All language subtitles for Pixote, in Memoriam (2007)_Track03-fra (1)

Je lui écris que c'est urgent.

- Ça alors, c'est toi Marçal?
- C'est moi, comment vas-tu?

Tous ceux que j'ai vus
veulent se retrouver tous.

- Tu as parlé à Gilberto?
- Oui, c'est bientôt notre élu!

- Il participe aussi?
- Oui, c'est lui "Giba".

Giba! Tu te souviens de moi, non ?

Je viens parler avec toi.

C'était incroyable.
Une expérience inoubliable.

Ceci est un quartier de Säo Paulo,

centre industriel de l'Amérique latine,

responsable de 60 ou 70%
du produit national brut de ce pays.

Le Brésil compte 120 millions d'habitants.

À peu près 50% d'entre eux
ont moins de 21 ans.

Environ 28 millions d'enfants
vivent dans des conditions

inférieures aux normes du droit
international de l'enfant

de l'ONU.

Les parents travaillent,
et les enfants restent à la maison,

gardés soit par la sœur aînée

soit par une voisine payée pour ça.

Fernando, par exemple, le héros de ce film,

vit dans cette maison avec sa mère
et neuf frères et sœurs.

Bon, je suis allé faire une visite

avec un ami qui faisait un reportage
sur Tatuapé à la Febem,

qui était l'unité centrale
du pénitencier de Febem à l'époque.

Nous sommes entrés ensemble
dans ce grand hall

où était regroupée une centaine de jeunes
venus de la rue.

Cette image, cette ambiance,
m'ont beaucoup marqué.

Dès qu'on s'approchait d'eux,

ces enfants devenaient aussitôt
des mendiants.

Ou bien, lorsqu'on leur parlait,

ils baissaient aussitôt la tête, les mains
dans le dos, comme des coupables.

Comme si, dès qu'un adulte leur parlait,

voulait dialoguer avec eux,
discuter de leurs activités,

ils devaient aussitôt réagir
comme face à la police.

J'ai vu des choses incroyables.
À Rio Preto, une des unités,

il y avait quatre gamins qu'on avait
enfermés dans une cellule isolée.

Lors de notre visite, ils les ont fait sortir.

Le directeur de la prison pensait
qu'on verrait sortir

quatre garçons furieux, enragés...

Quatre bêtes, vraiment.
Et l'on vit sortir quatre gamins rachitiques.

L'un deux s'est évanoui
dès qu'il a vu la lumière du jour.

En écoutant les histoires de ces enfants,

je prenais conscience,
au fur et à mesure,

de cette absence totale de protection

de la part de l'État,
ou de l'environnement familial.

Petit à petit, je partageais ces pensées
avec Jorge Duran,

qui était mon assistant réalisateur
sur l'adaptation de Lucio Flavio.

J'ai aussi lu le livre de Louzeiro,
L'Enfance des morts.

Ce livre de José Louzeiro....

Et j'ai trouvé très intéressant
son travail d'enquêteur sur les enfants

et sur leurs activités de petits voleurs...

Nous avons commencé à enquêter
sur le sujet, à écrire une histoire.

L'idée était de montrer ce qui advenait
de ces enfants

à partir du moment où on les rencontrait
un matin, en plein jour,

affamés, sans ressources,
sans maison où rentrer.

Comment ils survivaient
et comment la société

finissait par tous les absorber un à un.

À vrai dire, quand Hector
a décidé de produire Pixote,

il est allé au pénitencier de Febem
trouver les jeunes acteurs pour le film.

Il a commencé à rechercher des gens qui
avaient fait du théâtre avec ces enfants.

À moi et à deux autres collègues,
ils nous ont présenté ce groupe de jeunes

qui n'étaient pas de Febem.
Mais on les a convaincus de renoncer,

parce que le travail avec ces enfants
est très risqué : ils ne restent pas en place,

ils s'enfuient, ils disparaissent,
on n'est sûr de rien.

Après ces recherches, il décida de travailler
avec d'autres enfants, pas de la Febem.

J'avais seulement ce groupe
de 3 ou 4 personnes

qui se rendaient
dans les différents quartiers,

lançant des appels à candidature
dans les banlieues.

Nous avions notre base
dans un lieu central,

une petite église,
une petite association commerciale,

une petite salle des fêtes.

Je sortais dans une camionnette
avec le chauffeur et le producteur,

nous allions dans les favelas,
dans les écoles de samba,

et organisions des essais, des activités
avec les enfants de la communauté.

Et nous sélectionnions des groupes.

J'ai trouvé l'adresse,
et je suis allé à la production.

Ils m'ont photographié
comme si j'avais été arrêté,

en tenant une plaque et tout.

Si les essais étaient à 10 h,
j'arrivais dès 7 h.

J'attendais là, je me préparais...

Essai après essai,
beaucoup de jeunes étaient refusés,

et j'ai finalement décroché
un des rôles principaux.

C'est un hold-up! Debout, connard!
Tu vas voir si tu te lèves pas!

C'est comme ça que je ferai
avec ces salopards.

Tout le monde me respectera.

J'avais déjà très envie de faire du cinéma.

Quoique sans expérience des films,
j'avais fait du théâtre.

Et je sentais que je pouvais le faire.

C'est après le troisième essai
qu'Hector a voulu de moi.

Alors, j'ai vu que j'allais rester.

Et Dieu merci, je suis resté.

À l'époque, j'avais déjà participé.

à des représentations, pour des rôles.

Alors, j'ai demandé :
"Ça va être bien, ce film?

"Je vais avoir un chouette rôle?"

Je ne voulais pas faire de figuration.

"Bien sûr, c'est un rôle
avec des dialogues!"

Ça m'a vraiment emballé!

J'ai suivi ça de près,
j'ai participé au projet.

Quand ils recrutaient les gamins,

je n'y suis même pas allé.
Je ne voyais pas l'intérêt.

Ce n'était pas mon truc.

Ces trucs de théâtre, ça ne me disait rien.

Mais en général, pour tous ces enfants
issus de leur milieu...

Ils étaient nés avec ça.
Pour eux, c'était naturel.

Il suffit de les diriger, ces gamins :
"Tu vas faire ça, tu vas aller là."

Tous avaient le personnage de Pixote
en eux. Pas besoin de cours, d'être artiste.

Allez dans n'importe quelle banlieue,
vous trouverez un gamin prêt à tourner.

Prêt à voler, prêt à tuer,
prêt à faire le bien ou le mal.

Diego Emanuel, 13 ans, père inconnu,
parc Agua Branca, exact?

Joao Henrique, 10 ans, rue Lavapés,
de père inconnu, exact?

- Il est mort.
- Père inconnu, exact?

Quand il est allé là-bas pour les essais,

il est rentré plus content que jamais,
car Babenco l'avait embauché.

J'ai pensé : "Cela pourra-t-il nous apporter
quelque chose de positif?"

Car je me disais, mon fils,
qui n'a pas été à l'école.

Fernando est entré dans ma vie
d'une manière très étrange.

J'ignorais tout de son existence,
nous étions au début des essais.

Nous étions déjà au travail,
dans le Théâtre Ruth Escobar,

avec un groupe de 70 enfants
que nous avions retenus.

J'y allais pour la deuxième fois, Fernando
n'y était pas, j'ignorais tout de lui!

J'ignorais tout de ces 70 enfants.
J'en avais vu certains,

Fernando faisait partie de ceux
que je n'avais pas encore vus.

Un soir, j'étais chez moi, je reçois
un appel en P.C.V. provenant de Diadema.....

C'est assez éloigné, Diadema...

Je n'y connais personne,
mais j'accepte l'appel.

C'était Fernando, qui me dit :
"Je m'appelle Fernando,

"la production m'a donné l'argent
de la semaine pour le transport,

"et mon frère me l'a volé.

