All language subtitles for Orlando, Ma Biographie Politique AKA Orlando, My Political Biography

...

Rumeur lointaine

...

Frottements répétés d'une brosse

...

-Quelqu'un m'a demandé un jour :

"Pourquoi n'écris-tu pas
ta biographie ?"

J'ai répondu :

"Parce que fucking Virginia Woolf
l'a écrite à ma place

en 1928."

Je suis désolé d'avoir dit
"putain de Virginia Woolf".

Je l'ai dit
avec tendresse et admiration,

car ton écriture me semblait
impossible à surpasser.

Mais aussi,
je l'ai dit avec rage,

car tu nous as représentés,
nous, les trans,

comme des aristocrates
de l'Angleterre coloniale qui,

un beau jour, se réveillent
dans un corps de femme.

Tu ne pouvais pas savoir,
c'est vrai,

que ce n'était pas comme ça
qu'on devenait trans.

C'était plus difficile.
On risquait sa vie à chaque fois.

Je voulais t'écrire pour te dire
que je suis un de tes Orlando.

Je suis vivant,
je suis sorti de ta fiction.

Si tu savais, le monde contemporain
est plein d'Orlando.

Nous allons changer
le cours de l'histoire.

Donc, j'ai décidé
de t'écrire une lettre,

à toi qui avais écrit et reçu
des milliers de lettres.

Je pourrais tout aussi bien
t'écrire une lettre

alors que tu es,
au sens organique du terme, morte,

même si, en termes inorganiques,

tu n'as jamais été aussi vivante.

C'est l'une des nombreuses choses
que j'ai apprises en te lisant,

la vie commence
avant notre naissance

et se termine, bien sûr,
longtemps après notre mort.

Alors, tout comme tu as écrit
ma biographie avant ma naissance,

j'ai décidé de t'envoyer une lettre
après ta mort.

...

Bruissement du vent

...

-Je suis Janis Sahraoui

et, dans ce film, je serai
l'Orlando de Virginia Woolf.

J'adore mon prénom.

Il est super important pour moi.

En plus,
c'est ma mère qui me l'a donné,

je suis très attachée à ma mère.

J'ai perdu ma mère
quand j'étais jeune, à 7 ans,

et c'est quelque chose
que j'ai envie de garder d'elle.

C'est important pour moi,

c'est elle qui a choisi mon prénom.

J'aime bien comme il sonne.

Pour moi, il y a quelque chose
de très musical,

et même de très non binaire.

-Je m'appelle Oscar Rosa Miller,

et, dans ce film, je serai
l'Orlando de Virginia Woolf.

-Orlando était l'un des noms
que mes amis voulaient me donner,

lorsque j'ai commencé

ma transition de genre.

Je ne me sentais pas capable
de porter ce nom.

J'étais peut-être retenu
par l'ascendance aristocratique

du personnage, par l'épaisseur
anglaise de son sang,

par son visage pâle
et ses boucles blondes.

Rien ne pouvait être plus éloigné

de l'existence du fils
d'un garagiste et d'une couturière

d'une ville anonyme
du nord de l'Espagne

que la vie d'Orlando,
inspirée par ton amante,

Vita Sackville-West.

C'est peut-être pour ça
que je me suis appelé Paul,

et non pas Orlando.

-Tu me raconterais l'histoire
d'"Orlando", de Virginia Woolf ?

-Orlando, c'est un jeune garçon,
un adolescent,

et ça finit, en fait,
c'est une femme qui a la trentaine.

Cette personne change de corps
au milieu du livre.

-Ah oui ?

-On ne sait pas combien de temps
cette personne va vivre.

On traverse plusieurs siècles
alors qu'Orlando n'a que 30 ans.

Ce serait inspiré
d'une personne qui a existé.

-Ah, OK.

-C'est la copine
de la meuf qui a écrit.

-Tourne un peu
le visage là.

-T'es un peu un Orlando.
-Mais grave !

Toi aussi, en vrai.

On a tous un côté Orlando en nous,
je crois.

-Voici l'enfant Orlando.

-En ce moment, je me définis
en tant que personne non binaire,

même si je m'estime
toujours changeant.

-Son style n'était pas semblable

à celui des hommes de lettres
de l'époque,

ni non plus à celui des femmes.

-Mon sexe n'est pas douteux,

quoique la mode de mon temps fasse
quelque chose pour me déguiser.

Les habits, toute ma corporalité
devient très importante,

car j'ai envie d'être vu

comme étant vraiment pas genré
comme homme ni comme femme.

-Autour le fait qu'Orlando
transitionne, en fait,

c'est pas stigmatisé dans le livre,
et c'est beau de le voir comme ça.

En fait,
c'est presque pas le sujet,

on se laisse porter,
c'est fluide, et ça...

C'est juste une personne
qui déroule sa vie.

D'avoir écrit ça à cette époque,

c'est incroyable,

et c'est aussi un livre
extrêmement féministe.

C'est aussi un gros fuck
au patriarcat !

En fait, il ne perd jamais,
ou elle ne perd jamais

sa connexion avec la nature,

et son amour
qu'il a avec les arbres.

On sent une vraie sensibilité.

Ma première prise d'hormones,

j'étais dans un parc dans Paris.

Et... Je me suis posé,
j'ai médité,

et, du coup,
j'étais entouré de nature,

ça m'a fait du bien.

J'avais envie
que ce moment soit important,

et, la première image
que je voulais garder,

c'était ça.

C'est marrant de se retrouver là.

J'aime sentir,

sous la fuite légère de l'été,
les vertèbres de la terre.

Je m'y accote,

car la dure racine du chêne
est cela pour moi.

-ELLE EST TON CORPS.

LE DOS D'UN GRAND CHEVAL
QUE JE MONTE.

-Ou le pont d'un bateau penché.

Elle est, à vrai dire,
n'importe quoi de dur,

car je sens
le besoin d'une chose

à laquelle amarrer
mon coeur indécis.

-CE COEUR
QUI BAT DANS NOS FLANCS,

CE COEUR EMPLI DE TOURMENTS...

-Chargé d'épices et de langueur
tous les soirs,

à 19 h.

-À CHACUNE
DE CES PROMENADES.

C'EST SOUS LE CHÊNE
QUE JE LE FIXE.

-Tandis que je demeure,
là, couché.

Peu à peu, les palpitations
intérieures ou environnantes

s'apaisent.

-LES PETITES FEUILLES
DEMEURENT SUSPENDUES.

LE DAIM S'ARRÊTE.

-LES PALES NUAGES D'ÉTÉ
S'IMMOBILISENT.

-MES MEMBRES
SE DÉPOSENT SUR LE SOL.

-Et je demeure couché
dans une telle quiétude...

-QUE, PAS À PAS,
LE DAIM S'APPROCHE.

-LES FRUITS
TOURBILLONNENT SUR MA TÊTE.

LES HIRONDELLES
PLONGENT ET VIRENT,

LE VOL DES TEMPS VROMBIT,

COMME SI TOUTE LA FERTILITÉ

ET L'ACTIVITÉ AMOUREUSE
D'UN SOIR D'ÉTÉ

TISSAIENT LEUR TOILE
AUTOUR DE MON CORPS.

...

-Mes goûts sont larges.

J'aime les fleurs,

les fleurs simples.

Les fleurs sauvages ont un attrait
pour moi fascinant.

J'aime les lieux écartés,

les vastes horizons.

-Goûter au charme de se sentir
à jamais, jamais,

jamais seul.

-Quand j'étais enfant,
je me souvenais

de ne jamais arriver à choisir.

Je crois que c'est un peu ça
qui m'est resté, en fait.

Je ne veux pas choisir
un truc ou un autre.

Je veux pouvoir faire
un mélange explosif tout seul

de ce que je veux.

Ça, depuis toujours.
Et, ce truc-là,

ce que mes parents
appellent "phases",

ce que j'aime bien appeler
des passages de ma vie,

des périodes.

La vie ne ressemble pas du tout
à une biographie,

n'est pas une série d'épisodes
ou d'aventures sentimentales.

Ou des scènes descriptives.

Ni même la servitude
de l'existence quotidienne.

Mais elle consiste
en la métamorphose de soi.

Se laisser transformer par le temps.

Devenir non pas seulement un autre,
mais d'autres.

-Dans ton roman,
à certains moments de l'histoire,

poussé par une souffrance extrême,
Orlando dort pendant une semaine,

un mois, un an.

C'est comme ça
qu'Orlando traverse

les siècles.

Je me souviens d'avoir lu ton roman

avant de savoir que le changement
de sexe existait vraiment,

ou, du moins, avant de rencontrer
une personne qui l'avait fait,

quand j'avais 14 ou 15 ans.

