Saba.

(claquement)

Je l'ai avertie de cacher
la bouteille

de peur qu'elle ne tombe
entre d'autres mains.

Je suis allé voir Mustafa...

Gulten...

J'ai chuchoté son nom.

Il a demandé à la voir.

C'était tellement facile.
(claquement de la porte)

(ambiance festive)

En tant que djinn,

je suis toujours curieux
du comportement des humains.

Alors pendant mes heures libres,

je me mis à arpenter le palais
à la recherche de ses intrigues.

- Et là, parmi les eunuques,
les époux et les concubines,

j'ai vu Hurrem
pour la première fois.

La rieuse.
(éclats de rire)

(exclamations multiples)

C'était une esclave elle aussi,

mais elle s'était élevée
au-dessus des autres

au point de devenir
la favorite du sultan.

(exclamations admiratives)

(le djinn): Suleiman le Sage
n'avait d'yeux que pour elle.

Et elle avait l'oeil
sur son trône

pour ses propres fils et au détriment
du prince bien-aimé Mustafa.

Et à cette fin,
elle fit surveiller le prince

par plusieurs fidèles attentifs.

(rires en sourdine)

Quand j'ai vu comment Hurren orchestrait
avec finesse ses manipulations,

j'ai eu peur que ma Gulten
soit prise dans ce filet.

J'ai essayé de la prévenir
de faire attention.

(dialogue en perse)

(le djinn): Mais elle avait déjà décidé
quel serait son deuxième voeu.

(en perse):
Je veux tomber enceinte.

- De Mustafa?

S'il te plait, non!

- C'est ce que mon cœur désire.

Accorde-moi mon vœu.

Maintenant.

- Attends s'il te plait.

(en français):
Quelle erreur.

Parce qu'au même moment, Suleiman,
béni soit son nom, est compromis.

Ses guerriers pensent
qu'il se ramollit,

qu'il est plus intéressé
par sa poésie

que par régner
d'une main de fer.

(dialogue en perse)

(le djinn): Hurrem propage la
rumeur que les militaires

vont le faire abdiquer
et le remplacer par Mustafa.

Le prince est devenu un pion
dans cet incessant jeu de pouvoir.

(éclats de voix)

Suleiman le Magnifique,
Suleiman le Conquérant,

patron et protecteur
des empires,

Suleiman le Père

se retrouve devant un choix qui,
il le sait, va lui briser le coeur.

Gulten, entre-temps, ne voyait
aucune raison de se montrer discrète.

(rire fort)

Étant donné qu'elle portait
le fils du prochain sultan.

Malgré tous mes avertissements,

elle exhibe ses seins et son
ventre nouvellement gonflés.

Et les murmures se répandent
bientôt dans tout le sérail.

(musique percussive dramatique)

Les terribles complots
progressent très vite.

(tintement de la corde)

Le prince Mustafa se présente
innocemment devant son père,

pour le rassurer de sa loyauté.

(en perse):
Mon Sultan.

Père...

(le djinn, en français):
Mais les Muets l'attendent.

Il a appelé ses Janissaires
qui l'aimaient,

mais sa voix a été écrasée

et sa respiration arrêtée par
la corde de l'arc de son père.

(Elle fredonne.)

(ouverture d'une porte, fracas)

(en perse):
Ils viennent te chercher.

Fais un vœu!

Juste un autre vœu.

- Pourquoi?

- Gülten.

Ils viennent pour te tuer!

- Le Prince va me protéger.

- Il ne peut rien faire.

Fais un vœu!

- Il m'aime.

- Gülten.

Il est mort!

Il est mort!

Tous ceux qui l'aimaient sont morts.

Hürrem est maintenant après toi...

(grincement de la porte)

(le djinn, en français): Fais un voeu!

Sauve ta peau, Gulten!

Juste quelques mots et
elle aurait pu être libre

de porter son enfant
en toute sécurité,

et moi de m'évader enfin
dans le royaume des djinns,

mais elle s'est jetée
dans les mains des assassins.

(cris)
(Il crie.)

J'allais m'interposer
par la force

quand j'ai été bloqué
par un adepte d'Iblis.

(en langue ancienne):
Tu n'es pas le bienvenu ici.

Tu ne peux pas changer son histoire.

Si elle ne complète pas ses vœux,

tu es condamné.

(respiration haletante)

(gémissements craintifs)

- Gulten!

Elle n'a fait aucun voeu
pour sauver sa vie.

Aucun voeu qui nous aurait
sauvés tous les deux.

Alors, voilà où j'ai été,
ou plutôt, si on peut dire

où je n'ai pas été
presque émancipé.

Et toujours attaché à ce monde
par un troisième voeu non exaucé.

