All language subtitles for Little.Girl.Blue.2023.FRENCH.1080p.WEB

[musique douce]

[musique douce]

[vrombissement continu]

[clics souris]

[vrombissement continu]

[touches de clavier]

[musique lancinante]

[bruissements de papier]

[la musique continue]

[touches de clavier]

[roulements molette de souris]

[la musique continue]

[craquements]

[soupir]

[respiration]

[musique lancinante]

[Jean Achache] Qu'est-ce que je peux
dire, que je n'ai déjà dit ou que...

J'ai très envie que t'ailles au bout de
ce travail, que tu te débarrasses de ça.

Pourquoi, papa ?

[J. Achache] Parce que ta mère
a jamais réussi à s'en débarrasser.

Et voilà.

Et je pense que...

Fondamentalement, je pense que ton avenir
n'est pas là, il est ailleurs.

Et que tu traînes des caisses
que t'as pas forcément besoin de traîner.

Enfin, que ta mère a traîné ça toute
sa vie, et c'est ça qui l'a rendue folle.

Et je pense que ton avenir, ta force,

ton énergie est ailleurs.

Elle est avec tes enfants,
elle est dans ton travail,

elle est avec des gens
qui sont autour de toi.

Elle n'est pas dans la tentative
désespérée de comprendre quelque chose

qui est incompréhensible,
parce qu'il est absurde.

[chant de grillons]

[chant de grillons]

[musique lancinante]

Chiotte.

[la musique continue]

[bip électronique]

[Carole Achache] Je travaille plutôt
en ce moment

autour de ce que j'appelle ma genèse,
c'est-à-dire avant moi.

[Monique Lange] Tu devais avoir
vingt mois...

[Mona Achache] Tu écrivais.

[Monique] Je vais dire...
Puisque tu sais...

[Mona] Ton dernier livre ne parle que
de ta propre mère, qui écrivait aussi.

[Monique] Attends, tu penses
que c'est quelle année ?

[Carole] 53.

[Monique] C'était 53, en effet.

[la musique continue]

[coups de marteau]

[Carole] C'est quand même un personnage
incroyable, hein, ma mère ?

[Mona] Pour ce livre, tu as enregistré
sur ces dictaphones tes conversations

avec les témoins survivants
de ton enfance.

- [touches de clavier]
- [musique lancinante]

[coups de marteau]

[conversations indistinctes]

[Mona] Tu as lu toute
la correspondance de ta mère.

Tu as trié des milliers de photos
accumulées dans les caisses.

Tu as lu ses carnets.

Tu as recopié l'intégralité des notes
qu'elle avait écrites

sur les petits agendas conservés
dans cette valise.

[la musique continue]

Tu as tout archivé,

tes écrits et ceux de ta mère,
vos carnets, vos manuscrits,

l'énigme de tes visages

et ta voix.

[la musique continue]

[on frappe à la porte]

- Bonjour.
- Bonjour.

Entrez.

Vous voulez un thé,
un verre d'eau, quelque chose ?

Non, ça va, j'ai ce qu'il faut.

Euh...

C'était son bureau.

Alors...

ça, c'est son jean, son T-shirt.

J'ai pris un cardigan avec son écharpe,

son sac à main assorti.

Là, vous avez son agenda,

passeport, pièce d'identité,
carte Vitale.

J'ai deux paires de lunettes.

Je sais pas, vous me direz
celle que vous préférez.

J'ai acheté des lentilles marron,
comme vous avez les yeux bleus.

Elle avait les yeux marron.

Son parfum.

Là, alors, sa montre et des bagues.

Elle mettait tout le temps ce collier.

[elle chuchote] La perruque.

[Marion soupire]

Y a un miroir là, si vous voulez pour...

vous changer.

Je veux bien vos chaussures.

- Hein ?
- Vos chaussures.

[cliquetis métalliques]

[Marion] "Ma mère m'a laissé une énigme.

"L'histoire de notre relation."

Vous êtes en train de faire
exactement ce qu'elle avait déjà fait,

enquêter sur votre mère.

Ma grand-mère aussi avait écrit
un livre sur sa propre mère.

[musique mélancolique]

[Kathleen Evin] Après la mort de sa mère,
Carole Achache a conservé une valise

dans laquelle ont été
jetés pêle-mêle les agendas

sur lesquels celle-ci notait

ses rendez-vous et quelques phrases
reflétant ses humeurs

ainsi que les photos d'une vie.

Une vie essentiellement consacrée
aux livres et à ceux qui les écrivent.