"Depuis deux jours, je ne peux pas venir,
et je voulais vous prévenir de la situation.

"Je ne veux pas passer pour un voleur",
me dit-il au bout du fil.

J'ai trouvé curieux que quelqu'un appelle
pour dire ça. J'ai répondu :

"- Viens demain au bureau.
- Mais je ne peux pas payer le bus.

"Alors, prends un taxi, on le paiera."
Et puis j'ai oublié.

Le lendemain matin, vers 9 heures,
on me prévient

qu'il y a, en bas, un gamin
qui m'attend à la porte avec un taxi.

Il prétend que c'est moi qui l'ai fait venir.
J'ai confirmé, en effet, mais.

la note du taxi était énorme!

Il a donc fallu payer la facture du taxi...

J'ai vu alors ce petit garçon,
avec la bouille

qu'il a dans le film.
Il avait dix, onze ans.

Il paraissait plus jeune, il était tout petit.

Et il portait ce t-shirt,

avec le logo du film Manhattan,
de Woody Allen.

C'était un t-shirt noir ou gris,

et en lettres argentées, brillantes,

les gratte-ciels de New York,
avec écrit Manhattan.

Je regardais le t-shirt de cet enfant,
je regardais son visage,

et c'était vraiment la rencontre
de deux mondes!

De façon criante, il n'y avait
absolument aucun rapport

entre ce t-shirt et son visage.

Je lui ai demandé pourquoi
il voulait tellement faire du cinéma.

Il m'a répondu qu'un jour,

sa sœur, qui faisait des ménages
dans un théâtre,

alors qu'il était malade et qu'il ne voulait
pas rester seul à la maison,

sa sœur l'a emmené avec elle,
et il a assisté au spectacle

depuis les coulisses.
Et c'était parti.

Mon fils n'avait jamais été aussi heureux.

Il sautait dans tous les sens,
on aurait dit un singe,

car il allait faire du théâtre
avec la troupe Joäo das Neves.

Il avait participé à plusieurs pièces avec
la troupe de Jôao das Neves, à Säo Paulo.

Et il est tombé amoureux du théâtre.
C'était ça qu'il voulait faire.

Le choix de Fernando est entièrement dû

à Hector Babenco.
Car moi, pour être sincère,

j'étais peu sûre de moi à l'époque.
Je n'avais jamais produit de film.

Il y avait aussi cet autre garçon,
qui avait tourné dans des publicités,

qui avait une grande facilité pour
apprendre les textes et les interpréter.

C'est lui que j'avais choisi.
En fait, c'était lui ou Fernando.

Moi, bien sûr, j'aurais choisi l'autre,
car pour moi.

Ça me paraissait moins risqué,
j'avais un peu peur.

Je dois le reconnaître, sincèrement,
j'avais peur et je voulais me défendre!

Je le lui disais, mais Hector dit :
"Non, pas lui,

"- l'autre.
- Mais il ne sait même pas lire!

"Il parle à peine!"
Car Fernando était très timide au départ.

Il ne s'exprimait pas,
il parlait très peu.

Je n'étais pas d'accord, mais,
à ce moment-là, c'est à moi que je pensais.

Et pas au film.
C'est ce qu'Hector m'a enseigné.

"C'est lui, évidemment.
Regarde ses yeux."

Je me souviens qu'il m'a dit :
"C'est un mélange, c'est un ange du mal".

Elle a annoncé :
"Distribution des premiers rôles :

"Pour Pixote : Fernando Ramos,
Jorge Juliäo pour Lilica,

"Gilberto Moura pour Dito..."

Etelle a dit :
"Zé Nilson pour Chico...

"Oh, pardon!
Je me suis trompée :

"Zenildo...." Aussitôt,
je suis tombé à genoux et j'ai dit :

"J'ai réussi à l'avoir!"

Aucun d'eux n'avait jamais
mis les pieds à la Febem.

Pour eux, c'était un univers inconnu.

Comme à l'époque je travaillais à la Febem,

je connaissais bien cet univers
et son fonctionnement.

Alors c'est moi qui l'ai fait découvrir
à tout le groupe.

Le pénitencier, l'abandon, les orphelins...
Ils ne connaissaient pas tout ça.

Et chaque semaine,
j'amenais l'un d'eux à la Febem.

La première instruction, en arrivant, était :
"Ne donnez ni votre adresse

"ni votre numéro de téléphone,
rien de privé. Parce qu'un jour ou l'autre,

"ils finissent par sortir d'ici."
On s'attendait vraiment à...

On nous préparait à affronter
une situation effroyable!

Alors qu'en fait, c'étaient des enfants
qui étaient enfermés.

Certes, là-bas, ils n'avaient pas du tout
ce que nous, privilégiés, avions connu :

une famille, de la tendresse, une structure.
Tout ça leur manquait totalement.

Puis nous avons commencé
à étudier les animaux.

On aurait dit un jeu,
alors qu'en fait, petit à petit,

on voyait naître les personnages du film.

J'ai amené tout le groupe en visite au zoo.

Un samedi, nous avons pris le bus.

Je me souviens parfaitement
de cette journée au zoo. Il était très tôt.

Chacun avait choisi un animal,
en rapport

avec l'histoire de son personnage
que je leur avais racontée.

Ils n'avaient pas lu le scénario
mais je leur avais raconté.

Chacun a donc choisi un animal.

Et chacun a passé toute une journée
devant sa cage,

étudiant comment cet animal dormait,
mangeait, marchait.

réagissait face aux autres.

Puis ils ont cherché des informations
en bibliothèque sur ces animaux,

et nous avons travaillé
sur les données physiques,

comme le poids, la taille,

et sur les caractéristiques instinctives,
comme leur agressivité, leur affectivité.

Ainsi, ce que je cherchais à cerner
chez ces enfants,

c'était la personnalité de chacun.

C'est incroyable, en y repensant,
que Fernando ait choisi le zèbre,

qui est un animal victime.
Je ne l'ai compris que des années après.

Nous avions un grand mur,
et chaque jour,

on y accrochait quelque chose
qu'on trouvait dans la rue.

En trois mois, nous avons créé ce mur,
tout en répétant avec Fatima,

en parlant des rôles, en allant au zoo,

où nous choisissions des animaux
qui rappelaient les personnages.

Quand on a commencé le tournage du film,
on allait toujours regarder ce mur

avant d'aller jouer la scène.

C'est ainsi que les personnages
se mettent en place.

Entre en scène Marilia Pêra,
dont la participation a été fantastique.

Elle jouait avec les enfants.

C'était tout à fait comme si
j'avais le même âge que ces enfants,

et que nous étions
sous l'autorité d'un père.

Un père aimant, mais sévère.

Parfois en colère, ou sentimental,

qui criait parfois, qui nous grondait,

mais cela provoquait toujours
de grands éclats de rire.

On ne se moquait pas d'Hector, non,
ou alors on s'en moquait

avec beaucoup d'amour :
"Attention, il arrive!"

Ils s'amusaient sans cesse,
en jouant avec des cordes,

en dansant, en faisant des exercices,
des improvisations.

Chacun racontait ce qu'il voulait faire
ou ne pas faire.

On se racontait des histoires,
on imaginait des situations.

Ils ont fait un travail remarquable,
vraiment remarquable,

un travail dont je suis très fier.

PIXOTE, La Loi du plus faible

Aujourd'hui encore,

ça me rend tout ému.
Je me souviens de tous ces gens.

Nous avons lié de vraies amitiés,
ça oui!

C'est pas vrai?

Bien sûr, nous attendions tous
le lendemain

pour se retrouver,
travailler ensemble en atelier.

Nous partagions et entretenions
ce sentiment

que nous étions tous
un groupe de travail.