- Mais vous réalisez
n'est-ce pas

que vous venez juste de me raconter
l'histoire d'une femme qui a été condamnée

à cause des voeux
qu'elle a exprimés?

- Oui, mais son refus de compléter
les voeux a aussi été terrible pour moi.

- Personne d'autre n'aurait pu
le faire à sa place?

- C'est ce que j'espérais.

- Et ça vous aurait libéré
une fois pour toutes.

- C'était mon unique espoir.

- Mais ça vous a rendu
invisible.

- Comme un fantôme.
Errant et caché.

- Et votre bouteille était
cachée sous la pierre détachée

connue seulement
de la défunte Gulten.

- Oui, c'était un problème.

J'ai essayé d'attirer
l'attention de quelqu'un,

n'importe qui
qui aurait pu m'aider.

(grincement de la pierre)

Mon Dieu, combien j'ai essayé.

Je suivais leur parfum,
chacun de leur pas

en suppliant, en criant, n'importe quoi
pour attirer leur attention vers moi.

(musique percussive)

Et j'ai fait ça pitoyablement
pendant 100 ans,

et après chacun de mes échecs,

ma volonté a commencé
à s'estomper.

Et puis en 1620,

l'espoir renaît sous la forme
d'un garçon avec une épée.

(rire)

DEUX FRÈRES ET UNE GÉANTE

- Murad!
(rires)

Murad!

(claquement de la pierre)

Murad!

(claquement de la pierre)

Je ne sais pas comment,
mais ce garçon sent ma présence.

Je suis capable de l'attirer
vers la pierre.

(musique percussive)

(bourdonnement d'insectes)

(ouverture de la porte,
souffle du vent, bourdonnement)

(son creux)

(gémissement d'effort)

(grincement de l'épée)

- Ibrahim!

(en perse)

(au loin): Murad!
Ibrahim!

(le djinn): Et juste au moment où
je m'apprêtais à être délivré de leurs mains,

leur mère les trouve.

(en perse)

(le djinn):
Elle s'appelle Kosem,

une veuve du Sultan
Ahmed premier.

Et les garçons sont les prochains
en liste pour le trône.

Quand je vois les poils
sur ses jambes,

je sais que quelque part
dans la lignée de Murad

bat le coeur d'un djinn.

Je le suis partout,

déterminé à le ramener
à la pierre,

mais à l'âge de 11 ans, il monte sur
le trône et devient le Sultan Murad IV.

Et rattrapé par les intrigues
habituelles,

il devient plus inaccessible
que jamais.

(cris de combat)

À 20 ans,
il mène ses armées à la guerre.

Il combat aux côtés de ses hommes
dans le Caucase et en Mésopotamie.

(hennissements)

On fait grand état
de son imprudence,

même envers sa propre vie.

Je désespère de le revoir
un jour.

- L'espoir est un monstre,

Alithea,
et je suis son petit jouet.

- Alors il est mort?

- Pas au combat.

Là-bas à Istanbul,

Kosem se doit
de protéger le trône.

Elle doit protéger Ibrahim.

- Le petit frère?
- Oui.

Il est le dernier
de la lignée ottomane.

Il doit avoir
des descendants mâles.

Alors, Kosem l'enferme dans une cage
entièrement tapissée de zibeline.

(Alithea): Toute une prison.

(le djinn): Qu'il ne voudra plus
jamais quitter.

Ça le débauche royalement.

Il croit que plus
il y a de la chair,

plus le plaisir est intense.

Alors, Kosem recherche des beautés
voluptueuses et immenses,

et les amène dans sa couche.

Mon destin est essentiellement
lié à ce fétiche.

- Expliquez-moi?

- Vous allez comprendre.

(musique percussive)

(cris de guerre)

(éclats de voix indistincts)

Murad est de retour.

Et bien qu'il revienne
en conquérant,

il ne peut se débarrasser
de ces images de sang.

La guerre a
vraiment pourri son âme.

(respiration haletante)

(claquement des sabots)

J'attends qu'il soit seul.

Je suis déterminé
à le ramener à la pierre.

(Alithea): Je ne veux pas
vous interrompre, mais j'ai une question.

Le genre de voeu qu'un tel homme
peut faire vous importait-il?

Un homme si insatiable.

- Non.

- Même si c'était
profondément maléfique?

- Pas si cela signifiait
ma liberté.

La vérité, c'est qu'il avait
d'autres choses en tête.

Il se croit invincible,

et pour régner indéfiniment,

il doit se débarrasser
de tous ses rivaux.

(en perse):
Pourquoi gâcher ton épée, mon Lion?

- Ibrahim?

Ibrahim?

(tintement de l'épée)

(en perse):
Grand frère...

- C'est un bébé.