Monique Lange a travaillé
chez Gallimard dès les années 50

en y gravissant tous les échelons,
osant un jour se mettre à écrire.

[Monique Lange] Je me souviens
de ce bureau

qui murmurait un peu
que j'étais nulle mais marrante.

À cette époque-là,
c'était extraordinaire.

C'était les années 50.

On mangeait à la cantine, on se poussait
toutes pour être à côté de Camus.

J'ai connu Genet,
qui a profondément marqué ma vie.

J'ai connu Marguerite Duras,
j'ai connu Violette Leduc.

C'était une très, très grande époque.

[K. Evin] Carole Achache,
devenue photographe,

a commencé à écrire sur sa famille

et ses secrets en 2008,
avec La Plage de Trouville,

à travers l'histoire d'un tableau volé
par les nazis chez sa grand-mère

pendant l'Occupation.

Aujourd'hui,
elle publie chez Stock Fille de,

un livre qui parle avec tendresse
et violence de sa mère,

et de la vie qu'elle a menée avec elle.

Une vie où elle a eu l'extraordinaire
chance de côtoyer

artistes, intellectuels et écrivains.

Une vie où elle a eu le malheur
de ne pouvoir y être juste une enfant

protégée, écoutée, consolée.

Une vie où un étrange silence s'installe
au milieu des incessantes

et passionnantes conversations
d'adultes trop brillants.

[touche clavier]

[Carole] En même temps, je veux d'abord
transposer cette espèce de moment génial.

- [Jorge Semprún] Oui.
- Génial !

- [Jorge Semprún] Oui.
- De cette...

[J. Semprún] Il y a tout l'aspect
personnel qui peut être passionnant...

[Carole] Triste.

- [J. Semprún] Triste et passionnant.
- Ouais.

[J. Semprún] Pour un lecteur,
c'est passionnant.

[voix de Carole] C'est quand même
un personnage incroyable, ma mère.

[J. Semprún] C'est un personnage
incroyable...

Écoute, le générique,
si c'était un film...

[playback] [J. Semprún]
Par moment c'est un film, mais bon,

oublions le cinéma, complètement.

Le générique de ce livre est incroyable,

le casting est incroyable.

[Carole rit]

[J. Semprún] Avec, par ordre d'apparition
dans ce manuscrit,

Monique Lange, Dionys Mascolo,

Jean Genet...

[il baragouine]

[Carole rit]

Il ne faut pas écarter la possibilité

que j'aie une faiblesse
particulière pour le livre

à cause de la gentillesse
du portrait que tu fais de moi.

[touche de clavier]

[K. Evin] Grandir là où vous avez grandi,
avoir une mère comme la vôtre,

- c'était déjà une certaine chance.
- [musique mélancolique]

Et quelle chance !
C'était les années 50 à Paris,

ce que Monique Lange
était à la rive droite,

Marguerite Duras, qu'elle connaissait
très bien, était à la rive gauche.

[Marguerite Duras] On avait 25 ans,

c'était Saint-Germain-des-Prés.

C'est là que tout
ce qui est arrivé de décisif

dans notre jeunesse, dans nos sentiments,

dans nos croyances, dans notre folie...

On est devenu fou de communisme,
on disait que le peuple

avait le droit de décider
quelle serait sa lutte.

Comme d'habitude,

on n'a pas écrit là-dessus.

On n'écrit pas sur le bonheur.

[elle chuchote] ... de façon violente
à la guerre et elles ont foncé.

- C'est quand même, moi, je crois...
- [Mona] Action.

[playback] [K. Evin]
C'était ça, cette époque,

Carole Achache,

la politique, la littérature,

les discussions la nuit

en buvant, en fumant,

et les enfants devaient se débrouiller.

[playback] [Carole] Oui.
C'était évident pour ma mère

ou pour Duras,

que nous profitions de cette espèce de...

bonheur,

comme dit Duras, et de passion.

Et puis, il faut aussi penser que,

au sortir de la guerre, dans ce milieu,

il y avait ce désir de liberté

qui était fou et nécessaire.

Beaucoup de...
Beaucoup de personnes ont tourné

- le dos de façon violente...
- [Marion souffle]

- ... à la guerre et elles ont foncé.
- À la guerre et elles ont foncé.

Moi, je considère
qu'elles sont beaucoup...

- plus libres que nous étions en 1968.
- Ah, putain.

J'ai jamais fait
un truc aussi dur de ma vie

[chuchotements]

Et voilà. "Mais..."

"Mais fou et nécessaire", c'est bon.

[Carole] Moi, je considère
qu'elles sont beaucoup plus libres

que nous étions en 1968
parce que beaucoup plus courageuses.