Dans ton livre,
le changement de sexe d'Orlando

arrive dans son sommeil.

Je me suis dit que,
si cela était arrivé à Orlando,

cela pouvait m'arriver aussi.

Alors, le sommeil
est devenu pour moi

le royaume magique dans lequel
la transition de genre avait lieu.

Cela explique peut-être pourquoi
je dors autant et si bien.

Ainsi, les nuits sont devenues
des salles d'attente silencieuses

dans lesquelles,
plongé dans mes pensées,

j'attends que le changement
de sexe s'opère.

J'imaginais le lit
comme une table d'opération

onirique et sans douleur,

où mon corps allongé
était recodifié.

Je croyais que le sommeil
pouvait agir sur le corps

comme un processus chimique
agit sur un élément.

Je pensais que le sommeil
était comme la congélation

ou comme l'évaporation,

un processus qui incite
à un changement de forme

mais pas de sens.

Il y a des passages
de la vie d'Orlando,

chère Virginia,
que tu as oublié de raconter.

Donc, je n'ai pas d'autre choix
que de t'en parler,

si je dois faire sa biographie,
c'est-à-dire ma biographie.

*Sonnette

Dans ton livre, tu parles
de la rencontre d'Orlando

et de la reine Élisabeth

comme d'une confrontation
entre l'esprit libre,

poétique et encore enfantin
d'Orlando,

et la violence du pouvoir impérial.

Mais tu as oublié de parler
d'une 2e confrontation,

tout aussi importante.
À partir du XIXe siècle,

ceux qui, comme Orlando,
traversent les frontières du genre

sont confrontés
au pouvoir de la psychiatrie.

Regarde tes Orlando.

Ils n'ont pas vécu

comme des aristocrates
ni comme des poètes,

ils ont été réduits à être
des patients de la psychiatrie.

Mais, toi aussi, tu savais pas mal
de choses sur la psychiatrie.

Tu étais comme nous,
chair de l'asile.

Non pas en tant que trans
ou en tant que lesbienne,

tu étais plutôt au placard
sur la question,

mais en tant
que grande mélancolique.

Regarde. Celui-là, c'est moi.

Moi aussi, j'ai fini
chez le psychiatre

pour la 1re fois à 14 ans,

lorsque mes parents
ont compris que j'étais,

ils disaient à l'époque,
"une femme trop masculine".

J'ai dû y retourner encore
lorsque j'ai voulu obtenir

un changement de genre légal.

C'est ce que tu n'as pas dit,

ni dans "Orlando"
ni dans "Une chambre à soi".

Tu étais l'une des nôtres.

-Orlando.

Orlando Christin,
s'il vous plaît.

-Oui, c'est moi.

Je suis Liz Christin.

Et, dans ce film, je serai
l'Orlando de Virginia Woolf.

-Je suis Frédéric Pierrot,
et, dans ce film,

je serai le Dr Reine, psychiatre.

Asseyez-vous,
je vous en prie.

Bien. Avant de commencer
la consultation,

je dois vous prévenir
qu'il va y avoir

un dépassement d'honoraires
de 80 euros

par rapport au tarif
de prise en charge.

Je n'accepte ni les chèques
ni les Cartes bleues.

-Oui, je sais.

-Très bien.

Donc, vous m'avez été envoyé
par votre mère,

et, selon elle, vous vous obstinez,

enfin, vous persistez
à vous habiller en jeune fille

et à parler de vous
au féminin.

-Oui, je me suis disputée
avec elle.

-La question que je me pose
est la suivante,

comment et pour quelle raison
vous êtes-vous cru...

Comment dirais-je ?

Autorisé

à porter une jupe,
en tant que jeune homme ?

-Je ne suis pas un homme.

-Ah !
Vous seriez donc une femme ?

-Je ne dirais pas exactement ça
non plus.

-Quel est votre sexe,
réellement ?

-Mon sexe n'est pas douteux,

quoique la mode de mon temps fasse
quelque chose pour me déguiser.

-Diriez-vous de votre père
qu'il est

masculin ?
-Ça oui, très masculin.

Il est parti faire les croisades

et nous a ramenés
plein de têtes de Maures.

-En effet.

Donc,
ce n'est pas lui le problème,

vous ne vous identifiez pas
à lui.

-Non.

-Donc, vous avez
une identification féminine.

Vous pensez, enfin,
vous vous sentez,

comment dirais-je,
à l'étroit,

prisonnier, enfermé dans
votre corps d'homme, c'est ça ?

-Quelle obsession avec le binaire.

Non, je suis un corps vivant

enfermé dans un régime normatif.

-Je ne comprends pas

très bien, je vais vous poser
la question autrement.

Détestez-vous
vos organes sexuels ?

Par exemple,
votre pénis.

-Non. J'ai un pénis féminin,

et ça ne me pose aucun problème.

-Pénis féminin.

Mmh, intéressant.

Mais vous me parlez d'un fantasme,
pas d'une réalité biologique.

Votre sperme, par exemple,
est-il féminin ?

-Bien sûr !

Les organes et les fluides corporels
ne sont en soi

ni masculins ni féminins.

Le discours du binarisme sexuel
est une invention de la modernité.

-Mmh.

Bon.

Et vous avez souvent
ce genre d'idées, de pensées ?

-En lisant de la poésie.

Je crois que je suis touchée
du mal de la littérature.

Il rit.

-Mmh.

Passionnant.

Écoutez, on va regarder
tout ça dans le détail.

Suivez-moi.

-Quelqu'un en veut une ?

Moi, si.

-Ben...

Ben, moi, je veux bien.

J'attends justement
une prescription.

-Alors, attention
à ce que tu lui dis.

Parce que, le Dr Reine,
il est super sévère.

Si tu lui dis
que tu es non binaire,

il te renverra vers chez toi

avec un coup de pied
au cul

et sans pilules.

Il faut
que tu lui dises

que tu détestes
tes organes génitaux

et que tu as envie
d'être une femme hétéro.

-Mais c'est pas ce que je veux.

-Mais tu veux tes pilules ou pas ?

-Oui.

-Alors, ferme ta gueule
et fais mine d'être une bonne fille.

-Tu dois un peu flipper,
Virginia,

en voyant tes Orlando
échanger des hormones.

Tu sais, au XXe siècle,
juste après ta mort,

les hormones ont commencé
à être commercialisées

par l'industrie pharmaceutique.
Pas uniquement pour nous,

les trans, mais surtout
pour la pilule contraceptive.

Les hormones des femmes trans
et celles de la pilule

sont exactement les mêmes.

La seule différence est
que, pour les femmes hétéro cis,

l'ordonnance est automatique,

alors que, pour les trans,

elle dépend
d'un diagnostic psychiatrique.

-Quelqu'un veut de la testo ?

-Oui, moi, je veux bien.

Ça fait 2 mois
que j'attends mon ordonnance.

-Je te fais une injection ?

Oui ?
Un petit 150 ?

-Oui.
-Allez.

Baisse ton froc,
mon petit chéri.

Ça va ?

J'y vais.

Musique de club

...

En anglais
-Regarde, ma biche, ce petit truc

Tu veux savoir
ce qu'il y a dedans ?

Ta libération !

...

-Ne laisse pas Freud ni Lacan

Entrer dans tes rêves
et te squatter le cerveau

À qui appartient ton histoire ?

À Dieu, à l'État,
à la psychiatrie, à la loi ?

À l'industrie ?

À personne d'autre que toi !

Vas-y, mords

Tu es peut-être synthétique
mais jamais contrite

Tu n'es pas la chienne du docteur

Tu es peut-être synthétique
mais jamais contrite

Tu n'es pas la chienne du docteur

Leurs catégories sont pathétiques

Tu es tellement plus poétique

Prosthétique, mais magnétique

Tu n'es pas la chienne du docteur

Regarde, Virginia

Ce que nous sommes devenu.e.s !

Veux-tu venir avec nous ?

Pharmacolibération

On te dit dysphorique

C'est juste métaphorique

Ils protègent leurs privilèges

Ils ont peur de la beauté

Je suis ton Orlando, Virginia

Tu n'imaginais pas
que je pourrais vivre comme ça ?

Pharmacolibération

-Face à la tâche
de raconter ma biographie,

je me retrouve dans ta position,

lorsque tu as voulu
faire celle d'Orlando.

Comment filmer la biographie
d'une personne trans aujourd'hui ?

Ou, pour le dire autrement,

comment construire
une vie orlandesque,

une vie de poète des genres

au milieu d'une société
binaire et normative ?

Je suis d'accord avec toi,

l'affection
ne s'oppose pas à la vérité.

Et toute vie individuelle
est une histoire collective.