Comment pourra-t-il un jour régner?

(le djinn):
Kosem doit l'arrêter.

D'une manière ou d'une autre,

elle devait le distraire de sa soif
de sang avec d'autres plaisirs.

(bris de verre)

D'abord, elle s'arrange pour
qu'il soit ivre en permanence.

Et puis elle essaie
quelque chose de très astucieux.

Quelque chose
qui pourrait vous plaire.

(Il imite des bruits de combat.)

Elle envoie chercher,
aux quatre coins de l'empire,

les meilleurs conteurs.

(pop!)

(rires)

(gémissement)

(rires)

(grincement de la lame)

Ceux qui ne sont pas
assez éloquents fuient

par peur de périr
sous les coups de sa colère.

(sifflement de la flèche)

Il y en a seulement un

qui a la capacité
de l'enchanter,

de l'apaiser
avec des histoires,

de le tenir en otage
de leur dénouement.

(Le conteur parle perse.)

(petit rire)

(rires étouffés)

(rires)

(le djinn): C'est son seul ami..

Et cette amitié
se transforme en amour.

Comme je n'ai rien
d'autre à faire,

j'écoute avec gratitude,

car moi aussi, j'aime me perdre
dans ses histoires.

Quand le vieil homme meurt,

tous les gens du palais
fuient dans les rues

par crainte que le chagrin de Murad
n'entraîne un nouveau meurtre.

(reniflement de Murad)

Mais il reste assis,
hurle et boit

jusqu'à ce qu'il soit
ivre mort.

(musique lancinante)

Et ma patience est récompensée.

Car dans cet état,

je peux enfin attirer
son attention

et le ramener
vers la salle de bain secrète.

(Alithea): Oh, je sais
ce que vous allez me dire.

Il va être trop faible
pour soulever la pierre.

- Trop faible même pour tourner le loquet.
(cliquetis)

Alors, il s'en va et boit jusqu'à
s'endormir pour l'éternité.

- Oh!

- Et me voilà...

abandonné à moi-même

sans personne pour entendre
ma voix,

personne pour me connaître,

ni me percevoir,
ni me ressentir.

Vous ne pouvez pas imaginer.

- Oui, en fait, j'y arrive.

- Pouvez-vous imaginer la solitude
qui vous envahit totalement?

- Oh oui.

- Nous n'existons que si
nous sommes réels pour les autres.

Vous êtes d'accord?
- C'est sûr.

- Tel est donc notre destin,
Alithea.

Si vous ne faites aucun voeu,

je serai coincé
entre deux mondes,

invisible et solitaire,
pour l'éternité.

(petit gémissement d'Alithea)

Faites un voeu, Alithea.

Qu'il soit
ce que votre coeur désire.

- Je ferais plus attention
si j'étais vous.

Visiblement, vous avez réussi
à trouver la sortie.

- Plus ou moins.

- Je commence à croire que
je suis en présence d'un tricheur.

- Ce serait tellement mieux.

Mon travail serait
tellement plus facile.

Mais la vérité, c'est que
je ne suis qu'un idiot

qui a été
extrêmement malchanceux.

- Eh bien, je dois vous croire
sur parole.

(Il soupire.)

(Elle soupire.)

Alors?

Euh... Je suppose
qu'Ibrahim devient le Sultan?

(le djinn): Ibrahim doit être
traîné sur le trône.

(en perse):
Mère!

Mère!

Il nomme une de ses concubines
Gouverneur de Damas.

Son nom est Sugar Lump.

Sa préférée,
à tous points de vue.

Si elle n'avait pas été
libre d'errer,

elle n'aurait pas trouvé
la salle de bain secrète.

Si elle n'avait pas décidé
de prendre un bain,

elle ne l'aurait pas
trop rempli.

Si elle n'avait pas été maladroite
en traversant la pièce,

elle n'aurait pas glissé, brisé la pierre...
(fracas)

...et trouvé ma bouteille.
- Ah, oui!

(gémissement intrigué)

(respiration haletante)

(le djinn): Pour être honnête,

j'aurais dû faire preuve
de plus de dignité,

mais j'ai commencé à supplier,
sans gêne.

(en perse):
S'il vous plait madame...

ma situation est grave.

Je suis désespéré.

Vous devez m'aider.

- Tu pues.

- Faites un vœu!

Faites n'importe quel vœu!

Faites plein de vœux!

- Je ne veux rien avoir à faire

avec un Djinn sournois.

- Quelque chose dont vous rêvez?

Une seule chose!
Souhaitez-la!

Exprimez-la!

Dites-moi!!
Maintenant!

MAINTENANT!!

(Elle crie en perse.)

(le djinn): « Je souhaite que tu retournes
dans ta bouteille au fond du Bosphore! »

Alors me voilà tombé
entre vos mains délicates.