[playback]
Les enfants, il fallait qu'on profite.

[playback] [K. Evin]
Mais il fallait aussi s'adapter.

Ce qui voulait dire pour un enfant

ne pas avoir une vie d'enfant,

avoir déjà une vie
de petit adulte très tôt.

[Carole] Je ne pouvais pas le savoir.

Je ne savais pas quelle était la vie
d'un autre enfant.

C'est vrai que j'ai eu beaucoup de chance

car c'est une nourriture formidable.

Donc on ne peut pas considérer

que le savoir précoce

est quelque chose de néfaste,

mais effectivement,

le jeu, J-E-U, n'était pas très présent
à la maison.

[K. Evin] Et vous avez très tôt
dû affronter

ce qui arrive souvent, le départ du père.

[Jean-Jacques Salomon] Me voici plein
de bons conseils, averti comme pas deux

et joliment dans l'embarras
d'avoir à t'écrire cette lettre.

Je t'en supplie, l'ayant lue, détruis-la.

De plus en plus obsédé
par ce que tu sais,

je ne me suis pas retenu d'en parler
à un médecin que j'estime beaucoup.

[musique lancinante]

Ne m'en veux pas mais tout cela
me jette dans un si grand gouffre.

Petit 1,
pourquoi attendre deux mois ?

Il se peut fort bien que tu ne puisses
cacher longtemps la chose en toi.

Petit 2, il y a des moyens
d'éviter de passer par la Suisse.

Tu serais là que la chose serait
à tenter, sans désagrément, j'imagine.

Mais toi toute seule,
si loin de moi ?

J'ai de plus en plus l'impression
que nous sommes deux enfants.

Si tu voyais la tête que je fais ici.

Petit A, ou bien
tu viens en Alsace près de moi,

je serais plus rassuré, on avisera.

Petit B,
ou bien si tu crois pouvoir le faire,

tu utiliseras le procédé qu'on m'indique.

L'essentiel me paraît précisément
d'éviter l'intervention chirurgicale

qui, même en Suisse, a de quoi

m'effrayer.

Si tu connaissais quelqu'un
qui puisse te faire ces piqûres,

il paraît qu'elles
sont extrêmement efficaces.

Entre-temps, marcher, courir,
ne pas s'allonger, etc.

Jusqu'au moment où, etc.

C'est du Benzo-Gynoestryl numéro 5.

Deux ampoules dans une seringue
par jour en quatre jours.

Piqûre intramusculaire dans la fesse.

Quatre piqûres de deux ampoules
chaque fois. Au neuvième jour,

cela doit venir, mais si c'est
insuffisant, recommencer,

car sans ennui, sans curetage.

Voilà, décide.

Mon pauvre chou, je suis confus,
dégueulasse, humilié, pardonne-moi.

Je suis proprement affolé,
réponds-moi vite.

Je voudrais que nous ayons
un mois de calme.

Un mois pendant lequel
je me ferais pardonner cette lettre.

Jean-Jacques.

Détruis cette lettre.

Petit C. Depuis quand
attends-tu tes dernières saisons ?

Petit D.

Je t'aime.

[K. Evin] Le père de substitution,
c'était un Espagnol.

[playback]
Il s'appelait Juan Goytisolo,

c'était un réfugié espagnol
anti-franquiste, engagé politiquement,

- écrivain.
- [touche de clavier]

[à-coup de la chaise]

[cordes lancinantes]

[Monique Lange] Dois-je
vous rappeler l'histoire ?

[la musique continue]

C'est l'histoire d'une fille jeune
qui est très amoureuse

d'un homme qui ne l'aime pas.

Et ce n'est qu'à la fin du livre
qu'elle découvrira que

la raison pour laquelle il ne l'aime pas,
c'est qu'il est homosexuel.

[Juan Goytisolo] Cela fait
à peu près un an

que j'ai commencé à fréquenter
des Arabes.

Il m'a suffi de quelques semaines
pour me rendre à l'évidence.

Je retrouvais mon équilibre
et je me rapprochais de toi.

Mais aussi je découvrais

que j'étais totalement,

définitivement,
irrémédiablement homosexuel.

Depuis cette date, tu auras observé
que nos relations se sont améliorées.

Bien que différemment,
j'ai commencé à t'aimer plus qu'avant

et j'ai atteint une espèce de bonheur
que je n'avais jamais connu auparavant.

Je me sentais serein,

heureux de partager la vie avec toi,

de vous avoir à côté de moi,
toi et Carole.

Aujourd'hui, je suis dans une impasse.