-Je suis Ruben Rizza,
et, dans ce film,

je serai l'Orlando
de Virginia Woolf.

"Le grand gel fut le plus dur
que nos îles eussent jamais connu.

"Les oiseaux gelaient dans l'air

"et tombaient comme des pierres
sur le sol.

"La mortalité dans les troupeaux
et le bétail fut énorme.

"Les cadavres gelaient
et se collaient aux draps.

"Mais, tandis
que le peuple de la campagne

"endurait la dernière indigence

"et que tout le commerce du pays
se trouvait suspendu,

Londres fêtait le carnaval
avec un éclat sans pareil."

-Ton "Orlando", Virginia,

c'est un livre sur la métamorphose
de la subjectivité,

pas uniquement
sur le changement de sexe.

La première métamorphose
révolutionnaire, c'est la poésie,

la possibilité de changer le nom
de toutes les choses,

y compris les noms propres.

La 2e et la plus profonde
des métamorphoses,

c'est l'amour.

C'est pour ça
qu'Orlando tombe amoureux

avec l'arrivée du grand gel
et la transformation de l'eau,

le plus essentiel de ses démons,
en glace.

Ton livre était aussi
une lettre d'amour à Vita,

qui fut, pendant quelques mois,
ton amante.

Quand tu l'as rencontrée,
elle était l'écrivain à succès

et, toi, trop expérimentale,
tu étais son éditrice.

Pour toi,
elle était insaisissable,

riche héritière
d'une lignée aristocratique

et femme mariée avec de multiples
aventures lesbiennes.

Elle allait briser
ton coeur de midinette.

Justice poétique,
"Orlando" allait devenir

ton premier grand succès littéraire
et un livre à scandale

que la famille de Vita
essaiera d'interdire.

-"Mais c'était le soir
que le carnaval battait son plein.

"La Lune et les étoiles
scintillaient

"avec la dure fixité de diamants,

"et, à la délicate musique
des flûtes et des trompettes,

"les courtisans dansaient.

"Je venais à peine
de vendre l'étalon

"lorsque j'aperçus,
sortant du pavillon

"de l'ambassade moscovite,
une silhouette qui,

"masculine ou féminine,

"car la tunique lâche
et les pantalons russes

"en déguisaient le sexe,
m'emplit de la plus vive curiosité.

"Cet inconnu, ou inconnue,
était de taille moyenne,

"de forme très svelte,

"et portait un habit de velours
couleur d'huître,

"garni d'une étrange fourrure verte.

"Quand le jeune garçon,
car, hélas,

"c'était sûrement un garçon,

"aucune femme n'aurait patiné
avec autant de vitesse et de force,

"me dépassa d'une glissade
presque à la pointe de l'orteil,

"je fus prêt à m'arracher
les cheveux de désespoir.

"Si l'inconnu était un homme,

"l'étreindre était hors de question.

"Il s'approcha.

"Ses jambes, ses mains,
son port même étaient d'un garçon.

"Mais jamais un garçon
n'eut une bouche semblable.

"Jamais un garçon
n'eut une telle poitrine.

"Jamais un garçon
n'eut de tels yeux,

"comme sortis des profondeurs
de l'océan.

"Ralentissant enfin pour arrondir,

"avec la grâce la plus noble,

"une révérence à l'intention du roi
qui se traînait à petits pas,

"l'inconnu s'immobilisa.

"Iel était à deux doigts de moi.

"Je l'ai contemplé, j'ai tremblé,

"j'ai eu chaud, puis froid,

"j'ai brûlé de bondir
dans les souffles ardents de l'été,

"d'écraser des glands,

"d'enlacer des chênes et des aubes.

"J'ai décidé de le - ou la -
nommer Sacha,

en souvenir d'un renard blond que
j'avais eu quand j'étais enfant."

-Je suis Castiel Emery,
et, dans ce film,

je serai Sacha,
dans l'"Orlando", de Virginia Woolf.

En grandissant, j'ai eu
beaucoup de dysphorie,

mais j'étais pas sûr

si c'était de la dysphorie de genre

ou si c'était juste
que j'aimais pas mon corps.

-Moi, j'avais 7 ans.

Vu que j'étais enfant,
je comprenais pas trop,

je pense que je n'avais pas
la maturité pour prendre du recul

et comprendre ce qui m'arrivait,

mais j'étais toujours
dans l'entre-deux,

vestimentairement, dans les jouets,
dans les fréquentations,

j'étais toujours entre deux.

Même moi, je me sentais entre-deux,

puisqu'on me disait :
"T'es une fille ?"

"Oui, je suis une fille."

D'un autre côté, je me disais :
"Je suis pas totalement une fille,

mais je sais pas quoi d'autre."

-J'ai jamais eu vraiment
quelqu'un qui a dit : "Oui,

tu as de la dysphorie de genre,
je te diagnostique transgenre."

Au contraire, j'ai plutôt eu
des psys qui me disaient :

"C'est juste une phase,
t'es une femme, je le sais."

-J'ai commencé à aller mal
par rapport à moi-même,

j'arrivais plus
à me regarder dans le miroir,

j'arrivais plus
à me supporter moi-même,

j'étais fort en colère,
mais on savait pas la raison.

Du coup, j'ai vu plusieurs
médecins spécialisés,

psychologues, psychiatres.

Au début, on m'a beaucoup dit
que c'était à cause de mon poids,

parce que j'étais en surpoids,
et, les réponses que j'avais,

c'était :
"Faut cacher les biscuits."

-Ça fait depuis 2017 que j'essaie
de prendre des hormones,

et je peux toujours pas,
j'essaie de passer par le public.

Et, en fait, ils trouvaient
que j'étais trop féminin

dans mon style vestimentaire.

Parce que je porte des bijoux,
je ne suis pas un homme.

-J'ai commencé le traitement
de bloqueur de puberté à 11 ans,

parce que j'avais commencé
ma puberté féminine,

et c'était vraiment
une grosse douleur.

Je voyais mon corps changer
comme absolument...

Je voulais l'inverse, en fait.

Je commençais à avoir
de la poitrine, des hanches.

On m'a mis sous bloqueur
de puberté pendant 3 ans,

et j'ai commencé la testostérone
en juillet, il y a 8 mois.

-La mammec',
ça m'a vraiment libéré,

ça m'a permis de jouer encore plus
avec mon style vestimentaire,

et avec ma manière d'être, en fait,

ça a vraiment libéré quelque chose.

Je pense que les hormones
vont avoir le même effet,

je pense que ça va être ça,
encore plus.

-J'étais super content.

C'était tout ce que je voulais
depuis 4, 5 ans. J'en rêvais.

Au début de ma transidentité,

j'avais l'impression d'avoir
une sorte de masculinité à prouver.

Je faisais tout pour être
dans la masculinité extrême,

avec des vêtements bien sombres,

je marchais d'une manière
très caricaturée,

avec les épaules comme ça.

Je faisais exprès de prendre
une voix très grave,

d'avoir toujours l'air
très en colère...

C'était typé masculin
vraiment très fort.

Et, en fait, au bout d'un an,
on va dire,

pendant un an, j'ai fait ça,

et je me suis rendu compte
que c'était ridicule,

parce que la masculinité
peut se présenter

de plein de formes
différentes et variées.

J'ai encore du chemin à faire
sur ça,

je suis encore jeune,
je n'ai que 15 ans.

Mais c'est vrai
que j'ai eu un beau parcours

avec la masculinité.

-J'ai toujours de la dysphorie
pour d'autres choses...

Yes !

Mais la mammec'
m'a quand même tellement aidé.

Des fois, je me sens pas bien,

et, juste, je me rappelle
que j'ai eu la mammec',

je passe une main sur mon torse,
je me vois dans un T-shirt,

et ça change tout.

-Aujourd'hui, je me définis
comme garçon trans,

et pas que comme garçon.
On me dit beaucoup :

"Pourquoi tu dis pas juste
que t'es un garçon ?"

J'ai l'impression que, quand
je me présente que comme garçon,

j'efface tout ce que j'ai vécu
en tant que personne trans,

ça efface une partie
de mon histoire.

Je préfère me présenter
en tant que garçon trans.

-J'ai l'impression
que, dans notre société actuelle,

on met beaucoup l'accent
sur l'amour romantique,

en couple, à deux, exclusif,

qui mène vers un futur
où on vit ensemble,

les enfants, machin, machin.

Et c'est pas du tout
ce qui m'attire, en fait.

-C'était avec une personne
qui s'appelle Sacha,

que j'ai rencontrée
en manifestation.