- Il semble qu'on ne puisse pas
se détacher l'un de l'autre.

- Je suis à votre merci.

- Ces voeux...

c'est un art assez risqué.
« Je souhaite »

peut créer des dénouements à l'infini.
- Pas nécessairement.

- Mais c'est là,
dans toutes vos histoires.

- Je sais, mais--
- Vous dites ne pas être un tricheur

et vous dites que vous et moi
sommes les auteurs de cette histoire.

Mais je ne peux pas
m'en auto-exclure.

- Oui, c'est exact.

- Et si vous retourniez
dans votre bouteille?

Je la donnerais
à quelqu'un de plus crédule?

Quelqu'un de plus désespéré.
Quelqu'un de plus avide.

- Je ne retourne pas dans la bouteille.
- Pourquoi pas?

- Je ne retourne pas
dans la bouteille.

- Eh bien, non, je ne ferai pas
trois voeux.

- Alors vous me condamnez
à être oublié.

- Oh, vous êtes impossible.
- Et vous me donnez un mal de tête.

- D'accord.
D'accord.

Voici ce que je vais faire.
Je vais faire trois voeux.

- Avant de mourir?
- Maintenant!

Un après l'autre.
Prêt?

- Numéro un: je souhaite
que votre mal de tête cesse.

Numéro deux.

Je souhaite
une gorgée de ce thé.

Et enfin, j'en souhaite
un autre comme ça.

- Vous vous moquez de moi.

- Trois voeux, parfaitement
simples, et en théorie fiables.

- J'ai été emprisonné
par Salomon

précisément pour avoir laissé
mon coeur dicter ce qu'il désirait.

J'obtiendrai ma libération à
condition d'assouvir vos désirs.

- D'accord, j'apprécie
la corrélation,

mais le problème est que
je ne peux vraiment pas

invoquer un seul voeu
digne de ce nom

et vous m'en demandez trois!

- Y a-t-il de la vie en vous?
Êtes-vous même en vie?

- Vous savez, dans certaines cultures,
l'absence de désir signifie l'illumination.

- Vous n'êtes
qu'une simple idiote.

- Si je suis satisfaite,
pourquoi tenter le destin?

- Et vous êtes lâche.
- Ne me poussez pas.

- Il n'existe pas d'être humain,
pas d'ange, ni de génie

qui ne saisirait pas la chance
de combler ses désirs les plus profonds,

et je suis aux prises avec celle qui
prétend ne rien vouloir du tout.

Alithea Binnie, soyez honnête!

- Savez-vous quoi? Je commence
à souhaiter ne pas vous avoir connu.

- Non! Non!
(fracas)

Ne dites pas ça.

(vrombissement)

(halètements)

(tintement de verre)

- Alors...

ça vous est déjà arrivé.

Et c'était affreux.

- C'était affreux.

C'était amer.

C'était le voeu
le plus cruel de tous.

- Vous êtes encore victime
de votre maladresse.

- Je suis ici
à cause d'un génie.

- Et c'était qui cette fois?

- C'était Zefir.

Il y a rarement eu dans toute
l'humanité une telle merveille.

- Mais vous vous retrouvez ici
à cause de sa folie.

- J'ai abouti là-dedans
à cause de Zefir.

Et c'est l'histoire que vous avez évité
de me raconter depuis le début.

- C'est l'histoire que j'ai
évité de me raconter à moi-même.

LA RÉPERCUSSION DE ZEFIR...

(claquements de sabots)

Zefir était
une enfant abandonnée,

mariée à 12 ans
à un riche marchand.

Il était beaucoup plus âgé
qu'elle et gentil,

si on peut considérer garder un oiseau
en cage comme un acte de gentillesse.

Il y avait deux épouses
plus âgées,

qui ne l'aimaient pas
et ne lui parlaient pas du tout.

(claquements de ses talons,
respiration haletante)

(le djinn): Tout le monde,
y compris les domestiques,

semblait se moquer d'elle.

- Oh!

(cliquetis du loquet)

- Elle n'avait ni éducation
ni bonnes manières.

Elle n'était pas très belle

et se mettait en colère
sans savoir pourquoi.

(tintement)

Le destin a voulu que
ma bouteille lui soit offerte

comme un gage d'amour
par son mari.

Et quand elle eut fini
de le satisfaire

et fut enfin seule,
elle réussit à l'ouvrir.

PHASE 1
ONDES ÉLECTROMAGNÉTIQUES.

PHASE 2
VAPEUR.

PHASE 3
PARTICULES ORGANIQUES.

PHASE 4
LA FORMATION D'ORGANES...

-C'était
comme si elle m'attendait.