Certains tourneraient
plus que les autres,

mais les encouragements,
les jeux, les amitiés,

étaient toujours partagés
par les 21 acteurs retenus.

Il y avait aussi un autre groupe, de 60
ou 70 enfants qui faisaient les figurants.

Travailler avec les enfants,

c'était une chose très enrichissante,
parce que.

ils étaient très naturels.

Ils n'avaient aucun vice,

ils n'avaient même pas la télévision
à l'époque,

pour voir comment
les enfants se comportaient à la télé,

pour essayer de les imiter.

Tout était nouveau pour eux.

Je crois que tout ce travail,
qui a été fait,

de préparation, les ateliers.

Tout ce travail nous a donné
une grande confiance en nous

et nous a mis dans de très bonnes
conditions psychologiques

pour affronter tout ça.

Qu'on le veuille ou non,
bien sûr que la scène d'amour

entre la prostituée et Dito
est une scène difficile.

C'est un enfant, il ne connaît pas
les techniques pour embrasser.

Mais ce qui est super,
c'est que nous avions établi

une si bonne relation avec Marilia,

qu'elle m'a aidé et m'a mis à l'aise.

Intuitivement, nous avons créé
une méthode de travail que personne

ne nous avait enseignée,
nous l'avons inventée.

Avec les personnages,
avec les acteurs,

nous ne suivions pas de script écrit.
Nous travaillions sur des situations

et nous développions les dialogues,
les comportements et les réactions

à chacun des moments du film.

On ne leur révèle pas le déroulement
du scénario qu'on avait écrit,

et qu'il faut déjà beaucoup adapter
en fonction de ce que génère

le jeu des acteurs.
On profite de cet apport,

on en nourrit le scénario,
il nous invite à supprimer

ou à réécrire les choses différemment.

Le texte écrit, le script,
était important bien sûr.

Mais il fallait surtout que les mots

paraissent naturels
dans la bouche des enfants,

et qu'ils les disent avec spontanéité.

- Ça craint, Dito!
- Putain, je joue plus!

- Quoi, salaud?
- Pixote a tout foutu en l'air,

il a dit mon nom
devant les mecs de la banque.

Allez vous faire foutre!

Pour eux, c'était merveilleux,
car ils ont passé treize mois ensemble.

Des sentiments se sont développés.
C'était vraiment devenu un groupe.

Un groupe qui vivait
une histoire commune.

J'ai trouvé ça merveilleux :
ils étaient ensemble.

La veille du tournage, un vendredi,

le tournage commençait le lundi,

Fernando se casse une jambe
en jouant au football.

On lui plâtre la jambe,
on fait des radios,

il s'était sectionné le tendon
et cassé le petit os du pied.

Il devait rester dans le plâtre.
Toute l'équipe était ravie :

"Super! Alors, on va faire le film
avec un autre acteur pour Pixote."

Mais Fernando était irremplaçable.
Avec sa petite bouille,

sa tristesse chronique.

D'une certaine manière,
il possédait à l'intérieur de lui

une âme... une âme blessée,

qu'aucun acteur
ne serait capable d'interpréter.

Car c'était en lui, c'était sa propre
personnalité, son propre univers.

Il avait ça dans le sang, dans l'âme,
dans la lumière qu'il irradiait.

Même sa façon de rire,
de manière incomplète...

J'essaie de l'imiter un peu.

Dans le film, dans la séquence
qui se déroule dans la Febem,

on peut voir sa jambe dans le plâtre.

Pendant presque toute la séquence,
il est assis. Il ne se lève pas.

Le premier jour de tournage,
le tout premier jour, la première scène,

quand Pixote est assis
dans le commissariat,

quand on lui demande son nom
et celui de sa mère,

il s'est bloqué, complètement.

Quand il a vu la caméra
et qu'il a découvert le plateau,

il s'est bloqué.
Hector m'a regardée,

et il m'a dit : "Arrange-moi ça".
Toute l'équipe paniquait.

Je crois bien qu'Hector lui-même a paniqué
à ce moment-là.

"Nous répétons depuis 3 mois
et le gamin se bloque le premier jour?

"Que faut-il faire?"

Le 2e jour de tournage,
mon assistant vient me dire :

"Fernando dit qu'il abandonne le film".

"- Quoi?
- Il abandonne, car tu es un menteur."

Je suis allé voir Fernando au déjeuner,

je lui ai dit :
"Allons faire un tour.

"Qu'est-ce que c'est que cette histoire,
tu dis que je mens? Tu es fou !

"Quand ai-je menti?
Tu dois m'expliquer ça.

"C'est qu'à chaque fois qu'on filme,
tu dis que c'est très bien,

"que tu as beaucoup aimé,
que j'ai été super.

"Et après, il faut encore tout refaire.
Pourquoi le refaire si c'est super?"

J'ai suspendu le tournage le jour suivant.

J'ai amené les sept enfants du groupe
principal à la salle de montage.

J'ai choisi une scène qu'on venait de
tourner, où ils étaient au commissariat,

tous assis, avec un mouvement de caméra.

Je leur ai montré : "Regardez,
cette prise est la meilleure,

"mais ce garçon, ici, a regardé la caméra.
Ça ne va pas.

"On ne doit pas regarder la caméra.

"Celle-ci est super, sauf qu'ici,
la caméra ralentit et puis accélère.

"Le public ne doit pas se rendre compte
que la caméra passe."

Alors ils ont compris, en observant
comment ça marche,

d'un œil critique,
qu'il y a toujours un moment...

Et que nous choisissons
le meilleur du moins pire.

Ce furent, comme ça,
des petites reconquêtes progressives.

Ainsi, un jour, Fernando me dit :
"Je veux dormir chez toi.

"Bien sûr! Dis-moi quand tu voudras.

"Aujourd'hui!"
Il me provoquait un peu.

"D'accord, mais à une condition...

"- Quoi?
- Allons d'abord manger une pizza."

Nous sommes allés dîner,
et il a passé la nuit chez moi.

"Tu ne peux plus dormir ici,
car les autres vont être jaloux.

"Nous sommes tous des amis,
ce n'est pas sympa de faire des différences.

"C'est un film d'équipe,
avec un groupe de 20 enfants :

"7 pour les personnages principaux,
le reste pour la figuration."

Enfin, c'était une relation vraiment super!

C'était merveilleux...
Merveilleux...

Depuis mon enfance

Je vous écoutais toujours

J'étais assez embêté,
parce que je suis très mauvais.

J'ai une très mauvaise oreille,
même quand je parle.

Et je pensais que j'allais tout gâcher.

Mais Babenco avait enregistré
une des répétitions.

J'essayais de faire toujours de mon mieux,
alors que c'était déjà enregistré!

Il a fallu rejouer plusieurs fois la musique,

refaire la scène pour les différents
cadrages, les différentes prises.

Le chant enregistré,
je faisais du play-back!

Mais c'était super!
J'ai adoré ça!

En fait, en tant que langage,

j'adore ça, le cinéma.

Malheureusement,
je n'ai pas participé à d'autres films,

mais j'aurais bien aimé, oui.

Il n'était pas nécessaire
de le dire

Car sur votre visage
Tout était écrit

Ce que vous avez souffert
Ce que vous avez vécu

Et ce que vous avez perdu.

Pendant qu'Hector s'occupait
de ses propres problèmes,

je complotais avec les enfants.

Je ne sais plus si j'ai déjà
raconté ceci à Hector,

mais pendant la scène dans le café,

quand je dis "marshmallow",

j'ai convenu avec le petit Fernando :
"Ne le dis pas à Hector,

"ne le fais pas en répétition, mais quand
on tournera, embrasse-moi sur la bouche.

"- Mais Hector ne voudra pas.
- Fais-le juste quand on tournera."

Il ne l'a pas fait en répétition,
mais dès qu'on a tourné, il m'a embrassée.