C'est vrai que ça faisait bizarre,

parce que...
Quand j'étais plus jeune, enfin,

il y a un an ou deux,

tout ce qui était question
de l'autre, et surtout de l'amour,

j'avais l'impression que, tant que
j'avais pas terminé ma transition

et que j'étais pas bien
avec moi-même,

c'était pas une bonne idée
de se mettre avec quelqu'un d'autre,

parce que je serais pas
assez construit avec moi-même,

et que j'aurais pas forcément
le droit à ça,

alors que si, totalement.

Et, en plus, Sacha
qui, lui aussi, est un garçon trans,

ça fait que je me suis senti
compris très vite,

je me suis senti soutenu aussi,
très vite,

par une personne
que je connaissais pas,

c'était une des premières fois
que ça m'arrivait.

Il y avait 3 filles
qui me draguaient,

Florinda, Favila et Euphrosina.

Trois très féminines,
très binaires, très hétéro,

ce que je suis pas trop.

Toutes trois auraient fait
des épouses parfaites

pour le noble
que j'étais censé être,

mais elles m'intéressaient pas.

Mais des avocats étaient déjà
en train de faire

les contrats de mariage
avec une telle Lady Margaret,

et puis, le grand gel arriva.

Musique de chambre du XVIIe siècle
"Semper Dowland Semper Dolens"

...

-Comme Orlando,
moi aussi, je suis tombé amoureux

pour la première fois
un jour de neige.

J'ai embrassé une fille
dans le froid,

et la chaleur de sa bouche
est entrée dans la mienne.

-Je n'ai jamais aimé personne
comme je t'aime, toi.

Tu es la neige, la crème,

le marbre, les cerises.

Tu es un albâtre.

Tu es un galon doré,

et rien de tout cela.

Tu es un olivier
et un renard dans la neige.

Tu es un melon et une pomme de pin.

Tu es le printemps.
Tu es une émeraude.

Tu es les vagues de la mer
vues du sommet d'une falaise.

Tu es le soleil sur une colline
verdoyante, mais embrumée.

...

-Mais, tu as remarqué que je ne suis
ni un garçon ni une fille ?

-Oui.

Tu ne ressembles à rien
de ce que j'ai vu ou rencontré.

C'est pour ça
que je t'aime.

Tu sais
que, si je reste ici,

je devrai épouser
Lady Margaret.

Alors, partons ensemble.

Tu veux partir avec moi ?

-Oui. Oui.

Rendez-vous demain, à minuit.
Je viendrai te chercher.

(Ce sera
le jour de ma vie.)

-"Longtemps avant minuit,
je l'attendais déjà.

"Je tendais l'oreille
au moindre pas,

"interprétais le moindre bruit.

"J'attendais que Sacha vienne seule,

"vêtue de culottes et d'un manteau,

"bottée comme un homme.

"Soudain, j'ai été frappé au visage
par un soufflet moelleux,

"lourd, pourtant,
sur le côté de la joue.

"Si tendue était mon attente
que j'ai sursauté

"et mis ma main à mon épée.

"Le soufflet se répéta 12 fois
sur mon front,

"sur mes joues.

"Le froid sec
avait duré si longtemps

"qu'il me fallut une minute
pour comprendre

"que c'étaient
des gouttes d'eau.

"Les gouttes, d'abord,
tombèrent lentement,

"calmement, une à une.

"Mais, bientôt,
les 6 devinrent 60, puis 600.

"Enfin, elles se ruèrent ensemble
en une lourde trombe d'eau.

"Il eût dit
que le ciel massif, solide,

venait de s'écouler soudain
en cataracte."

Le tonnerre gronde.

Pluie battante

...

J'ai alors compris
que Sacha ne viendrait pas.

Tonnerre

...

"Lorsque l'aube éclata,

"le spectacle le plus extraordinaire
s'offrit à ma vue.

"Là où, depuis 3 mois, on n'avait
rien vu que de la glace solide,

"si épaisse qu'elle avait pris
la permanence de la pierre,

"et que, sur ce dallage, toute
une cité joyeuse s'était élevée,

"des flots jaunâtres se ruaient
maintenant en désordre,

"le fleuve avait retrouvé
sa liberté dans la nuit.

"Tout n'y était
que tumulte et chaos.

"La rivière, jonchée d'icebergs,

"était en train de se dégivrer.

-Dans l'été qui suivit cet hiver
fameux par ses désastres,

les gels, les inondations,
l'arrivée des virus,

la mort de milliers de créatures

et l'écroulement
des espoirs d'Orlando,

car on le vit exilé de la cour,

tenu en profonde disgrâce par
les plus grands noms de son temps,

en cet été, donc,

Orlando fit retraite dans
sa grande maison, à la campagne,

et vécut là
dans une solitude totale.

Orlando ne souffre pas seulement
de sa rupture avec Sacha,

mais aussi de son isolement,

de la honte et du rejet
causés par sa différence.

Orlando avait compris
que sa condition non binaire

ne pouvait pas être justifiée
par l'héritage familial.

Il lui fallait
descendre dans la crypte,

où gisaient, au fond des cercueils,
empilés les uns sur les autres

des générations d'ancêtres
inconnus et oubliés côte à côte.

...

Et il trouvait un charme étrange

aux pensées des morts
et des corruptions.

Mais,
dans ces moments mélancoliques,

Orlando voyait la tête des morts
comme un opérateur de la mutation.

Se regarder dans une tête de mort
comme dans un miroir,

se faire un portrait profond de soi
qui prend en compte

la dimension temporelle
et quasi géologique de chaque vie.

La tête de mort
est le masque universel.

Écrire ma biographie, Virginia,

c'est aussi descendre avec Orlando
dans l'obscurité,

là où il n'y a
ni portraits ni témoins.

Entrer dans le royaume des morts,

c'est comprendre
que nous sommes les héritiers

d'une histoire effacée,

c'est apprendre
à honorer les morts,

les sans-visage
qui nous ont précédés.

Les Orlando de l'histoire

qui ont succombé
à la violence institutionnelle,

familiale, économique et sociale

sont comme des squelettes
perdus dans l'archive.

Toi aussi, Virginia, tu as connu
la violence et la dépression,

en tant qu'enfant
violée par ton frère,

en tant que femme
peut-être non binaire,

qui aimait d'autres femmes,

mais qui ne pouvait pas s'affirmer
en tant que lesbienne,

puis en tant qu'adulte fragile
et institutionnalisée

par la psychiatrie contemporaine.

Le 28 mars 1941,

terrifiée par tes propres
crises dépressives,

par la mort de ton neveu
dans la guerre civile espagnole

et par la peur de voir la guerre
arriver en Angleterre,

tu as rempli tes poches de pierres

et tu es entrée
dans la rivière Ouse,

à côté de ta maison.

Ton corps n'a été retrouvé
que le 15 avril.

Qui racontera notre histoire ?

Il est nécessaire
de survivre à la violence

pour pouvoir
raconter notre histoire.

Il est nécessaire
de raconter notre histoire

afin de survivre à la violence.

Mais, contrairement
à ce que tu imaginais, Virginia,

Orlando n'était pas seul.

-Qui est là ?

Il y a quelqu'un ?

-Je m'appelle Élios Levy
et, dans ce film,

je serai Orlando,
de Virginia Woolf.

-Orlando ?

Je t'attendais.

-Je m'appelle Julia
et, dans ce film,

je serai Orlando,
de Virginia Woolf.

Longtemps, je suis restée perdue

dans les profondeurs

de ma méditation
sur les valeurs de l'obscurité.

La joie de ne pas avoir de nom.

D'être comme une vague
qui revient se confondre

sans cesse
dans les profondeurs de l'océan.

L'obscurité, songeais-je,

délivre l'esprit des courbatures

du dépit et de l'envie,

fait courir dans les veines

les eaux libres de la générosité
et de la grandeur d'âme...

Permet de donner et de recevoir

sans soucis de louanges
ou de remerciements.

Et c'est sans doute ainsi qu'ont
vécu les grands poètes du genre.

Coccinelle ou Marsha P. Johnson,
sans doute,

ont ainsi bâti
leur corps et leur vie

comme d'autres
bâtissaient des cathédrales.

-Ça faisait des années
que je me disais :

"Mmh, je crois que...

"Je crois que je suis
quand même quelque chose...

Je crois que je suis
un peu Orlando",

mais j'avais pas encore les mots.

J'ai été traité par la médecine,
mais...

les médecins étaient guère
plus sages qu'aujourd'hui.

Ils m'ont prescrit
le repos et l'exercice,

le jeûne et la suralimentation...

-Ils m'ordonnaient de rester
couchée au lit, toujours,

et de couvrir 40 000 miles
au galop

entre le dîner et le déjeuner.