J'ai tout de suite vu
qu'elle était vive,

et elle a vu que je cherchais
désespérément la liberté et la conversation.

Je lui ai raconté mon histoire,
comme je vous l'ai racontée,

et elle s'est révélée à moi par
les objets qu'elle avait fabriqués.

(Elle parle en perse.)

(exclamation perse)

(Elle lui parle en perse.)

(le djinn): On aurait pu se souvenir
d'elle comme du savant Da Vinci,

dont les théories sur le vol
fascinaient les sultans et les rois.

C'était une artiste accomplie,

mais personne ne voyait
son talent.

(Elle parle en perse.)

(le djinn): Elle m'a dit qu'elle était
consumée par ses pouvoirs inutilisés.

Elle pensait qu'elle était
peut-être une sorcière.

Elle disait que si elle avait
été un homme,

son intelligence aurait été
normalement reconnue.

C'était une femme
avide d'apprendre,

et je savais quel serait
son premier voeu.

(en perse):
Je veux le savoir.

Je souhaite acquérir...

toutes les connaissances

qui sont utiles

...magnifiques et réelles.

(le djinn): J'ai été ravi
de réaliser son voeu.

Alors je lui ai enseigné
l'histoire, la philosophie,

les langues, la poésie.

Je lui ai appris l'astronomie,
les mathématiques,

c'était un bonheur pour elle.

Je lui ai apporté des livres
et des écrits

que nous avons cachés dans
sa collection de bouteilles.

(en perse)

(Il discute en perse.)

Elle pouvait toujours invoquer
Aristote d'un bocal de verre rouge,

ou Euclide
d'un bocal vert,

Pythagore, Spinoza, sans avoir
besoin que je les réincarne.

(Ils discutent en perse.)

- Nous avions le monde
entier dans sa chambre,

et mon coeur
ne lui a pas résisté.

C'était mon bonheur de...

de la voir s'épanouir,

de la rendre heureuse.

Et elle s'est épanouie
dans tous les sens.

Totalement.

Elle commença même à se rebeller contre
les gestes de soumission qu'exigeait son mari,

car elle avait acquis une
maîtrise dans l'art de l'amour,

hors de portée de tout humain qui
n'aurait pas fait l'amour avec un djinn.

(chant céleste)

(cri étouffé)

(Il parle perse.)

(le djinn): Son désir pour elle
est devenu une obsession.

(en perse):
Es-tu heureuse?

(soupir)

(le djinn): Et quand il venait
à elle,

je quittais sa chambre et
voyageais à travers les cieux.

J'ai vu les montagnes,
les océans...

J'ai vu les bêtes de la forêt,
là où personne ne s'aventure.

Et quand je revenais,
elle m'attendait.

Je lui racontais ma journée

et ça la remplissait à la fois
de joie et de déception.

(Alithea): Pourquoi n'a-t-elle
pas fait le voeu d'être libre?

- Il y avait quelque chose
de plus important pour elle.

Elle avait conçu
un « mathematica »,

un langage pour expliquer les forces
qui donnent naissance à l'espace,

au temps et à la matière.

Elle était prométhéenne,
courageuse.

Mais elle n'a pas pu résoudre
cette énigme.

Il lui fallait une clé, une clé pour
ouvrir les portes de sa conscience.

Alors, elle a utilisé
son second voeu.

Je lui ai appris à rêver comme
le font les djinns, tout éveillés.

(musique douce)

Et ainsi,
les solutions lui sont venues.

Elle a été en mesure d'expliquer
les pouvoirs invisibles,

les champs électromagnétiques
et les forces.

Toutes ces choses intangibles
desquelles les génies sont faits.

- Vous êtes électromagnétique?

- Comme vous êtes poussière,
je suis fait de feux subtils.

Et quand elle a porté un enfant,

j'étais rempli de bonheur,

car je savais que
cela nous renforcerait.

- Elle portait votre enfant?

- Un enfant...
de poussière et de feu.

- Alors, qu'est-ce qui a
mal tourné?

- Alithea, je l'aimais.

J'aimais la ferveur
de son esprit.

J'aimais ses colères.

J'aimais mon pouvoir de changer ses
froncements de sourcils en sourires.

Je l'aimais plus que Saba.

- Plus que votre liberté?
- Oui.

C'est devenu mon plus grand
désir de...

de la garder,
de demeurer son prisonnier.

La simple idée d'être libéré
me rendait malade.

(dialogue en perse)

Je me suis surpris à l'arrêter de peur
qu'elle ne fasse son troisième voeu.

- Oh, mon Dieu.

- Et ça a tout gâché.

Elle a commencé à m'accuser
de la piéger, comme son mari.

(Elle pleure, parle en perse.)

- J'ai essayé de faire
amende honorable.