Et Hector s'est écrié :
"Fernando, quelle idée merveilleuse!"

Maintenant, je vais prendre
une glace au chocolat,

pour faire le plein.
Et pour vous, ça sera quoi?

Un cognac avec du marshmallow.

Et comme ça.

nous étions sans cesse en train
d'inventer des choses,

et notre papa, papa Hector,
nous laissait faire ou non.

Quand on est passionné par une chose,

on veut à tout prix qu'elle se réalise
et qu'elle passionne aussi les autres,

tout le monde autour de soi.

Et lui, alors, il luttait pour sa passion.

Et quand il voyait quelqu'un
qui ne le suivait pas, il devenait fou.

Comme s'il voulait que tout le monde
entre dans cet univers avec lui,

que tous souffrent et sourient
avec lui dans cette passion.

Travailler avec Hector n'a jamais été facile,
mais c'est grandiose.

On n'avait pas le droit de se tromper,

et je crois qu'il avait raison.

C'était gratifiant,
car je me sentais professionnel.

Le cinéma, c'est super, c'est
une super ambiance, un super échange.

Jouer la comédie,
c'est un exercice vraiment super.

C'était génial.

J'étais une reine.

Je passais mes nuits à danser.

Pixote, change
cette saloperie de radio!

Il y a eu aussi des scènes
que nous avons créées ensemble.

Comme la scène à Ibirapuera,
où Marilia danse devant la voiture.

Je lui avais posé la question :
"Si Sueli n'était pas une prostituée,

"- que ferait-elle?
- Elle serait danseuse", a-t-elle répondu.

"- Et Dito, s'il n'était pas pickpocket?
- Footballeur", me dit Gilberto.

Alors il s'est mis à jouer et elle à danser.

C'était très beau. La scène est devenue
belle à partir de ce moment-là,

à partir de notre petit jeu.

Allez, allez!

Ils avaient prévu pour moi
une petite jupe bon marché,

un petit blouson.
Mais je ne voulais pas m'habiller ainsi!

De cette manière pauvre, comme ça.
Ils m'ont dit : "C'est trop théâtral.

"Laissez-moi être théâtrale!"
Nous nous sommes beaucoup disputés

pendant le tournage, car je voulais
que ma prostituée soit plus théâtrale.

Hector a fini par s'assouplir un peu,
j'ai pu obtenir ce que je voulais.

Et je crois que cette allure théâtrale,

cette drôle de putain, amusante et folle,

avec son maquillage,
parfois comme une Médée,

sa coiffure comme ça,
ses longs cheveux noirs,

je crois que ça plaisait beaucoup
aux enfants.

Les enfants adoraient avoir

cette prostituée à leurs côtés.

J'avais 14 ans à l'époque.
La belle époque!

J'ai appris ainsi pas mal de choses.

Comme j'avais un petit rôle,

je me suis intéressé
à toute la partie technique

comme les prises de vue.
J'ai appris le travail avec les grues,

plein de choses variées, donc.

Quand on est jeune,
on est attentif à tout, on apprend tout.

Ça a été vraiment cool.

Sous tes boucles de cheveux...
C'est de Roberto Carlos, non?

Je crois que c'est la chanson
qui était prévue dans le scénario.

Je suis allé dire à Hector
que je ne voyais pas bien le rapport.

Il était très ouvert
à ce genre de discussion.

"- Et si on chantait plutôt celle-là?
- Chante-la-moi."

Je la lui ai chantée,
et il a décidé de la garder.

Ça m'a vraiment surpris,

car personne ne m'avait prévenu

qu'un des personnages du film
chantait une de mes chansons.

Personne ne me l'avait dit.

On parlait tellement du film,
tout le monde en discutait, même moi.

Car le film faisait déjà
beaucoup parler de lui.

Mais personne n'a pensé à me prévenir
qu'un des acteurs chantait Força estranha.

Alors, quand j'ai vu le film,
j'ai été très ému.

À un moment, le film fait
une escapade à Rio de Janeiro.

Le reste du film
est caractéristique de Säo Paulo.

Cette scène à Rio,
où l'on voit Repoador

dans la lumière du soleil couchant,

et le garçon, qui est homosexuel,
se met à chanter Força estranha.....

Ça m'a marqué.
Ça m'a beaucoup surpris.

Qu'est-ce qu'un pédé
peut attendre de la vie?

Rien, Lilica.

C'était émouvant aussi
parce que Fernando a improvisé une chose.

C'est drôle, je m'en suis souvenu.

Il m'enlace. Il enlace Lilica.
Il pose ses mains, comme ça.

Il s'approche et il pose
ses mains sur mes épaules

tandis qu'il y a un fondu au noir de l'image.

C'était très émouvant de sa part

de lui apporter ce soutien physique
par ce geste de l'enlacer.

J'ai vu un enfant courir

J'ai vu le temps

Jouer sur le chemin

De cet enfant

J'ai mis mes pieds
dans le ruisseau

Et je ne les ai plus retirés

Le soleil brille encore
sur la route

J'ai vu la femme concevoir

Ça a changé pas mal de choses en moi.
Imaginez ce que c'est, chaque matin,

de se réveiller avec les cheveux rouges,

épilé, les ongles longs.

J'allais me coucher
et je me réveillais avec le personnage.

C'était impossible,
après la journée de tournage,

de rentrer dormir comme tous les enfants.
Non. J'emportais le personnage avec moi.

À l'époque, j'avais un scooter blanc,

c'est drôle. Je mettais un bonnet
que j'enfilais comme ça.

Pour cacher mes cheveux,
je les couvrais comme ça,

et je rentrais chez moi comme ça.
J'avais un certificat,

au cas où la police m'arrêterait,
pour expliquer que je tournais un film.

Avant que je tourne dans Pixote,
la police ne m'avait jamais arrêté.

Je me souviens,
nous tournions dans la rue en costumes,

et la police est venue nous embêter.

Ça a été terrible.

Personne n'était au courant,
sauf l'homme qui allait être volé,

les gens de l'équipe du film

et quelques policiers en civil
chargés de la sécurité sur le tournage.

C'était risqué, car si quelqu'un
décidait d'intervenir, nous craignions

qu'il nous balance du pont. C'était risqué.
"Au voleur! Attrapez-le!"

Mais c'était bien fait,
alors tout ça a l'air très naturel.

C'était bien réel...

On vient chercher notre fric.

On a attendu toute la journée.

Nous avons répété cette scène

pendant des heures, des heures,
des heures, et des heures.

Des heures et des heures
jusqu'à n'en plus pouvoir.

Il n'y arrivait pas.
Il avait peur d'utiliser ce couteau.

Il pleurait :
"Non, je ne veux pas tuer Elke!",

car il m'aimait beaucoup.
On lui a dit qu'il ne tuerait personne,

que c'était un faux couteau,
un accessoire.

Hector a interrompu le tournage,

je me suis éloignée pour montrer encore
à Fernando que c'était un faux couteau,

qu'il n'allait blesser personne.
Au bout de dix fois, il m'a enfin crue.

Rassuré, il est revenu tourner.

Il est évident que dans cette réaction,
il y a une vraie souffrance,

autant physique que morale.

Sale pute! Ta gueule!

Fernando, quand il joue Pixote,

est franchement émouvant.

On voit que c'est
un petit garçon intelligent.

C'est pourquoi j'ai aimé
être avec ces enfants.

Je me souviens de sa spontanéité,

je me souviens de lui en train de pleurer

dans certaines séquences

où il était davantage
un petit garçon sensible.

Le script disait qu'alors qu'il regarde
à la télévision

les images d'une discothèque avec
de la musique, il est pris de convulsions.

Qu'est-ce que tu as, Pixote?

Je savais, je le sentais,
ou Hector me l'avait dit,

qu'il ne faisait le film que pour cette scène.