-Ils m'ont fait avaler
des sédatifs et des excitants...

Du Prozac et de la bave
de lézard caillée le matin,

du diazépam et un grand trait
de fiel de paon

au moment de se mettre au lit.

-Heureusement,
j'étais de constitution robuste.

Mais, ni la psychologie
ni la médecine n'ont pu me guérir.

Seulement la lecture et
l'affirmation de ma pulsion de vie

ont pu me guérir.

-J'ai fait ma première
injection de testostérone

samedi dernier,

après qu'on se soit rencontrés.

Mais une petite dose, pour voir.

Parce qu'en fait, je crois pas
que j'aie envie de passer

pour un mec cis.

Et je pense que...

passer pour une personne trans,
ça m'irait.

En même temps, c'est quand même...

À la fois,
ça me fait vachement peur,

cette liberté-là.

-Dans le livre, il parle du fait
qu'il va devoir perdre

ses habits masculins,
et que ça va être difficile,

qu'il va vivre,
qu'elle va vivre, du coup,

désormais, en tant que femme,
avec des habits de femme.

Et ça va être aussi compliqué de
vivre dans une société patriarcale.

Et, ça, ça m'est resté, je pense.

Je me dis, qu'on soit homme
non binaire, femme, ou trans...

on peut s'identifier
dans ces mots-là.

Ils resteront à jamais modernes,
en fait.

-Ça fait hyper peur, en fait,

qu'on a sans doute
des privilèges à perdre, quoi.

Mais, du coup, oui,

on voit se combiner
la mélancolie et l'indolence,

l'ardeur
et la passion de la solitude.

Avant d'être qui je suis maintenant,

je suis passé par des passages
très dépressifs, oui.

J'ai même pensé à la mort.

-J'ai vraiment une rage
que j'ai envie de partager.

Une rage intérieure, déjà.

Et je vois tellement d'amis
autour de moi

qui se sentent, je dirais...
qui se sentent pas libres.

Même si je suis en colère, parfois,

je suis très heureuse
de le partager,

parce que c'est une joie.

C'est une joie
de pouvoir le dire à ses amis,

de pouvoir
dire vraiment qui on est.

Et surtout...

Et surtout, oui, ne pas avoir peur,
même si c'est difficile.

-Les années avaient passé.

Même si Orlando voulait
se cacher dans son château,

iel était assailli par des messages
haineux sur ses comptes.

Pour échapper à la vie de la cour
et au harcèlement digital,

iel demanda au roi Charles de
l'envoyer aussi loin que possible.

-"Ici, se cache l'ambition,

"cette rosse.

"La haine,

"cette sorcière,

et le désir de gloire,
cette putain."

*Message envoyé

...

Bonjour, je suis Orlando.

J'ai été nommé ambassadeur
extraordinaire à Constantinople

par le roi Charles.

Apparemment, c'est chez vous
que je peux trouver

mes attributs de la masculinité.

-Je devrais
avoir quelque chose.

Et voilà.

-Autre chose ?
-Bien sûr.

Toujours pas ?
-Non.

Il arme.

-Orlando commença alors
à comprendre

ce que voulait dire être un homme
dans une société patriarcale.

Ne pas simplement avoir le droit
de faire usage de la violence,

mais plutôt en avoir l'obligation.
-Je vais prendre ça.

-Par contre,
dans une société patriarcale,

devenir femme
équivaut à être désarmé.

-Bonjour.

-Bonjour.

Je viens juste jeter
un coup d'oeil, merci.

-Je vous en prie.

-En lisant l'un des manuscrits
d'"Orlando"

conservé
à la Bibliothèque de New York,

j'apprends que, toi, Virginia,

tu t'étais incluse toi-même
dans ton livre

comme un personnage,
avec le nom : Volumia Fox.

-Je voudrais acheter ce renard.

-Je suis désolé,
il est pas à vendre.

-Et si je vous l'échange
pour ça ?

-Il est authentique ?
Du XVIIIe siècle ?

-1740, exactement, oui.

-Avec grand plaisir.

-C'est bon ?
-Oui.

-Par la suite,
tu as enlevé ce passage,

et ton personnage a disparu.

Dans toutes les histoires,
il y a des personnages cachés

ou des personnages fantômes
qui demeurent invisibles.

J'aime bien ton pseudonyme,
Volumia Fox.

C'est vraiment un super nom
de drag queen.

Triana : "Abre la puerta"

-Yo quise subir al cielo para ver

Y bajar hasta el infierno
para comprender

-Puis, un jour d'été,

Orlando est finalement arrivé
à Constantinople.

...

Là où les historiens
auraient voulu élucider

le mystère de sa transition,

ils ont trouvé un trou
dans le manuscrit.

Bref, nous avons fait l'impossible
pour composer un maigre résumé

d'après les fragments noircis
qui demeurent.

Mais, souvent, nous avons
trouvé nécessaire de spéculer,

de supposer, même
d'avoir recours à l'imagination.

Constantinople
va s'avérer pour Orlando

le lieu magique
de toutes les découvertes.

Mais, le plus important,
c'est que, toi, Virginia,

tu as décidé que ce sera
pendant ce voyage

que le changement de sexe
aura lieu.

Aussitôt arrivé,
Orlando fut parfumé,

frisé et oint selon l'usage,

son corps transformé en
représentant du pouvoir impérial.

Mais surtout,
son visage fut blanchi.

Au milieu du XVIIe siècle,

avant que la notion des races
soit inventée en Occident,

les gouverneurs coloniaux
ont inventé la blancheur

par le maquillage
pour faire la différence

entre la peau des dominants
et celle des subalternes.

Pourquoi le changement de sexe
arrive dans la colonie ?

Ce voyage colonial,
toi, Virginia,

tu l'avais bien connu.
Ta mère, Julia Jackson,

était née à Calcutta
dans une famille de médecins

travaillant pour la Compagnie
des Indes orientales.

Et ton mari, Leonard Wolf,

avait été cadet,
puis agent administratif

de l'Empire britannique à Ceylan.

C'est peut-être pour ça
que tu n'as pas imaginé

un Orlando qui perçoit
la ville coloniale

comme un lieu totalement étranger,
mais plutôt comme un lieu miroir

où il comprend
sa condition bâtarde.

-Je ne crois pas
que les habitants de ces terres

que je suis censé gouverner
soient différents de moi.

Je me demande si,
au temps des croisades,

un de mes ancêtres
ne s'était pas épris

de quelque paysanne circassienne.

Peut-être qu'il a obtenu
ses faveurs sexuelles

en échange de quelque chose.

Peut-être qu'il l'a forcée.

Je juge la chose fort possible.

Je suis pas blanc,

je suis l'enfant
de ce voyage colonial

et de ce viol.

...

Bâillement

...

-La mutation d'Orlando
ne commence pas

par un changement de sexe.

Il y a quatre métamorphoses
orlandesques.

Les 2 premières
sont la poésie et l'amour.

La 3e, induite par la sortie
de sa propre culture,

est le processus de créolisation.

C'est seulement après
que la 4e métamorphose a lieu.

Orlando est prêt
pour son changement de sexe.

-Je suis Amir Baylly,
et, dans ce film,

je serai Orlando,
de Virginia Woolf.

Après 2 ans en tant qu'ambassadeur,

le roi Charles m'a nommé
au plus haut rang de la noblesse.

Les Anglais ont dit
que le titre était dû au fait

que j'avais les plus belles
jambes d'Angleterre.

Mais je pense que c'était dû
à mes mérites, et non mes mollets.

Au début, le voyage
était plein d'appréhension.

Je crois
que j'avais peur de tout perdre,

au niveau de ma famille,

pas vraiment de mes amis,
mais du monde en général.

Et il s'est beaucoup mieux passé
que prévu, finalement.

J'ai grandi seulement
avec ma mère, qui est française,

et mon père est rwandais.

J'ai pas eu de contact
avec l'autre partie de ma famille

avant, je pense,
mes 17, 18 ans.

Donc, ils m'ont quand même connu
avant ma transition.

Mais, quand j'ai dû leur annoncer
ce que j'allais entreprendre,

finalement,
ils l'ont très bien pris.

C'est quelque chose
qui surprend beaucoup.

On imagine souvent
les familles africaines...

ou non occidentales
comme étant plus fermées d'esprit

quand il s'agit de questions
de genre et de sexualité.

Mais ce n'est pas le cas,
ça reste un stéréotype,

ça dépend des personnes.

J'ai quand même commencé
assez jeune.

Là, j'ai 23 ans,
j'ai commencé à 20 ans.

Et, pour moi, c'était pas
vraiment une rupture

avec qui j'étais avant.

C'était plutôt une continuité

de qui je suis
et de qui j'allais devenir.