[musique mélancolique]

Je ne peux rien te proposer,
rien te promettre.

Je redoute ta réaction

et secrètement, je la désire.

[la musique continue]

Je sais que je détruis mon bonheur
d'être près de toi, qui est si fort.

J'ai peur de vivre sans toi.

Il y a ton visage, ta capacité d'amour,

tes yeux, ta tendresse.

Je n'ai jamais été
aussi proche de quiconque.

Je ne suis jamais allé aussi loin
dans l'amour qu'avec toi.

Dorénavant, la réussite
ou l'échec de notre relation

dépendait de notre volonté
de rester ensemble.

L'illusion de former un couple normal
avait fait naufrage

et il nous fallait relever le défi
de créer quelque chose de nouveau.

Mais l'amour, la compréhension,
le respect mutuel que nous possédions

suffirait-il à maintenir la force
des liens que nous jugions primordiaux ?

[la musique continue]

[brouhaha restaurant]

[Carole] Ma question, c'est pourquoi...
Pourquoi les homos

de ma mère ?

[playback] [Carole]
Toi, Genet ? Et Juan !

[playback] [Daniel Cordier]
Je ne sais pas d'où vient son goût

pour les homos, je ne sais pas.

[Carole] C'est inexplicable,

si ce n'est un grand masochisme.

[Daniel Cordier] Mais c'est quelqu'un
de très émouvant.

Je pense qu'elle a eu une vie difficile.

Heureusement, elle avait
une espèce de fantaisie...

de distance. C'est quelqu'un
qui a eu une vie difficile.

[Carole] Elle était tragique.

Elle était tragique.

[Daniel Cordier] Oui, c'est ça.
C'est ce que je dis.

Mais, je pense que, au fond,

elle était très bien chez Gallimard,

parce qu'elle a été placée là,

à côté de gens

qui étaient tout à fait, mais alors...

[il rit]

... plus que tragiques !

Et au fond elle était dans le milieu,

elle n'était pas isolée.

[Carole] Mmh.

[brouhaha restaurant]

Je vais la relire une fois.

[chuchotements]

[Carole] Elle raconte
qu'elle était frigide...

[elle chuchote] Avant mon père.

Oui, bon, hein...

[chuchotements]

[elle chuchote] Donc ça allait mieux
avec mon père.

Et puis très vite...

[bégaiements]

... très vite, elle a été trompée.

Et c'est un texte qu'elle a écrit
après son opération.

J'ai enfin compris,

non pas la pathologie qu'elle a eue...

- On lui a enlevé son utérus.
- [Carole] On lui a enlevé son utérus.

[chuchotements]

[Marion chuchote] Alors justement,

j'ai demandé à un médecin, parce que...

c'est un nom incohérent qu'elle a dit.

Non, non, non, non,
c'était une espèce de...

Elle parle de nécrobiose.

Et...

Le texte est terrible parce qu'elle dit :
"Finalement, j'ai perdu mon utérus..."

[Carole et Marion] "Finalement,
j'ai perdu mon utérus,

"même si c'est pas l'organe
du sexe, enfin...

"Parce que, faute de l'avoir utilisé...

[Marion chuchote] "Et j'ai mis
une semaine à m'en remettre,

"heureusement que j'avais..."

[chuchotements]

Et ça ressemble tellement, justement...

[bégaiements]

À ce... suicide...
- [Carole] Suicide...

- Corporel...
- [Carole] Corporel...

[Florence Malraux] Oui, absolument.

- Qu'elle a eu.
- [Carole] Qu'elle a eu.

[Florence Malraux] J'ai toujours eu
l'impression

qu'il y avait quelque chose

qui n'était pas résolu.

[playback] [Carole] C'est incroyable.

[musique lancinante]

Il y a des lettres de mon adolescence
qu'elle a retapées à la machine.

Ça veut dire qu'elle fouillait
dans mes affaires.

[Florence Malraux] Ça, j'aime pas
beaucoup ça.

[Carole] Non mais il y a...
C'est la sexualité par procuration.

[playback] [Florence Malraux]
Mais plus on pense à,

je sais pas, la trajectoire de Monique,

plus on est obligé de se dire

que la sexualité

a eu une importance
et des conséquences...

- [Carole] Bah, surtout avec moi !
- ... terribles.

Nan, je veux dire, cette espèce
d'être fusionnel qu'on...

[Florence Malraux] Complètement.

[musique mélancolique]

[Marion, jouant Carole]
Elle me trouve géniale, je le sens.