Tout tournait autour de cette scène.

Marilia devait l'enlacer puis lui dire :
"Va-t'en, tu n'es pas mon fils".

C'était ce qui était prévu
dans le script.

Mais ce qui s'est passé, c'est que
lorsque Marilia l'a pris dans ses bras,

l'enfant se retrouve lui-même,

il se calme.
Il a ouvert la veste de Marilia,

instinctivement Marilia le serre
contre son sein, et il commence à téter.

Avant de prendre mon sein,
il me regarde,

de ce regard que je n'ai jamais oublié.

Il me regarde et il observe

les murs, autour de lui, le plafond,

comme s'il était un bébé.
Comme une régression.

Il a retrouvé le bébé qui était en lui.

Ce regard qu'il m'a lancé est inoubliable.

Ce fut une expérience inoubliable.

Le tout petit Fernando, avec ses 11 ans...

Tète, mon petit.

Maman est ici avec toi.

Cette scène du sein est sans fin,
elle semble ne jamais se terminer.

Jusqu'à ce que Marilia en ait assez,

et que, gênée par cette situation,

elle lui dise sa réplique :
"Va-t'en,

"tu n'es pas mon fils".

Lâche-moi, Pixote, je veux pas!

Enlève cette bouche dégoûtante!

Je suis pas ta mère! T'entends ?

Je suis pas ta mère!

Je veux pas d'enfant!

Je hais les gosses!

Sauf que Fernando improvisa
non seulement ce geste

de s'accrocher à son sein,
mais aussi de se lever,

de marcher vers l'armoire, de prendre
le pistolet, ce qui n'était pas prévu,

de le charger, et de le glisser à sa ceinture.

Il se retourne vers Sueli

et lui jette un regard, comme pour lui dire :

"À la prochaine", et il sort.

Un jour, à l'heure du déjeuner,
nous étions assis sur des rails,

en train de manger
notre repas de la cantine.

Et j'ai vu Fernando, après le repas,

s'amuser à marcher en équilibre
sur les rails de chemin de fer.

J'ai trouvé ça très beau,
ces rails jusqu'à l'infini.

C'était très chaplinesque, très visuel.

Et en voyant mon personnage
tenter de trouver l'équilibre, j'ai trouvé

que cette scène représentait le film,
en quelque sorte.

Elle représentait la nécessité
qu'a ce personnage, comme nous tous,

de réussir à garder son équilibre

sur n'importe quel chemin.

Johnny, qui faisait la musique
pour cette scène finale,

savait que je pensais intituler le film

Le Survivant.
Il me dit : "Non, ce personnage, à la fin,

"- ce survivant, comment s'appelle-t-il?
- Pixote.

"Alors le film doit s'appeler Pixote."

Salut! Comment ça va ?

Tu vas bien?

Et moi, qui suis-je?

Oh, mon Dieu. Oh, mon Dieu...

Chico! Comment vas-tu ?

Regarde qui est là.

Israël, mon cher ami! Comment va ?

Je ne reconnais que cette partie,
ces petits yeux.

- Tu vas bien?
- Ettoi?

Comment vas-tu?
Tu te souviens de Fernando?

Ils ont dansé ensemble, dans le film.

- Tu avais laissé pousser tes cheveux!
- Tu te rappelles ta coupe?

C'était bien!

Tu es venu un jour frapper chez moi
et tu n'es jamais revenu!

On peut voir le film, on peut faire
ce qu'on veut, mais pour moi,

ce que je pense ou ressens,
je suis la seule à le savoir.

Et ce sera comme ça jusqu'à ma mort.

Le film a attiré du public.

Nous avions réussi à passer
des bandes-annonces à la télévision,

_ on en a beaucoup parlé.
À l'époque, les noms de Marilia

et de Jardel Filho étaient très connus.

Je n'avais pas idée de ce que
cela représentait. Pour moi,

c'était juste 15 minutes dans un film.

Les gens demandaient des autographes.
Beaucoup de gens me reconnaissaient.

Ils demandaient des autographes,
c'était super.

Le film fit le tour du monde.
Un jour, un ami m'a dit

qu'il avait vu mon film
traduit en allemand. C'était génial!

C'était super!
Ça vaut le sacrifice.

C'est drôle, car personne n'avait pensé
au succès de ce film.

Sur le plateau, personne n'en parlait,

pas même lors des pots
après la journée de tournage.

"Ça va être un grand film!"
Je n'ai jamais entendu ça. Jamais.

Mais tout le monde se consacrait
à ce projet et y croyait.

Mais j'ai l'impression
que nous savions tous

que nous étions en train de faire
quelque chose de spécial.

Le Festival de Cannes a vu le film

et l'a refusé.
La copie, qui devait être renvoyée ici,

au Brésil, fut envoyée directement
à New York,

où Fabiano Canosa représentait Embrafilm.

Ils ont vu le film et ils ont adoré.

C'était la veille du festival
"New Directors, New Films",

qui a lieu tous les ans au mois de mai.

Ils ont décidé de sélectionner le film.
Il est passé au festival,

il y eut une critique enthousiaste
de Vincent Canby du New York Times.

Pauline Kael, qui était encore en vie,

écrivit une critique de sept pages
sur le film dans le New Yorker.

Un distributeur spécialisé
dans les films militants de gauche

et les documentaires sud-américains,
lié au Fond pour l'Art, acheta les droits

et il lança le film.

Pixote, les enfants des abysses

Le film brésilien qui dissèque un pays

Notre Pixote conquiert New York

Le triomphe du talent

Pixote, un drame brésilien

Pixote, 10 ans : du voyou à la star

Un prix pour Pixote

Babenco poursuit son chemin

Le triomphe des opprimés

Quand je suis sorti du cinéma,
je me suis dit que je devais aller au Brésil.

Ça m'a pris aussitôt,
il fallait que j'aille au Brésil.

Car, bien qu'il montre
un aspect très sombre du Brésil,

j'ai senti que si j'allais là-bas,
ma vie allait changer.

D'une manière ou d'une autre,
en bien ou en mal.

Ça semblait vraiment fascinant,

cet endroit extrême

où aller passer du temps.

Je crois que j'avais lu

un article dans le New York Times
sur le film.

Au moment où il était projeté.

Je suis entré, j'ai vu le film, et...

Je crois que c'était un des meilleurs films
que j'avais jamais vus.

J'étais à l'école de cinéma,
et mon mentor, Ernest Dickinson,

grand chef opérateur et réalisateur,
qui a tourné presque tous mes films...

Nous étions à l'école ensemble,
et je me souviens

que ce film a eu sur nous deux
un grand et profond impact,

en tant que jeunes cinéastes.

Nous avons adoré le réalisme de ce film.

J'ai toujours essayé
dans mes propres œuvres

de filmer la vie comme le faisait Hector.

Nous tentions d'y parvenir.

Pour moi, il y avait
deux choses importantes dans ce film.

Son extraordinaire regard,

la façon dont il montre le Brésil,

que j'ai trouvés incroyablement touchants,
et il y avait des prises, des performances,

qui étaient encore
complètement autre chose.

C'était si émouvant,

si obsédant, et si sobre.

J'ai trouvé ça
tout simplement extraordinaire.

C'est ici, dans les baraques de Vila Ester,

à Diadema, Säo Paulo,
que vit la nouvelle grande étoile

du cinéma brésilien.
Il s'appelle Fernando Ramos da Silva,

douze ans
et acteur principal du film Pixote,

grand succès à Säo Paulo,
bientôt dans les salles de Rio.

Fernando, qui a déjà signé un contrat
avec TV Globo,

fut choisi parmi des milliers d'enfants
pour faire le film.

J'ai beaucoup aimé
participer au film Pixote,

j'ai beaucoup aimé faire ce film.