Pour me racheter, j'étais... j'étais
prêt à me remettre dans la bouteille.

À être enfermé.

De cette façon, elle aurait
les pleins pouvoirs sur moi.

(Elle crie.)

(sanglots)

- N'être rien
dans une bouteille,

j'étais prêt à ça
pour elle.

Et à chaque fois,

ça la calmait.

À chacune des fois,
sauf la dernière.

Quand tout à coup, comme un orage
soudain avec tonnerre et éclairs,

elle a commencé à pleurer
et à gémir, et a dit:

« Je souhaite oublier
de t'avoir rencontré. »

(respiration haletante)

(le djinn): Et c'est ce qui est
arrivé, en un instant.

J'étais piégé,
elle était libérée.

Elle m'avait oublié.

Alithea, comment
est-ce possible...

que d'aimer quelqu'un à ce point
soit une erreur?

- J'ai un voeu.

Cependant, j'ai bien peur
que ce soit trop demander.

- Est-ce que c'est
en mon pouvoir?

- Je l'espère. Vraiment,
je l'espère, oui.

- C'est ce que votre coeur
désire?

- Oui, j'en suis certaine.

- Vous voyez,

c'est pour vous aimer
que je suis ici.

Et, euh...

je souhaite que
vous m'aimiez en retour.

- Voulez-vous qu'on explore
l'art de faire l'amour?

- Oui, ça aussi.

Je veux tout.

- Et vous voudriez
vous abandonner à ça?

- Oui.

Euh... oui.

Je veux que nos solitudes
se rejoignent.

Je veux cet amour qu'on sublime
dans les contes anciens.

Je veux ce désir que vous avez
ressenti pour la reine de Saba,

et cet amour que vous avez donné
à votre surdouée, Zefir.

Ah oui, tout ça.

(Il parle en langue djinn.)

Moi?

- Vous.

(en langue djinn)

Vous?

- Moi.

Est-ce que c'est trop?

Est-ce que c'est trop
demander?

- Alors, viens.

(souffle du vent)

(Alithea): Que faire
des désirs éveillés?

Comment puis-je vous convaincre
que j'ai trouvé l'amour avec un djinn?

En tout cas,
très peu me croiraient.

L'amour n'est pas une chose
à laquelle on arrive par la raison.

C'est plus comme une vapeur -
un rêve, peut-être -

pour nous entraîner dans
l'enchantement de nos propres histoires.

Et si c'est le cas, comment
pouvons-nous savoir si c'est même réel?

Est-ce une vérité
ou simplement une folie?

(musique orientale)

(ambiance urbaine au-dehors)

(soupir)

(vrombissement
de sa brosse à dents)

Je pars pour Londres
aujourd'hui.

Viendrais-tu avec moi?

Ce n'est pas un endroit facile
de nos jours.

Mais ce serait bien mieux
si tu y étais.

- Par ici, s'il vous plaît.

Levez les bras.

(bips, vrombissement)

Veuillez sortir.
(bip!)

Qu'est-ce que vous avez
dans les poches?

- Oh!

Euh, c'est une bouteille
vide et, et un bouchon.

- Veuillez les passer
aux rayons X.

- Oh, c'est très délicat, et je ne
veux pas qu'elle soit endommagée.

- Ça ne va pas l'endommager.
Veuillez les passer aux rayons X.

- J'aurais préféré que ça n'entre pas--
- Passeport.

Carte d'embarquement.
- D'accord.

Voilà.

C'est assez fragile.
- Madame.

- C'est une salière.

Oh!

Non! Non! Pas de rayons X! Je vous en prie!

- Arrêtez, madame.
Arrêtez.

- Rien à signaler.

- Madame.

- Oh...

(voix des passagers)

(claquement de la portière)

Quand tu seras prêt.

(tintement)

(voix d'enfants dehors)

- L'air est dense ici.

Plein de voix insistantes
et de visages pressés.

- Oh?

Comme mini Einstein?

Télévision, antennes
téléphoniques, et autres?

- Oui.
Oui.

Tous vos appareils ingénieux
murmurant à l'unisson.

Baisse la tête.

(cacophonie de voix
et d'ondes sonores)

- Oh!
Tu entends tout ça?

(cacophonie)

- Je le vois aussi,
et je le ressens.

Je... je suis un émetteur.

- Ce n'est pas trop pour toi?

- Je suis un djinn.
Je m'adapte.

Je vais bientôt m'y habituer.

- Elle est revenue.

- Je crois bien
qu'elle est revenue.

- Elle est avec quelqu'un?

- Non, je pense qu'elle parle
encore toute seule.

- Bonjour, Clementine.

Fanny.

Vous allez bien?
- Vous avez eu des problèmes?