Il y a cette passion pour moi
dans les yeux de ma mère,

quel que soit le jour, la seconde.

Même de dos quand je marche devant,
c'est une brûlure acide.

Rue Montorgueil, le dimanche
elle vend L'Humanité,

la une de journal face aux passants,

je suis assise près d'elle
sur la marche d'une entrée d'immeuble

et je reçois son bonheur
comme une pluie de paillettes.

Elle est folle de moi, je suis ivre.

Durant des grands dîners
rue Poissonnière,

les uns serrés contre les autres,

toujours ce regard de ma mère
que je sens posé sur moi,

par intermittence,
depuis l'autre bout de la table.

Même sans la regarder, je la sens fière.

Mon sérieux, ma gravité.

Et le sourire de ma mère.
Et son bonheur encore.

Je suis exceptionnelle.

Un jeudi, ma mère note :
" Définition du cafard par Carole :

"Tristesse un peu longue
si on la domine pas. "

[soupir]

[soupir]

[souffle lourd]

[Jean Genet] Ce qui m'a donné
un peu de fraîcheur,

c'est l'insécurité.

Genet m'invite à déjeuner
en tête à tête près de son hôtel.

Je suis fière. Monique aussi.

Elle est si contente
qu'il s'intéresse à moi.

Nous sommes les deux êtres
qu'elle aime le plus au monde,

même Juan n'a pas cette place-là.

Fréquenter Genet est la meilleure chose
qui puisse m'arriver en ce moment.

Je ne peux que tirer
profit de sa singularité.

Elle se dit que c'est merveilleux.

C'est une chance inouïe.

Et c'est vrai, je sens
qu'il a du plaisir à me découvrir.

Il se marre avec moi.

Il m'apporte une façon
insolite de réfléchir.

Il m'aide à confirmer ma révolte
et à ne pas être comme les autres...

Il est joyeux en ma présence.

J'ai des dons que Monique n'a pas.

Je lui redonne le goût de vivre.

Je suis bien plus marrante qu'elle.

Il y a en lui des moments enfantins
aussi puérils que les miens.

Nous sommes capables

de retourner un menu
sur la devanture d'un restaurant

ou de vider une salière dans un vase.

J'ai même une histoire
avec son amant de l'époque, Jacky.

Je fais un saut chez Genet
avant de partir.

Il n'a toujours pas bougé.

Il fume assis au centre du lit.

Je vais boire une gorgée d'eau
à même le robinet,

dans la salle de bains,
juste derrière lui.

Je n'allume pas,
je garde la porte ouverte.

Je reçois un coup de couteau dans le dos.

"Il paraît que tu suces mal,
d'après Jacky, et que tu mords.

"Moi, je m'en tire mieux."

Assis sur son lit, un cigare
à la main, en pyjama à rayures,

il m'affirme que je ne pourrai
jamais le faire bander.

Moi, si.

Je suis certaine que oui.

Lui n'en démord pas.

"Si. Tss, tss. Mais si. Essaye."

Il se lève

et reste debout, exquisément glacial.

Je lui touche les testicules,
sous le pantalon, sans fermeture éclair.

"Tu vois, j'avais raison,
aucune femme ne le peut."

[Nico Papatakis] Vous êtes
sa fille unique, à Monique ?

[playback] [Carole] Oui.
Ouais, ouais.

[N. Papatakis] C'est incroyable,
quand même.

[Carole] Pourquoi ?

[N. Papatakis] Non,
quand on a une fille unique,

je sais pas, on...

C'est rare que ça établisse
des rapports un peu bizarres...

[Carole] Pourquoi "bizarres" ?

Il y avait deux personnes au monde
qu'elle adorait plus que tout,

c'était moi et Jean.

[N. Papatakis] C'est ça.

[Carole] Donc pour elle, que je...

puisse être élue par Jean...

Parce que quand j'avais onze ans,
nous discutions dans son hôtel,

je séchais les cours, c'est vrai que...

[hésitations]

J'ai eu de la chance d'avoir
des discussions magnifiques avec lui.

Mais très vite, il s'est joué de moi.

Il m'a défiée.

"T'es pas capable de faire ça..."

Et donc une petite môme
qui a un cerveau un peu mou,

on la manipule facilement.

[brouhaha restaurant]

[Carole] Je n'ai pas encore réussi
à tout déchiffrer des lettres

que tu as envoyées à ma mère parce que
tu as une écriture épouvantable !

[homme] Merci.

[rires]

[playback] [Carole]
Mais tu as averti ma mère

à plusieurs reprises

que Genet était dangereux.

[brouhaha]

[homme] Non, c'était un fou !
C'était un fou.