Je me souviens qu'après,
Hector et moi étions très concernés

par l'idée de maintenir ces enfants
dans la proximité,

en leur offrant des cours de théâtre,

car toute leur préparation
avait été faite en vue du film.

Ils ont alors commencé
un travail de formation de l'acteur.

Avec des cours pour travailler
la voix, le corps.

On a envoyé ce projet
au ministère de la Culture

pour obtenir une subvention.
On ne l'a pas obtenue.

À vrai dire, le problème fut l'argent.
Je n'ai pas reçu.

Bon, j'avais un contrat, on m'a payé
comme prévu. Ça, ça allait.

Mais après le succès
et l'argent qu'il a généré,

nous n'avons plus rien reçu.

Après la sortie du film, quand il a rapporté
de l'argent, une des actrices essaya

de réunir des gens pour revendiquer
leurs droits et leur dû.

J'ai refusé, car ce n'était pas
ce qui était convenu.

On m'avait dit :
"Voilà ce qu'on peut te payer,

"ni plus ni moins. À prendre ou à laisser".

Vous savez, c'est difficile de voir le succès,
l'exploitation par la presse, la télé,

alors qu'on n'avait pas
de quoi payer le bus.

Je n'exige pas beaucoup de la vie.
Je voudrais seulement

pouvoir avoir un travail,

car quand on est sans travail,

on perd un peu la tête,
surtout quand on a des enfants.

C'est ça le problème des acteurs au Brésil.

C'est ça qu'ils ont dû affronter.

Je suis la première

de toute ma famille de comédiens,

après mon père, mon grand-père,
mon oncle, ma mère,

je suis la première à connaître le succès.

Ma famille entière,

avant moi, est morte dans la misère.

Car ils n'ont pas pu gagner leur vie
avec leur travail.

Pour moi aussi, ce fut difficile
de travailler dix ans sans reconnaissance.

Les gens pensaient que les enfants étaient
comme ça au naturel, sans avoir travaillé.

J'ai lancé un concours,
les gens sont venus s'inscrire.

Nous avons travaillé ensemble,
tout le monde a été très bien payé.

Nous avons fait un travail splendide.

Et comme toujours, les médias,
paresseux et irresponsables,

ont commencé à prétendre

que les enfants des rues avaient
fait l'acteur dans le film de Babenco.

Je crois que les gens ont cru qu'on avait
donné leur chance à ces pauvres enfants,

mais ce n'était pas tout à fait ça.

Les enfants ne venaient pas tous
de ce milieu. C'était la réalité de Fernando

qui vivait dans une favela
et venait de ce milieu.

Mais moi, j'étais étudiant!
Donc, à partir du moment

où on commence
à affirmer de telles choses,

tout notre travail d'acteur
est remis en question.

Les gens pensaient qu'on avait ramassé
ces vagabonds au coin de la rue,

qu'on les avait fait tourner, et
que ça avait marché. Pari gagné.

C'est difficile, le succès.

C'est une chose très difficile,
le succès, au Brésil.

Aujourd'hui je joue cette pièce,

qui connaît un certain succès,
Dieu merci.

Mais c'est très exceptionnel.

C'est cruel, le cinéma.
Très cruel.

C'est une illusion, n'est-ce pas?
Et toute illusion est cruelle.

Car elle ne s'accorde pas avec la réalité.

Nous avons tous connu sa cruauté.

Le cinéma vous emmène très haut
et vous abandonne en chemin.

Il faut alors se débrouiller.

Il n'y a pas de miracle.

Faire du cinéma est un métier,
comme le métier de cordonnier.

C'est un vrai travail,

qu'on exerce
avec plus ou moins de compétences,

plus ou moins de sincérité,

mais raconter des histoires,
c'est une profession.

Pour que ça marche, il faut

que les médias en parlent,
qu'on diffuse des photos.

Pour inciter le public à aller voir le film.

Fernando, la loi du plus faible :
après le succès, la favela.

Pixote a gagné de l'argent.
Pas beaucoup,

mais suffisamment pour espérer
pouvoir changer de vie.

Il a tourné dans un autre film
et dans des séries télévisées.

L'Amour est à nous,
de Roberto Freire et Wilson Aguiar Filho.

Premier épisode lundi prochain à 19 h.

J'ai toujours eu une folle envie
de le connaître.

À l'époque, c'était comme si

il était vraiment une grande vedette,
c'est vrai.

Et je voulais le rencontrer.
Il vivait aussi à Diadema,

il le répétait toujours.

Un ou deux ans passèrent.

J'allais au cinéma avec mes frères
en pensant le rencontrer.

Je n'avais pas le droit, à l'époque,

car c'était interdit aux mineurs.

Mais Fernando ne s'appliquait pas
dans son travail.

Il n'honorait pas ses engagements
et n'étudiait pas assez.

Les propositions de travail
se firent plus rares.

Fernando, s'isolant de plus en plus,
retourna en banlieue.

Il voudrait retravailler,
mais ce n'est plus qu'un jeune chômeur.

Beaucoup de gens très bien
lui donnèrent du travail.

TV Globo et Moacir Deriquem
furent très bien,

Boni avait insisté
pour qu'on aide ce garçon.

Il habita dans la maison d'Angela Leal.

Le maire de Duque de Caxias,
grâce à Louzeiro, lui offrit une maison

pour toute sa famille,
qui fut vendue un ou deux mois plus tard

et transformée en argent liquide.

"J'en ai marre de rester à la maison
à attendre toute la journée

"qu'on m'appelle, mais on ne me propose
plus rien. Je veux du travail.

"Je sais ce que je vais faire."

Je lui ai demandé :
"Tu vas faire quoi, Fernando?

"Je vais voler",
m'a-t-il répondu d'un air revanchard.

Je lui ai flanqué une bonne gifle
et je lui ai dit : "Ne dis plus jamais ça".

Il m'a lancé un regard plein de larmes :
"Tu ne peux pas me faire ça".

Dans la vraie vie, Pixote
ne travaille plus depuis un an.

Pour la première fois, sa vie
s'est confondue avec l'histoire du film.

Le fils de Dona Josefa a été arrêté
et conduit au commissariat.

Il était parmi un groupe de jeunes qui ont
cambriolé dans une maison.

J'ai dit : "Va-t'en, mon fils, sauve-toi.
Sauve-toi,

"car la police va venir te chercher,
la nouvelle est diffusée partout,

“sauve-toi."
Il m'a regardée, il a ri et a dit :

"Non, je ne vais pas fuir.
Je vais attendre la police ici.

"Je vais les attendre couché,
et tout Säo Paulo va voir

"que je suis un véritable artiste."

Il avait une telle haine en disant ça :

"Je vais leur montrer que je suis
un véritable artiste en les attendant ici."

Je suis sortie de chez moi pour voir
Fernando. J'étais juste à côté.

À l'époque, je ne savais pas ce que c'était
que de se faire arrêter.

Je suis allée au commissariat,
je n'ai pas pu le voir.

Ce fut encore pire à ce moment-là.

On ne me laissait pas le voir,
et je ne savais pas ce qui se passait.

L'affaire du jeune interprète de Pixote :

Un juge de Diadema a obtenu sa libération
par les forces du district ABC Paulista.

Fernando était détenu depuis deux jours
au commissariat de Diadema,

accusé de cambriolage
chez un particulier.

Après la libération de Fernando...
Je travaillais dans une usine de jouets.

Et après la libération de Fernando,
après le commissariat,

à l'heure du déjeuner,
on était en train de discuter.

On imaginait quelle célébrité
on aimerait bien rencontrer,

et j'ai dit que je rêvais
de rencontrer Pixote.

Tout le monde s'est moqué de moi,
ça m'a beaucoup vexée.

Une de ses cousines travaillait
par hasard dans l'usine,

et elle m'a emmenée le voir.