Les gens s'amusent
à raconter des rumeurs sur moi.

Des bergers amenant
des chèvres au marché

ont dit qu'ils m'avaient vu prier
au sommet d'une montagne.

Mais je récitais juste un poème,

parce que j'aime fredonner
quand je suis seul.

Je suis devenu l'idole
de nombreuses femmes

et de certains hommes.

Certains tombent amoureux
sans jamais m'avoir parlé,

ni même vu.

Lorsqu'ils pensent à moi,

ils imaginent seulement
un noble gentleman en bas de soie,

devant un coucher de soleil
à Constantinople.

Mais, en réalité,

je passais la plupart
de mon temps seul.

*Un homme parle en anglais.

...

-Orlando passait ses journées
à errer et à lire,

accompagné de son chien bien-aimé.

Tout le monde le croyait
égal à lui-même,

mais, quelque part en lui,

la métamorphose
avait déjà commencé.

Un jour, le duc Orlando, comme
nous devons l'appeler désormais,

fut trouvé par ses secrétaires
et par son chien

profondément endormi.

On ne soupçonnait rien d'abord,

car la fatigue de la nuit
avait été grande.

Mais, le jour d'après,
Orlando dormait toujours.

Et donc,
les médecins furent appelés.

...

-Mais il est vivant ?

-Il est vivant,
il est vivant.

-NOUS SOMMES PIERRE ET GILLES,

ET, DANS CE FILM,

NOUS SERONS
LES MÉDECINS D'ORLANDO.

-Le 7e jour de cette léthargie,

le premier coup de feu d'une
sanglante insurrection éclata.

Le peuple était en train
de se soulever contre le sultan.

Les insurgés passèrent au fil
de l'épée tous les étrangers.

Mais, en pensant
qu'Orlando était mort,

ils l'ont abandonné
dans son palais.

Coups de canon,
cris d'une foule

...

Un biographe normatif aurait ici
voulu faire apparaître

le mot "fin" sur l'écran,

dire : "Orlando mourut,
on le mit en terre."

Mais ce n'est pas comme ça
que les choses se sont passées.

Metal
T.D.O.V. : "A prømise"

...

Trois déesses
sorties de la brume de la nuit

sont venues
arracher Orlando à la mort.

...

-Je suis Tristana, et, dans ce film,
je serai la déesse des hormones.

-Et moi, c'est Le Filip, je serai
la déesse du gender fucking.

-Et moi,
c'est Miss Drinks,

je serai la déesse
de l'insurrection.

...

-VÉRITÉ, VÉRITÉ, VÉRITÉ !

...

-Orlando était devenu une femme,
inutile de le nier.

Mais, pour le reste,
iel demeurait le même Orlando.

Iel avait, en changeant de sexe,
changé sans doute d'avenir,

mais non de personnalité.

Le chien aboie et grogne.

Il semble que la métamorphose
a été indolore et parfaite.

De nombreux savants,

persuadés qu'un changement de sexe
serait contre nature,

se sont donné beaucoup de mal
à prouver,

1, qu'Orlando avait toujours été
une femme,

2, qu'Orlando n'avait cessé
d'être un homme.

Laissons biologistes
et psychologues

se disputer inutilement.

Quant à nous,
les faits suffisent.

Orlando avait changé
de genre, de sexe,

et bientôt de sexualité.

Aboiement

Je prie le spectateur

de se souvenir
qu'Orlando était comme un enfant

qui entre en possession d'un jardin
ou d'une armoire à jouets.

Ses raisonnements n'étaient pas
ceux des femmes

à qui le sexe féminin
était assigné à la naissance

et qui perçoivent les rituels
de l'oppression patriarcale

comme naturels.

-Avec quelques guinées récoltées
grâce à la vente d'une perle,

et avec l'argent gagné
en faisant des stripteases

en webcam en Turquie,

je m'étais acheté un trousseau
de vêtements féminins

à la mode du temps,

et c'est ainsi,

dans ces habits
d'une jeune Anglaise de qualité,

que je m'apprêtais
à revenir au château.

-La première année de ma transition

a été l'une des plus belles
périodes de ma vie.

Je me souviens d'un temps entre
janvier et juin, pendant lequel,

après avoir remonté la dose
d'hormones tous les 17 jours

jusqu'à 250 mg,

il n'était pas encore possible
ni pour les autres ni pour moi-même

de savoir si mon visage
était celui d'une femme

ou celui d'un homme.

Parfois,
parcourant les rues de New York,

je découvrais
mon reflet dans une vitrine

et je voyais comment
le visage féminin se décomposait

sans que le visage masculin
soit encore apparu.

Les hormones avaient commencé
à défaire

un masque de moi,

mais il n'avait pas encore
été remplacé par un autre.

J'ai appelé cette période :
le temps sans genre.

Celle-ci était
une période incertaine,

mais elle était aussi légère.

Comme si tous les rapports
de propriétés,

d'héritages, de culpabilité
et de dettes avaient disparu

avec la différence sexuelle.

Alors que
les changements hormonaux

sculptaient mon corps

tel un burin chimique
opérant de l'intérieur

et que j'avais commencé
à utiliser mon nouveau nom,

je sentis comment la réalité
se métamorphosait autour de moi.

Ce n'était pas moi uniquement
qui étais en train de changer.

Mon changement faisait partie
d'une mutation planétaire.

Toi, Virginia,
tu as bien compris ça.

Le plaisir qu'Orlando prend
à faire sa transition

vient de la décision
de s'ouvrir à l'expérimentation

de faire de sa vie
une oeuvre d'art.

-Maintenant,

je suis une femme.

Jamais je n'ai vu ma peau
paraître avec tant d'avantages.

Cependant,

pourrais-je sauter par-dessus bord

et nager dans ce vêtement ?

-On recommence ?

Naëlle,
plus trash.

-OK.
-Un peu plus...

-Quoi, plus trash,
dès le début ? OK.

-"Maintenant
je suis une femme." OK ?

-Maintenant, je suis une femme.

-Je te donnerai un top
pour que tu commences à parler.

-Oui.

-Ça tourne toujours...

Et...
Quand tu veux.

-Action.

-Orlando allait découvrir aussi
qu'il y avait

mille manières différentes
d'être femme.

La féminité n'était pas
une essence,

mais plutôt
une pratique en devenir.

-Seigneur,

je ne peux plus respecter l'opinion
des hommes sur les femmes.

Elle est monstrueuse.

Je ne peux même pas
manger par moi-même !

J'ai compris le problème
lorsque le capitaine

Nicolas Benedict Bartolus,

marin d'aspect fort distingué,

s'est adressé à moi en m'offrant
une tranche de boeuf fumé

et en me disant :

"Un peu de gras, madame ?

"Permettez-moi d'en découper
un petit morceau menu, menu,

comme votre ongle."

J'ai reconnu
dans le regard de cet homme

l'indescriptible sentiment
de plaisir

que j'avais éprouvé moi-même

en voyant une belle femme
pour la première fois,

une centaine d'années auparavant.

Clapotis des vagues

-Entre-temps, le bateau qui allait
amener Orlando en Angleterre

était en train d'arriver
sur la mer turque.

Une cloche de bateau sonne.

...

Clapotis des vagues,
cris des mouettes

...

-Je suis Naëlle Dariya.

06 19 85 31 74.

Et, dans ce film, je serai Orlando,
de Virginia Woolf.

Guitare électrique, tempo lent

...

-Être trans,
c'est découvrir l'envers du décor

de la différence sexuelle
et du genre,

comprendre qu'une société est
un décor collectivement construit

et que la masculinité
et la féminité

sont des fictions politiques

que nous avons appris
à percevoir comme naturelles,

à force de répétitions
et de violences.

Une transition de genre,
c'est un voyage.

Ce n'est pas un parcours
entre la masculinité et la féminité

ou vice et versa,

mais plutôt un voyage
en terre inconnue,

en réalité la société
dans laquelle nous sommes nés,

mais expérimentée maintenant
depuis une position politique

différente.

Guitare électrique

...

La transition ne commence pas
pendant le sommeil,

comme un moment
inconscient et passif,

mais plutôt dans les rêves,

comme émergence active
du désir dans la mémoire.

C'est dans notre imagination,

en tant que force
de transformation politique,

que nous commençons
à devenir trans.

-Quoi ?

La vue de mes genoux peut entraîner
la mort d'un honnête garçon,

sans doute chargé
d'une femme et d'une famille ?

En toute humanité, je devrais
donc les garder couverts.

Que la vérole les ronge !

Maintenant,
il faut rentrer en Angleterre.

Mais que dira Angleterre
en me voyant ainsi ?