[Carole] Un pervers...

Tu sais qu'il m'a fait du mal ?

Genet m'a fait du mal.

- [homme] Ah bon ?
- Ouais.

C'est pour ça que je pose ces questions.

[homme] Ah !

[brouhaha]

Mais malheureusement,
c'est quelqu'un que je ne connais pas

parce que ta maman était...

possédée par lui.

Ouais.

Mais plus on lui faisait du mal,
plus elle aimait les gens.

Alors qu'est-ce que tu veux !

Elle a été servie par Genet !

Plus que servie...

[brouhaha]

[homme] Et...

Mais elle s'est sacrifiée !

Elle s'est sacrifiée !

[homme] Mais elle adorait ça...

Tous les gens qu'elle a connus,
ça a été l'occasion

de se sacrifier pour eux.

D'être leur victime !

Non pas que les gens abusent, mais...

elle s'offrait en victime, donc...

On en profitait !

Elle était soumise à ceux qu'elle aimait.

Totalement.

Et donc, c'était...

C'était merveilleux

[rires]

[brouhaha]

[murmures]

[musique mélancolique]

[Marion chuchote] Et en même temps
très puéril,

son visage rond, ses éclats de rire.

[la musique continue]

[playback] [Carole]
C'est toute l'ambiguïté de Genet,

c'est-à-dire que, c'est un être

complètement lumineux
et en même temps très puéril.

Son visage rond, ses éclats de rire.

Oui, il détestait les femmes.

Au moment où je l'ai beaucoup vu,
j'étais assez jeune,

j'avais onze, douze ans,
donc j'étais encore androgyne.

Et je crois qu'il m'aimait bien aussi
parce que j'ai l'air moricaud,

un peu arabe,

et peut-être que
ça lui rappelait Abdallah, le funambule,

qui s'était suicidé à ce moment-là.

[musique mélancolique]

[Chant de grillons]

Mais Abdallah fait partie
de ma vie tellement intime

que je préfère ne pas en parler
devant la caméra.

[la musique continue]

[Marion, jouant Carole]
Je n'oublierai jamais Abdallah,

le funambule que j'adorais
et qu'à dix ans je voulais épouser.

Abdallah est tombé du haut du fil,
sans protection.

Peu après, il est remonté,
peut-être trop tôt,

pour répéter un numéro
sous les yeux de Genet,

qui souhaitait, assis en bas, qu'il aille
plus loin, toujours plus loin.

De nouveau une chute.

Puis la sentence des médecins.

Abdallah n'avait plus le droit
de prendre des risques

dans son costume aux mille paillettes

sous le chapiteau
de n'importe quel cirque.

Il était devenu banal.

Il y a ce mot "banal"
qui est omniprésent chez Genet.

J'entendais murmurer
les adultes autour de moi

et sous-entendre une tragédie,

comme une chronique
annoncée de son suicide.

Tout le monde s'inquiétait.

Et puis, un soir, il s'est pendu.

[la musique continue]

[Carole] Non, je ne veux pas
raconter ma douleur comme ça.

Je voudrais la rentrer
dans une histoire.

[homme] Oui.

[Carole] Je suis quand même l'enfant

d'un monde intellectuel, et ça aussi,
je m'interroge là-dessus,

comment est-ce
qu'on m'a laissée comme ça ?

Pourquoi ?

Et ma douleur, elle se situe là.

Et en aucun cas,

je vous emporte tous

dans mon histoire pour cautionner
quoi que ce soit.

C'est juste parce que mon interrogation,

c'est : comment une gamine comme moi,
avec un tel potentiel,

a eu une conduite d'échec
aussi remarquable ?

Voilà, c'est tout.

Je suis régulièrement hantée
par ce que j'ai vécu.

[bourdonnement]

[playback] [K. Evin]
Jorge Semprún a été important

aussi pour la confection de ce livre.

Vous êtes allée le voir
pour vérifier certains souvenirs,

et il vous regardait,

ça se sent,
avec comme une sorte de remords,

en disant qu'à un moment,
vous étiez devenue folle.

[playback] [Carole]
Folle ?

- [K. Evin] Pas bien.
- Pourquoi pas.

Quand il vous regarde,
j'ai dit folle, c'est pas ça,

mais on sent
qu'il se souvient de vous

comme d'une adolescente en révolte

et qui a commencé à faire

des folies, à ne pas se soucier,

n'avoir aucun respect d'elle-même,

de son corps.

À la fois, à avoir envie de liberté

et montrer qu'elle pouvait s'éloigner
de sa mère.