- Problèmes?

Quel genre de problème?
- Avec vos amis étrangers.

- Parce qu'on se demande souvent: « Pourquoi
la docteure Binnie perdrait-elle son temps

et son intelligence à étudier les coutumes
des autres au lieu de défendre les nôtres? »

- Embarrassée par notre
culture britannique, c'est ça?

- Non.
Non.

Je suis plus susceptible d'être
embarrassée

par une personne qui aurait
une peur irrationnelle de la diversité.

- Qu'est-ce que vous sous-entendez?
- Elle nous traite de racistes.

- C'est vous qui le dites,
pas moi.

- Vous avez mal compris.
- Oh?

- Ce n'est pas leur allure,
ma chère.

Ce sont leurs coutumes.
Leurs façons de vivre.

- Et ce qu'ils mangent.
- De quoi vous parlez?

- Partout où l'on va,
les ethnies.

Nous sommes littéralement envahis
et nous courons à notre perte.

- Ce n'est pas normal.

- Les oiseaux évoluent dans
le ciel. Et les poissons dans l'eau.

- Et c'est ce que le bon Dieu
a voulu que nous soyons.

- Vous ne faites que débiter
des insanités.

- C'est de la science.
C'est un fait scientifique.

(effet d'écho)
- C'est une mauvaise analogie.

Je veux dire, les animaux
ont un habitat naturel.

C'est vrai, mais les êtres
humains sont tout à fait capables

de choisir de vivre
où bon leur semble.

- Ce n'est pas un fait.
- Qu'est-ce que vous dites?

- C'est une opinion.
- Et vous avez tort.

- Je ne supporterai pas
d'entendre un mot de plus.

- Bon... Allez, viens, Clem. Laissons
cette folle à elle-même.

On ne lui fera jamais comprendre
quoi que ce soit.

- Vous savez, je ne vous l'ai
jamais dit auparavant,

mais je vous trouve pitoyables.

- Ferme ta grande gueule!
- Bien stupides et pitoyables.

- Et toi,
t'es une vraie connasse!

Empêche ton herbe à puce

de grimper
de notre côté du mur!

- Pourquoi je leur permets
de m'énerver?

Je devrais plutôt avoir pitié
d'elles.

Mais je suis ici
chez moi.

C'est mon sanctuaire.

(profonde inspiration)

Je pourrais souhaiter
qu'elles... hum!

(cacophonie sonore)

Ce n'est pas un voeu,
en passant.

- Je sais.
(soupir)

(La cacophonie s'estompe et se
transforme en musique classique.)

(La musique classique douce
continue.)

(♪♪♪)

(♪♪♪)

- Mon djinn.

- Comment était ta journée?

- Chaque oreille attentive
était la tienne.

Chaque voix, chaque arôme
et chaque toucher.

Tu étais partout.

Je reviens dans une minute.

(hurlement des sirènes au loin)

- Qui ça peut être
à cette heure-ci?

- C'est peut-être elle.

- Clem.

Fanny.

Pois chiches,
clous de girofle, pistache.

Ça fond dans la bouche.

Lui, c'est mon ami.

Il va rester
un certain temps.

- Bonjour.

- Bonjour.
- Bonjour.

(Alithea): Mon génie m'a dit que quand ils
se réunissent dans le royaume des djinns,

ils se racontent
des histoires.

Les histoires sont comme
de l'air qu'on respire pour eux.

Elles ont un sens.

« Oui » j'ai dit.

« C'est exactement
pareil pour nous ».

Chaque histoire qu'on raconte est un fragment
d'une mosaïque sans fin qui change de forme.

Et ce petit caillou, comme
toutes les histoires, a une fin.

S'il s'agit d'un voeu,
c'est une mise en garde.

Alors comment cette histoire
peut-elle mal tourner?

C'est peut-être déjà le cas.

Même si la Vérité toute nue
s'est tenue devant eux,

ils lui ont tourné le dos.

Alors, la Vérité s'est mise sur
le côté et a attendu dans l'ombre.

(Alithea): Souvent,

le djinn accompagnait
la narratologue à son travail.

Et quand il n'était pas avec elle, il allait
explorer le monde avec passion.

(bips)

(le djinn): Aujourd'hui, j'ai
passé une journée merveilleuse.

J'ai vu beaucoup de choses.

J'ai vu un humain regarder dans
le cerveau vivant d'un autre humain

et arrêter une hémorragie
mortelle.

J'ai visité le Collisionneur.

Un immense gadget qui sonde
l'essence de la matière.

Et puis j'ai vu
une antenne parabolique.

Une grande assiette qui écoute les murmures
des étoiles mortes depuis longtemps.

Le genre humain est...
est une merveille, Alithea.