Quand je serai rentrée
en Angleterre en tant que femme,

je n'aurai plus le droit
de fendre la tête à un homme,

ni de le traiter de menteur,

ni de siéger au Parlement
au milieu de mes pairs,

ni de porter sur ma poitrine
72 médailles diverses.

Mon seul droit,
en tant que femme,

sera donc de servir le thé
à ces messieurs

en leur demandant
comment ils l'aiment.

Le sucrez-vous, monsieur ?

Avez-vous coutume
d'y mêler de la crème ?

En anglais
Non, les filles,

ne soyez pas dupes.

-Ton Orlando, Virginia,

est parti en Turquie
en tant que soldat du roi,

et il est retourné
transformé en femme.

Générique
des actualités filmées

...

UN EX-GI, DEVENU FEMME,
RENTRE AUX USA

En 1952,

Orlando s'appelait
Christine Jorgensen.

C'était, comme ton personnage,
un soldat devenu femme,

et elle arriva aux États-Unis
du Danemark.

Les premières femmes trans
médiatisées par la télé

ont été toujours représentées
comme Orlando,

en train de descendre d'un bateau

ou d'un avion.
Il y a

dans les récits normatifs
des vies d'Orlando de l'histoire

cette obsession à faire arriver
les femmes trans de loin,

comme si la transformation

devait s'opérer toujours
à l'étranger,

comme si une vaginoplastie
devait forcément avoir lieu

dans un monde parallèle,

comme si la table d'opération
était sur les vagues

ou dans les nuages.

En 1958,

Orlando s'appelait Coccinelle.
Elle est arrivée en France

après être passée
par une clinique au Maroc.

-Voici sa première interview
aux USA.

-Mon Dieu, c'est trop.

Je suis très impressionnée
par tout ce monde.

-Je m'attendais pas

à ce qu'on me raconte
comme ça.

-On vous a proposé
un film ?

-Oui, mais je ne l'ai pas accepté.

-Avez-vous
des projets au théâtre ?

-Non, je ne pense pas.

-Je peux pas non plus jouer
le théâtre de l'hétérosexualité.

Je suis pas un homme.

Je suis pas simplement une femme.

Je suis une femme trans.

Je connais
les secrets des deux sexes,

leurs conventions sociales
et leurs faiblesses.

-Je ne suis plus un garçon.

Je ne suis pas encore une femme.

Je ne suis pas encore la personne
que j'ai envie d'être, en fait.

Mais je crois que les mots
pour décrire le genre

de la personne que j'ai envie
d'être n'existent pas.

Donc il faut les inventer.

C'est dur, mais on est obligés
d'être poétiques.

On est poètes malgré nous.

-Je suis ravie d'être rentrée.

Je n'ai pas de projets
pour le moment.

Et je vous remercie d'être venus,

mais je trouve que c'est trop.
Merci beaucoup.

-J'étais comme une plume
dans cet ouragan.

J'arrêtais pas
d'opposer un sexe à l'autre,

pour les trouver alternativement
aussi lamentables l'un que l'autre.

-Je comprends pas la France,

un pays si merveilleux,
que je redécouvre,

je ne comprends pas
que la France ne laisse pas

les gens qui ne sont pas bien
dans leur peau s'opérer.

On se fait bien rectifier le nez,
pourquoi pas le reste ?

-Toute ma psychologie
en a été transformée.

Disparition de la honte,
disparition du mal-être,

autorisation publique,

reconnaissance de soi,
amour de soi,

disparition de la haine,

apparition de l'amour.

Ça, c'est ça, l'objectif.

-Viens.

Viens.

Je suis malade à mourir
du moi présent.

J'en veux un autre.

-Je fréquente
tous les pays du monde.

Je connais 2 000 opérés.

J'appelle pas ça des transsexuels,
je dis : les femmes de l'an 2000.

Car nous serons les femmes
de l'an 2000 bientôt.

En espagnol
-Je dis toujours

que je suis une femme trans.

Je le dis avec fierté,
si je devais renaître,

je voudrais être la même personne.

En anglais
-Cela affecte votre travail ?

-Chérie, je n'ai pas de travail,
je vis de l'aide sociale.

Je ne travaillerai pas

tant que ce pays
discriminera les homosexuels.

Oui, les homosexuels, les bisexuels
et les trisexuels, chérie.

Et pas les hétérosexuels.

En espagnol
-J'ai connu le travail sexuel,

dans la rue.

J'ai vu des femmes mourir,

des copines qui tombaient
à côté de moi,

une voiture qui passait
et tirait des coups de feu

et elles tombaient à côté de moi,

à cause de la haine,

à cause de plein de choses,
de la transphobie.

Beaucoup de choses horribles.

C'est ce qui m'a donné le courage

de quitter mon pays, le Venezuela.

Je me suis vue morte
comme beaucoup de mes amies

qui ont été tuées cette année-là

et je me suis dit
que, si je restais là,

je ne serais plus en vie.

En anglais
-J'ai été en prison,

j'ai été violée et battue

de nombreuses fois, par des hommes.

En espagnol
-Je ne peux pas changer

mon identité de genre maintenant.

Je peux me regarder
dans un miroir,

les gens me voient,
je suis une femme,

mais, malheureusement,

dans les institutions,
les hôpitaux, les banques...

je suis objet de transphobie

parce que, sur ma pièce d'identité,
ce n'est pas la même personne.

En anglais
-Je n'accepte plus cette merde.

J'ai été battue,
j'ai eu le nez cassé,

j'ai été jetée en prison,

j'ai perdu mon travail,

j'ai perdu mon appartement
pour la libération gay,

et vous me traitez comme ça !

C'est quoi, votre problème ?

Les gens veulent faire
quelque chose pour nous tous,

pas pour les hommes et les femmes
de la classe moyenne blanche,

la classe blanche.

C'est à elle que vous appartenez.

Révolution maintenant !

-Après son retour en Angleterre
en tant que femme

ayant perdu ses possessions
et son identité légale, Orlando,

devenue apatride et accompagnée
uniquement de son chien,

le seul à la reconnaître encore,

a commencé une errance sans fin,
et pendant des siècles.

-Allez viens,
je vais te le donner.

Oui, je te le donne.

Je sais, je sais.
Tiens, chéri.

Oh là là ! Attends.

Va te promener,
parce que, là, c'est pas possible.

Allez.

Vas-y, chéri.
Aboiement

Fais attention, hein.

...

Oui, doucement.

Si.

Je suis Jenny Bel'Air
et, dans ce film,

je serai Orlando,
de Virginia Woolf.

-Je suis Rilke

et, dans ce film, je serai le chien
d'Orlando de Virginia Woolf.

Sonnette

-Bonjour, madame,
que puis-je pour vous ?

-Alors,

je viens de réserver une chambre
au nom de Mme Orlando.

-Orlando ?

Oui, tout à fait.
-Excusez-moi.

Je viens d'apprendre
le décès de Godard

et ça me rend triste.

Pardon.
-Toutes mes condoléances.

Je peux vous proposer
la chambre 503.

-Oui, volontiers.

J'ai demandé à ce qu'on me donne
une chambre sur cour.

-La 503 fera l'affaire.

-Parfait. N'oubliez pas
que j'ai un chien.

Ça dérange pas ?
-On accepte les chiens.

-Très bien.

-Votre pièce d'identité ?
-Ah oui, j'allais oublier.

Alors.

Voici mon passeport.
Monsieur, je vous prie.

-Je vous remercie.

Excusez-moi, je pense que ça doit
être celui de votre mari,

il est au nom d'un homme.

-Est-ce que j'ai l'air mariée ?
Regardez-moi franchement.

Il n'y a pas d'erreur, regardez.

-J'ai bien vu, je suis désolé,

je ne peux pas accepter
cette carte d'identité.

-Comment ça ?
Je suis Orlando. C'est moi !

-Écoutez, monsieur, madame,
je ne sais pas,

je ne peux pas accepter
cette pièce d'identité.

-Je ne suis pas madame, ni monsieur,
je suis moi,

Orlando !

Et ne m'appelez pas monsieur,
je ne suis pas un homme.

Vous vous êtes trompé,
c'est mon vrai passeport,

regardez la photo.

-Je ne peux pas accepter
une pièce d'identité non valide.

Je vais vous demander
de quitter l'hôtel, s'il vous plaît.

-Vous me faites ça à moi,
franchement ?

Espèce de...

Fodas...

Ca...
Porca !

-Les papiers d'identité
sont des prothèses administratives

sans lesquelles un corps humain,
dans une société binaire,

devient un paria politique,

sans la possibilité
de posséder de l'argent,

sans le droit de circuler
ou d'être admis

dans les institutions publiques.
La vie sans papiers administratifs

devient une salle d'attente
sans fin.