Pendant un moment, Carole Achache,

vous vous êtes fait du mal à vous-même.

J'avais pas le choix.

Je commence mon récit

à partir de ma seizième année.

Auparavant, j'agissais en somnambule,
j'avais brûlé énormément d'étapes,

mais quant à me construire,
ce n'était qu'un gros brouillon.

Je ne parlerai pas de ma famille,
mon origine sociale,

même si "Mister Freud"
m'a bien expliqué que tout vient de là.

En fait, jusqu'à Mai 68,

mes tribulations
étaient totalement solitaires,

si ce n'est
quelques rencontres disparates

que je faisais pour baiser.

Et puis ce fameux mois de mai

m'a fait rentrer

- dans le rêve, dans la réalité.
- [clameur]

Dans ma réalité.

Ce mois de mai,
beau cadeau pour mes seize ans.

Cela m'a tout simplement permis
de ne pas me déconnecter de ma révolte,

puisque le monde extérieur
avait ma couleur.

Mon malaise,

je l'ai exprimé à ce moment-là
à travers la politique.

Quand j'y pense,
mon militantisme était vraiment bidon.

Mais j'avais réussi
à trouver quelques théories

qui correspondaient
exactement à ma flemme.

Faire de la politique,
c'est ne plus subir le monde.

[Marion, jouant Carole]
Je suis à peu près sûre que si

j'ai toujours voulu en faire qu'à
ma tête, c'est grâce à ce petit mois.

C'est une autorisation que la société

m'a donnée à partir de ce jour-là.

Je suis vraiment heureuse et fière

d'avoir vécu un moment pareil.

J'ai passé l'été suivant à valdinguer
à travers des groupes anar.

Impossible de retourner au lycée.

Je commençais à vivre avec un garçon
qui avait un an de plus que moi.

Je voulais vivre,
mais je ne savais pas comment.

L'héritage intellectuel
ne m'aidait pas sur ce plan-là.

Je n'avançais que par des références
morales, sans me laisser aller.

En quelque sorte,

j'entrais dans la vie en sachant
un peu ce qu'il ne fallait pas faire,

mais pas du tout ce qu'il fallait faire.

Tout était figé dans ma tête.

Tout se cristallisait
dans un parfait ennui,

dans une étrange tristesse.

Je commençais à exploser
parce qu'intuitivement,

- je voyais que j'allais nulle part.
- [explosion]

- [clameurs]
- [musique énergique]

[sirène d'alarme]

Je me séparais
au bout d'un an d'austérité de ce garçon

en rencontrant le monde
des défoncés parisiens.

[Janis Joplin : "Little Girl Blue"]

Le simple fait
que je commence à me défoncer

gomma énormément certaines limites
intellectuelles

que je m'étais tracées.

C'étaient des gens pour qui
le seul problème était d'être bien

et pourquoi pas heureux le jour même.

Ils m'ouvraient un univers libre.

J'étais émerveillée.

Je voulais rentrer dans leur cercle,

être intégrée, acceptée.

[la musique continue]

Je voulais leur prouver
que j'étais capable de m'éclater,

d'être plus folle qu'eux.

Et cela se manifesta par...

des shoots à l'héroïne,

ou encore par de l'argent
que je leur donnais,

s'ils avaient un besoin quelconque.

Un couple que j'admirais
ne pouvait pas payer son loyer.

Et ben, le lendemain,

en piquant quelques scripts de Genet
et en les revendant, bien sûr,

je leur ai apporté 600 francs.

Arnaque.

Mon Dieu, ce que ça pouvait m'exciter !

Ce mot-là

correspondait à un moyen de réagir
contre la société

en vivant royalement à ses dépens.

Des livres de la Pléiade, des manuscrits,

des lettres d'écrivains,

même un petit dessin de Giacometti...

J'ai épuisé tout le capital archives.

Je commençais à me décontracter
physiquement.

J'observais.

Et en même temps,
je voulais absolument me faire accepter.

C'est vraiment étrange que je garde
toujours une culpabilité gratuite

qui fait qu'à n'importe quelle occasion,

je me sente rejetée ou guettée.

La seule possibilité
de prendre le dessus pour moi,

c'est de faire l'amour.

Le nombre de fois où j'ai réglé
une situation en faisant l'amour.

Mais je n'arrivais pas vraiment
à m'habituer au farniente.

Je me forçais à croire comme eux
pour ne pas rester seule.

J'ai pris pas mal d'acide à cette époque.

J'ai flippé comme une folle,

mais je pensais qu'il fallait

que je dépasse ce flip en en prenant,

en en reprenant.