Après ça, on passait
notre temps ensemble.

Vous avez vraiment connu
toute cette tristesse, cette dureté.

Votre mère, vos frères et sœurs
en pleurs, désespérés.

Quel message voudriez-vous faire passer?

Qu'avez-vous en tête et dans le cœur?

Je crois que personne ne devrait
commettre les mêmes erreurs que moi.

J'ai eu cette chance dans la vie,

peut-être que je n'ai pas su en profiter,

je l'ai laissée passer comme ça.

Je dois dire ce qui s'est passé après ça.

Il n'y eut plus un seul voleur à Diadema.

Dès qu'il arrivait quelque chose,
c'était Pixote.

Et je dois raconter qu'un jour,

alors que Fernando faisait du théâtre
à Pernambuco avec la troupe Lira,

à 4 h du matin, j'ai été réveillée
par des voix dehors,

des gens avec des lampes torches
derrière la maison.

Je me suis levée et j'ai vu que sur le toit

il y avait des policiers partout,
qui escaladaient les murs.

À la recherche de qui?
De Pixote, bien sûr,

qui avait cambriolé
trois maisons aux Naçôes.

Sauf que Fernando était à Pernambuco!

J'ai brisé trois manches à balai en donnant
des coups dans les jambes des policiers.

Je les ai frappés avec des manches
à balai. J'ai visé l'inspecteur,

qui était en haut du mur.

J'ai frappé si fort
avec mon manche à balai

que les morceaux ont volé partout.
Ils m'ont molestée.

J'ai ramassé...
La rue était pavée à l'époque,

je suis devenue folle ce jour-là!

J'ai commencé à leur jeter des pierres,
ils croyaient que j'étais folle.

Je me souviens qu'il m'appelait souvent
la nuit, à l'aube,

parfois en pleurant,
d'autres fois très révolté,

en me disant que son nom
n'était pas Pixote,

qu'il ne sortait pas de la Febem.
Il voulait le crier partout

mais plus personne ne l'écoutait.

J'ai demandé dans plusieurs interviews

qu'on arrête de me considérer
comme Pixote, car cela ne me quitte pas.

Je me souviens que dans la série, c'était :
"Fernando Ramos da Silva (Pixote)"

qui était au générique.
Partout, il n'était plus que Pixote.

Il m'a raconté à l'époque,
qu'un jour, à Diadema,

les policiers l'avaient arrêté, battu,

enfermé, et lui avaient dit :
"Fais-nous ton Pixote, maintenant."

Fernando a commis quelques erreurs, oui.

Et quand il essaya de s'en sortir.

Voici ce qui se passe : on ne quitte pas
comme ça le monde des voyous.

C'est dur d'y entrer comme d'en sortir.

Plusieurs fois, devant le travail
qu'on arrivait à lui trouver,

en lui payant parfois son salaire

officieusement, sous la table,

afin qu'il ne sache pas
que c'était nous qui l'aidions,

il venait me dire :
"Hector, j'ai lâché ce travail,

"car si je vole deux autoradios en une nuit,

"je gagne ce que la production
me paie pour un mois."

C'était un moment

où la ville semblait livrée à elle-même,

et où les compagnies de sécurité privées
se confondaient avec la police officielle,

où on ne savait pas
qui était le plus dangereux :

les agents de sécurité,
les délinquants ou les policiers.

C'était très confus, à l'époque.

À un moment, Fernando fut arrêté.

Nous étions chez mes parents.

Je les ai vus arriver
et j'ai commencé à crier :

"Fè, Fà, Fê!"

Les policiers ont commencé à me pousser,

ils ne m'ont pas frappée,
car ma mère et mes frères

ne les ont pas laissés me toucher.

J'ai vu Fernando dans le fourgon,
j'ai pris un stylo

et j'ai noté le numéro
d'immatriculation du fourgon.

Les policiers qui tuaient des gens
ou commettaient des vols

n'étaient pas radiés, mais on les punissait
en les envoyant à Diadema.

C'est comme ça qu'on recrutait
la police de Diadema.

Que ce soit la police militaire
ou la police civile.

C'était ce qu'on offrait alors à Diadema.

Il était minuit.

Ils voulaient dix mille.
cruzeiros de l'époque.

J'avais très peu de temps
pour réunir cet argent

afin qu'ils n'accusent pas Fernando.

En empruntant un peu à chacun,
nous avons réuni 8 000 cruzeiros.

Nous avons trouvé une espèce d'avocat,
je ne sais où.

Et Fernando fut relâché
à sept heures du matin.

Nous nous sommes mis en place
à la fin des années 90.

Diadema était la ville la plus violente
du Brésil, une des plus violentes du monde.

Il m'a dit que s'il n'était pas mort
cette nuit-là, c'est qu'ils m'ont vue le voir.

Car personne n'aurait su
qu'il avait été arrêté.

Le quartier était très sombre,
il n'y avait pas d'éclairage.

Enfin, c'était vraiment dur de gérer tout ça.
Mon dernier contact avec Fernando,

ça a été quand il est venu
me présenter Cida,

enceinte, qu'il venait d'épouser.

Quand il a commencé à évoquer
ce mariage avec Cida,

Fernando était encore un gamin!

Je ne voulais pas de ce mariage.

Vraiment pas.

Puis elle a dit qu'elle était enceinte,
qu'ils devaient se marier.

Nous avons payé un avocat

pour qu'il lui accorde son émancipation
avant ses 21 ans,

pour qu'il n'ait plus aucun rapport
avec sa famille.

Sa nouvelle famille était celle
qu'il construisait avec sa femme,

et sa fille, qui est née peu après.

Jaqueline est née quand j'avais 14 ans.
Ma mère a failli avoir une attaque.

"Elle a les yeux de son père."

Mes yeux sont un peu tombants,
comme les siens.

- Un peu ovales, non?
- Ma mère dit qu'il avait les yeux tristes.

"Avec ses yeux tristes,
cette jeune fille de 17 ans

"cherche à retrouver son père,
qu'elle n'a jamais vu."

"Maman, j'apporte des noix de coco
de Pernambuco.

"J'ai aussi rapporté un poulet

"et de la farine de maïs." Car il adorait
le poulet avec de la polenta, il adorait ça.

"- Tu peux me cuisiner ça?
- D'abord, j'emmène les enfants à l'école,

"et puis je rentre te faire à déjeuner."

J'ai fait la cuisine,
tout le monde a déjeuné.

À 16 h 30, j'étais encore à la maison.

Car je ne retournais à l'école qu'à 16 h 45.

Jaqueline pleurait.
Il me l'a mise dans les bras et m'a dit :

"Maman, donne-lui son biberon,
car je dois aller

"du côté de chez Cida pour jouer au foot."

Il est sorti comme ça, en tongs, torse nu,

avec son T-shirt enfilé dans son short.
Et il est reparti.

Selon la police,

il a été vu ici avec un ami,
en train d'attaquer quelqu'un qui passait.

La police militaire a été alertée
et Pixote s'est enfui à pied

dans cette direction, vers la favela où il vit.

Pendant la poursuite,
la police entre dans la favela

à la recherche d'un suspect,
selon les agents.

Et ils vont voir les gens, en voiture.

C'est à ce moment-là que Fernando

voit une des voitures de police qui arrive.

Comme il est habitué à être poursuivi,

il a déjà été arrêté plusieurs fois
pour des vols dans le quartier,

il choisit de s'enfuir
pour échapper à la police,

au commissariat et aux tortures,

ce que connaissent
les pauvres des banlieues.

Peu avant 17 h, Fernando a été vu
en train de courir dans ces rues

et de s'enfuir en sautant
d'un toit à l'autre

À sa poursuite, de nombreux soldats
de la police militaire.