- Je suis ravie
de te l'entendre dire.

- Tout ça depuis le début de ma
captivité dans la bouteille de Zefir.

Toutes ces réalisations
en moins de 200 ans.

- Oui, mais à vrai dire, ce n'est que
de l'ingénierie et de la technologie.

Et malgré tout ce tapage,
nous demeurons perplexes.

Quand on ne peut pas
contenir le chaos...

on se retrouve face à nos peurs
et on panique,

et on se retourne
les uns contre les autres.

- Mais bien sûr,
vous êtes humains.

Et ça,
c'est votre nature.

- Oui. Alors, l'histoire
ne va jamais changer.

La haine l'emporte.

Elle se métastase
et elle survit à l'amour.

Je veux seulement parler
de l'amour.

- Un vrai labyrinthe
de contradictions, c'est inouï.

- Je te remercie.

- L'humanité, quel paradoxe.

Vous avancez à tâtons
dans le noir

et pourtant, vous exploitez
votre intelligence à bon escient.

C'est toute une histoire.

(petit rire)

J'ai hâte de voir
où elle nous mènera.

- Ou comment elle finira.

- Ça aussi.

Un mortel ne le saura jamais,
mais un djinn sûrement.

Un djinn a tout le temps
du monde, tu sais.

- Vous avez bien de la chance.

- Peut-être.

Mais vous,
créatures de poussière, avez...

avez réussi à éclipser le pouvoir et
le but premier des génies et des anges.

Vous n'avez plus besoin de nous.

Peut-être que
nous allons dépérir--

- Quoi, disparaître?
- Oui.

- Oui. Eh bien ça, c'était le
sujet de toutes mes conférences

et de tous mes articles.
- Je sais.

- Et malgré tout, tu es là.

Mon impossible.

- Oui.

- Allô?

Je suis rentrée!

Allô?

Djinn?

Mon amour?

Oh!

Djinn!

Qu'est-ce que c'est?

Est-ce que tu m'entends?

Parle-moi.

Essaye de me parler.

C'est mon voeu, parle-moi.

(craquement)

Oh!
(exclamation de surprise)

(gémissement)

(toux)

- Je... je dormais.

(gémissement d'effort)
Je dormais!

- Un génie ne dort pas.

- Allons nous promener.
Une longue marche de santé.

Je nous ai préparé
quelque chose.

J'ai tout prévu.

Une merveilleuse nuit
pour nous.

Ça va être exceptionnel.

Le meilleur moment de notre vie.
- Arrête!

- Ces champs électromagnétiques,

je peux les éliminer de ma tête,
je peux les repousser.

Allons faire un pique-nique.

(Il parle en langue djinn.)

Ah, et jouer du ukulele.

(en langue djinn)

Alithea,
il y a une place pour moi ici.

- Ces forces ne partiront jamais,
elles ne quitteront pas ce monde.

- Je vais les surmonter, je peux
faire ça rien que pour toi.

Tu es mon Alithea,
et je t'aime.

- Merci. Merci.
Merci d'avoir essayé.

- Tu ne penses pas
que je t'aime?

- L'amour est un cadeau, c'est un don
de soi offert sans rien attendre.

Ce n'est pas quelque chose
que nous pouvons exiger.

Je nous ai trompé
tous les deux.

Au moment où j'ai formulé
ce voeu,

je t'ai enlevé le pouvoir
de l'accorder.

Tu sais...

moi plus que n'importe qui,
j'aurais dû savoir ça.

Je ne vais pas encore
tout gâcher.

Mon génie,

si ce monde n'est pas pour toi,

je souhaite que tu retournes
dans ton monde.

Où que ce soit dans l'univers.

(craquements)

(bris de verre)

(respiration haletante)

(cliquetis de l'interrupteur)

(soupir)

(musique lancinante)

TROIS ANS PLUS TARD

Au Royaume des Djinns,
ils se racontent des histoires...

(rires)

Djinn électromagnétique - Phases de formation

- Maman!
(rires)

- Viens ici!
Mon petit singe.

(rires)
Ce n'est pas maman.

- Maman!
- Maman est par ici.

- Maman!
(rires)

Trois mille ans à t'attendre

(aboiements)
- Joli chien!

(souffle du vent)

- Un, deux, trois.

(musique classique douce)

(éclats de voix des passants)

(rires)
- Oh, c'était génial!

(Alithea): Il venait la visiter
de temps en temps,

et ils profitaient
de chacun de ces moments.

Malgré l'inconfort
de ce ciel pesant,

il restait toujours plus
longtemps qu'il ne le devait.

Longtemps après qu'elle l'ait
supplié de partir,

il lui promit de revenir
de son vivant,

et pour elle,
c'était largement suffisant.

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