Punk rock

...

Ce n'est pas au pied d'un chêne

qu'Orlando est allé
chercher réconfort.

Il s'est rendu auprès des plus
hautes instances de la République

pour exiger sa reconnaissance.

...

-Quand je suis revenue,
évidemment,

j'avais droit à rien.

Tout était fini.

Pas de papiers, on m'a tout pris.

Comme d'habitude.

Quand je pense
que la société est tout,

la société est rien, finalement.

Elle prend tout.

Et, ce que je demande,
c'est immédiatement,

tout de suite,
si je suis ici venue,

le respect de ma personne

et de tous les autres
qui me ressemblent.

Sinon, ça sert à rien.

Mais la société
ne pourra pas me tuer.

-Je suis Emma.

Et, dans ce film, je serai Orlando,

de Virginia Woolf.

J'ai déjà vécu presque 400 ans.

J'ai vu beaucoup de choses.

La colonisation de l'Amérique...

de l'Afrique...

et aussi de l'Asie par l'Europe.

J'ai vu l'extermination
des peuples premiers.

L'arrivée du capitalisme.

L'essor de la production
industrielle.

La destruction de la nature.

Jusque-là, ils sont allés.

J'ai vu...

Ah, l'invention
de l'hétérosexualité normative.

Et la famille nucléaire.

Avec cette croyance selon laquelle,
en tant que femme,

si t'es pas mariée
ou t'as pas enfanté,

t'es nulle, t'existes pas.

J'ai vu...

Ah oui, aussi, l'invention
de la notion de transsexualité

et d'intersexualité,
à la fin du XIXe siècle.

Avec la volonté de nous exclure
du monde humain.

Et de nous faire passer
pour des monstres.

J'ai vu aussi...

l'arrivée d'une nouvelle génération
qui voulait vivre comme moi,

sans lois, sans dieux, sans genres.

Mais, malgré cette visibilité
grandissante

des personnes transgenres
et non binaires,

je suis dans un limbe politique.

Sans papiers.

Sans existence réelle.

Pourquoi ?

C'est si compliqué de nous donner
de nouveaux papiers ?

Pourquoi ?

Quelqu'un d'autre,
un juge, un psychiatre,

prétend savoir plus que moi
quelle est mon identité.

Refuser notre identité,

c'est nous effacer de la société.

On n'existe pas.

C'est refuser qu'on ait des droits
comme les autres,

comme les personnes binaires.

Mais moi,

moi, je veux
m'accorder cette identité.

Mais moi, je vais me reconnaître,
pas besoin de ce papier.

Je l'aurai un jour.

Mais je m'accorde ce papier.

Moi, je serai
Emma, Orlando,

et j'avancerai vers la vie,

vaillante, heureuse.

Je serai fière et contente

d'être là, avec vous.

Je me reconnaîtrai

et je m'aimerai.

...

-Je suis Koriangelis Brawns
et, dans ce film,

je serai l'Orlando
de Virginia Woolf.

-Mais qu'est-ce que c'est,
un document d'identité,

sinon un morceau de papier
écrit et imprimé,

un petit livret contenant
une fiction politique ?

Des fictions partagées
construites collectivement,

dont nous oublions que nous pouvons
les remettre en question,

les modifier, les changer
ou, pour le dire autrement,

des fictions que nous pouvons
coucher sur une table d'opération.

-Parfois, quand elles sont
hyper difficiles...

Mais on est là.

On a la grosse opération.

-Historiquement,

les personnes trans
sont considérées

comme des corps qui doivent
être opérés par la médecine

pour rétablir la continuité
entre l'anatomie et le genre.

Moi aussi, je suis passé
par cette table d'opération.

D'où t'est venue cette idée,
Virginia,

d'imaginer un personnage qui change
de sexe au milieu du roman ?

Certains disent que c'était
le désir d'imaginer qu'Evita,

ton amante, ne perdrait pas
ses droits d'héritage

parce qu'elle était une femme.

Mais l'idée d'un personnage trans
en 1928

n'était pas simplement
une utopie littéraire.

Il y avait déjà des personnes
en Europe et aux États-Unis

qui ne s'identifiaient pas au genre
qui leur avait été attribué

et qui souhaitaient en changer.

Entre 1900 et 1920,
les premières opérations

de changement de sexe
défraient la chronique.

Puis, avec la découverte
des hormones synthétiques,

certaines personnes ont commencé
à expérimenter

la production
d'un nouveau corps trans

à l'institut de sexologie
de Magnus Hirschfeld, à Berlin.

Toi, Virginia, grande lectrice,

tu n'as pas pu ignorer ce discours.

Qui est opéré
lorsque nos corps reposent

sur les tables d'opération
de l'empire binaire ?

Nos corps sont
des tissus discursifs,

des assemblages
de fiction et de chair.

Opérer, c'est intervenir non pas
simplement dans l'anatomie,

mais surtout
dans la fiction politique.

*Bips réguliers
d'un monitoring cardiaque

...

La violence était tout.

Dans ton "Orlando",
tu as inclus

des images d'Evita
et de ses ancêtres.

Mais les vrais Orlando de
l'histoire sont restés invisibles.

...

Nous n'opérons jamais
sur les corps individuels,

nous opérons
sur l'histoire politique.

C'est le régime de la différence
sexuelle qu'il faut opérer.

Il y a tellement
de discours historiques

sur lesquels
nous devons intervenir.

...

Voilà, c'est moi,
un Orlando non binaire de 5 ans,

pendant le carnaval espagnol,

accompagné par les fictions
de la féminité

et de la masculinité normatives.

-Je suis Éléonore et, dans ce film,

je serai Orlando, de Virginia Woolf.

-Qu'avons-nous fait
des enfants trans et non binaires

que nous étions ?
Christine Jorgensen,

la 1re femme trans médiatisée,
était monteuse de cinéma

avant de perdre son travail
en devenant une femme.

Elle disait qu'être trans,
c'était avoir la possibilité

de monter le film de sa vie
autrement.

-Je suis Lilie,
et, dans ce film,

je serai Orlando...

(-De Virginia Woolf.)

(-Virginia Woolf.)

(-Virginia Woolf !)

-Je devais pas le dire !

Rires

...

-Coupez.

-Et c'est pour le droit
au montage de notre vie

que nous luttons
encore aujourd'hui.

-Je suis Artur et, dans ce film,

je jouerai Orlando,
de Virginia Woolf.

En espagnol
*-Je suis une fille trans,

je vis à Arroyo de Sansilva.
Au cours des 4 dernières années,

j'ai fait un chemin très important
vers mon bonheur.

Mais je dois toujours rappeler

que j'ai le droit d'être appelée
comme je le sens

et que, 4 ans plus tard,

les erreurs sur mon nom
sont un peu étranges,

comme si on pouvait douter
que je suis une fille trans.

-Tes Orlando sont toujours là.

Maintenant,
pour la première fois,

iels commencent à parler
et à exister par eux-mêmes,

à choisir leur nom
et à choisir aussi leur propre vie.

Le monde de demain appartient
aux nouveaux Orlando.

C'est eux qui vont monter
le film de l'histoire,

et c'est pour eux
que tu as écrit ton livre,

même sans le savoir,

et que, moi, je fais ce film.

*-De tout ce que j'ai à dire,
le plus important est ceci :

mesdames et messieurs
engagés en politique,

continuez, malgré les menaces,

de faire des lois qui reconnaissent

la diversité des personnes.

Ne laissez personne nous enlever
notre bonheur. Merci.

*Applaudissements

...

-Aujourd'hui,

mercredi 11 octobre 2028,

face à l'effondrement
du régime patriarco-colonial

et par les pouvoirs
que me confèrent Virginia Woolf

et la littérature,

je déclare
l'abolition de l'assignation

de la différence sexuelle
à la naissance

et son inscription
juridique et administrative.

Par conséquent,

j'octroie une citoyenneté

planétaire et non binaire

à Orlando Emma...

Applaudissements
-WOUH !

...

-Orlando Jenny.

...

Disco
"Pharmacorévolution"

...

Orlando La Bourette.

...

Orlando Victor.

...

Orlando Vincy.

...

Orlando Noam.

...

Orlando Amir.

...

Orlando Janis.

...

Orlando Élios.

...

Orlando Oscar.

...

Orlando Liz.

...

Orlando Ruben.

...

Orlando Iris.

...

Et Orlando Clara.

...

-Mme la juge !

-MME LA JUGE !

Applaudissements

...

OUAIS !

...

-Je suis Virginie Despentes
et, dans ce film,

je serai la juge de Orlando,
de Virginia Woolf.

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