Ça s'est passé dans la maison
d'une amie de Fernando.

Il est mort sous un lit.

Sous un lit où il s'était caché.
Comme un rat.

Ils l'ont tué.

Tout le monde accourait ici.

En criant, en pleurant, tous.

Je suis tombée dans les pommes.
Que s'est-il passé?

Je n'ai entendu que ceci :
"Maman, ils ont tué mon frère."

En entendant ça, je me suis évanouie.

Je ne me suis réveillée qu'aux urgences.

On ne peut pas tergiverser aujourd'hui

sur une affaire que la justice
a déjà tranchée.

Elle a tranché, voici pourquoi :

elle a tranché en fonction
des preuves versées au dossier.

Je me rappelle très bien l'avoir vu
étendu sur la table.

Il a fait ce qu'attend

toute personne qui travaille
sur une enquête scientifique,

ce qu'elle espère voir arriver :

il a fourni une preuve immédiate
de son exécution.

J'ai quand même dû beaucoup travailler
pour prouver cette exécution,

mais l'information essentielle

qu'il me fallait pour le prouver
me fut donnée tout de suite.

Il a retiré le drap du corps de Pixote
et m'a montré sa poitrine.

D'après mon expérience, c'était très clair,

c'est le b.a.-ba de la médecine légale.

Lorsqu'on trouve des marques sombres,

parfaitement circulaires,

autour du trou où est entrée la balle,

ça indique un tir à bout portant.

L'arme a été en contact direct
avec le corps.

L'auteur du crime est le sergent
Francisco da Silva Junior.

D'après le rapport, il a avoué
bien plus tard

avoir tiré trois fois en l'air
avec l'arme de Fernando

en rentrant vers le commissariat,

pour laisser croire à une grande fusillade.

Ce que j'ai découvert, grâce à leurs aveux,

ce qui doit être sanctionné,

c'est que dans cette affaire,
ils avaient trafiqué les preuves.

En vertu de quoi, je les ai mis en examen.

Tous ces faits, qui ont été prouvés,

et qui ont conduit à la sentence,

tous ces faits furent portés
devant le jury.

Un jury neutre,
constitué d'un collège militaire.

Les preuves furent considérées suffisantes

pour qu'en dernière instance
soit reconnu

qu'ils étaient alors
en état de légitime défense.

Mais il y eut aussi un excès
dans les coups de feu.

Ce qui reste une chose très discutable.

Même à Hollywood, on ne tire pas

comme on le fait en banlieue de Säo Paulo,
selon les dires des policiers.

Normalement, ils doivent rouler au sol
quand quelqu'un leur tire dessus,

et pour se défendre, de temps en temps,

ils tirent. Mais ils visent toujours
dans le cœur de l'ennemi en face.

Ce n'est pas possible!

Et c'est ça qu'ils plaidèrent :
un tir de légitime défense.

Pour l'heure, l'enquête se fonde
sur les déclarations des policiers militaires,

et de Marcelino, le mineur qui était hier
après-midi avec Fernando.

Marcelino reconnaît
qu'ils ont attaqué une personne,

quelqu'un les a repérés
et ils se sont enfuis.

Mais il garantit que, bien qu'il fût armé,
Fernando n'a pas tiré sur les policiers.

Il n'a pas du tout sorti son arme,
ni échangé de coups de feu.

Ils prétendent que si, mais c'est faux.

- Mais Pixote était armé?
- Il était armé,

mais il n'a pas sorti son arme.
Il n'est pas fou,

il sait ce que ça peut entraîner.

Les militaires répondent à chaque crime.

À chaque délit inscrit
dans le Code Pénal militaire.

Ici, on ne jouait pas
aux Tueurs contre Pixote.

Mais ce sont des policiers
impliqués dans une affaire

où un citoyen est mort.

Je ne crois pas qu'il ait été tué
par la police militaire.

Car les policiers n'ont pas débarqué
dans la favela

en criant qu'ils allaient tuer Pixote.

Ils allaient tuer quelqu'un, n'importe qui,

qui n'avait aucun pouvoir.
Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient

de ce gamin, un voleur de plus
dans cette banlieue de voleurs.

Je crois que c'est comme ça
qu'ils ont réfléchi.

C'est comme ça.

C'est le finale de Fernando.
C'est son finale.

À ce moment-là, je travaillais au montage
de La Force d'un destin.

Je suis resté un mois enfermé dans l'hôtel.
J'allais travailler le matin, rentrais le soir.

Enfin, ça a été une période très dure
de ma vie. Une période très dure.

J'écoutais en boucle des chants bulgare,
ces cantiques tribaux de Bulgarie,

je les écoutais chaque soir
jusque tard dans la nuit.

Ça a été dur, très dur.
Ça l'est encore aujourd'hui.

Chaque fois que je vois Jaqueline, sa fille,

ou Cida, sa compagne, et d'autres enfants
qui sont venus plus tard...

Enfin. Je vois Dona Josefa....

C'est toujours une chose très.

très difficile, de sortir du fond de moi
ce que tout ça représente.

Aujourd'hui encore. Enfin.
Le film est là.

Il aurait pu y avoir
une autre issue pour Fernando.

Il a failli y en avoir une. À peine ébauchée.

Et comme pour tout être humain,
il y en a toujours une, je crois.

Toujours. Malheureusement,

à cause de son histoire,
de son environnement,

la probabilité pour que tout cela lui arrive

était malheureusement trop haute.

15 000 autres jeunes,

comme Fernando, ont été tués
alors qu'ils étaient peut-être brillants.

Qui peut dire le contraire?

Ils s'octroient le pouvoir d'enlever la vie.
De quel droit?

Leur enlever la vie...
Qui sait s'ils n'allaient pas avoir

des parcours aussi brillants
que les jeunes privilégiés?

Que les enfants des gens importants
du pays?

Les médias leur montrent
qu'ils peuvent se faire des illusions.

Qu'ils doivent avoir une Playstation,
un vélo, et tout ça.

Mais personne ne donne rien à personne.
Montrer, c'est facile, mais pour donner,

il n'y a plus personne.
C'est comme ça que chaque jour naît

une histoire de Pixote. Au Brésil,
il naît et il meurt un Pixote tous les jours.

Malgré cela, Pixote est un film
excessivement lyrique.

Comparé aux enfants que vous avez vus
dans les banlieues aujourd'hui,

et avec cet environnement,
ces enfants proches de la criminalité

ou déjà dans la criminalité,
Pixote est un film très lyrique.

En ce sens, l'époque est plus épique
aujourd'hui.

Pixote est vraiment un portrait du Brésil.

Malheureusement...

Je me demande parfois
si j'aurais fait le film

en sachant ce qu'allait être la fin
de Fernando.

Il est évident que non,

mais je crois,
et j'ai déjà tellement réfléchi à cela,

je crois que je n'ai aucun regret.

Je crois que ce qui lui est arrivé

aurait pu arriver à n'importe lequel
des enfants. Ça n'a pas été le cas.

Ça aurait pu m'arriver à moi
pour une autre raison.

Je crois qu'il l'a cherché.

Plein de gens m'ont dit :
"C'est le film!

"C'est le film qu'il a fait avec Babenco."
Mais non.

Ce n'est pas la faute du film.

Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas la faute
de Babenco, c'est sa faute à lui.

Pendant un moment, le film a été pour lui
une alternative à la vie.

Un des rares moments de vie saine
qu'il ait connus.

Ça valait la peine qu'il passe par ici.

S'il avait connu cette trajectoire

sans rien laisser dans les mémoires.

Au moins, il y est resté.

Fernando n'a jamais vu le film
jusqu'à la fin.

Il disait que s'il voyait la fin,
son histoire allait se terminer.

Et il est mort sans avoir jamais vu
cette fin du film.

Traduction
Simon Berjeaut