Or,

je n'avais qu'une envie,

c'était de commencer
à faire quelque chose de moi.

Alors je rencontrai Jean.

[jazz entraînant]

Il me plaisait bien
parce qu'il me faisait rire.

Je l'avais charmé en faisant la cuisine.
Eh oui.

Je vendis mes derniers manuscrits,

Genet, Violette Leduc,

pour prendre un avion
qui nous emmenait à New York.

Nous ne nous attendions
absolument pas du tout

au froid glacial de cette ville.

J'étais heureuse, c'est vrai,

dans le pays le plus moderne du monde.

J'étais heureuse car j'avais raison.

Ce pays serait le mien.

[la musique s'arrête]

Deux heures plus tard,

mon humeur changea complètement.

J'avais faim.

Pas un rond.

Et surtout, je commençais

à être en descente
de toutes les dopes

que j'avais prises.

[musique stressante]

Il habitait dans un hôtel tout près.

Vers trois ou quatre du matin,

le garçon revint dans sa chambre,
se coucher.

Ce con-là voulait baiser avec moi,
morte de fatigue.

Enfin...

c'était dix fois
plus fatigant de refuser,

de lui expliquer que demain,
peut-être, j'irai mieux

et que je verrais
les choses plus claires.

Il valait mieux que j'écarte les jambes

tout en somnolant.

Première expérience sordide,
dès mon arrivée.

Bof !

Nous commencions à vendre

ce qui nous restait de valeur
dans nos valises.

J'avais quelques
petites obligations sexuelles

envers nos logeurs,
enfin, c'était cool.

Je me baladais tous les jours
dans New York.

C'était beau.

- [sirènes lointaines]
- J'avais quitté Paris

car je ne réussissais à rien
réaliser dans cette ville.

On gamberge beaucoup trop dans Paris.

Je voulais un monde nouveau
où je puisse me construire.

Je ne me préoccupais absolument pas
des problèmes financiers.

Je partais tous les matins
avec un ou deux dollars en poche.

C'était assez pour mes balades.

J'étais à la recherche de rencontres.

- [cri indistinct]
- J'avais espoir dans un underground

qui mijotait déjà
depuis deux ans aux States...

[brouhaha]

Ma révolte a été
et sera toujours, j'espère,

le fait que le monde du travail
rende la quotidienneté des gens sordide.

Mais dans ce registre, il n'y a pas
plus sordide qu'un Américain.

Je ne cherchais même pas à me démerder.

Chercher du travail
aurait été une honte pour moi.

Roselyne me proposa alors
de m'évader un peu de cette sordidité

et de me taper une bonne cloche.

Le patron d'un restaurant français
nous y invitait.

Elle m'avait prévenue
du peu d'intérêt du type.

C'était un homme
d'une cinquantaine d'années,

typique nouveau riche,
content de sa personne.

Nous nous mîmes à table.

La conversation
ne m'intéressa absolument pas.

Je ne pensais qu'à boire et à manger.

C'était Roselyne
qui s'occupait du côté fairplay.

Une sorte d'engourdissement
m'envahissait grâce à un excellent vin.

Je devenais lascive,
indifférente au cadre extérieur.

Mon corps se réchauffait des calories
qui me manquaient depuis quelque temps.

La fin du repas approchait.

Je captais à un moment
de la conversation :

"Pourquoi ne pas aller dans mon studio ?"

Et cela m'était adressé
de la part du patron.

Bof.

J'étais bien, toute expérience
était à prendre, pour moi,

et je suis une fille qui, pendant
très longtemps, n'a jamais pu dire non.

Et ce mélange de tous les alcools

m'avait rendue plutôt indifférente
à mes préjugés.

Le patron se leva pour régler
les derniers détails de...

À ce moment,
Roselyne me glissa un truc du genre :

"Ne lui demande pas d'argent avant,
il te glissera 20 dollars à la fin."

Et cette phrase

se fondit dans mon état vaseux.

Nous sommes allés dans le studio
en face du restaurant.

Les choses se passèrent
tout à fait normalement,

sauf qu'il n'y avait pas cette recherche
de rencontre amoureuse,

mais cela ne me gênait pas dans la mesure
où ce n'était hélas pas la première fois

que je baisais sans faire
de vraie rencontre humaine.

Une demi-heure plus tard, c'était fini.

Je sais que j'ai joui.

Toilettes, rhabillage.
Et effectivement,

il me donna 20 dollars.

Roselyne trouva que j'avais du cran,

qu'elle avait fait plus de difficultés,
elle, la première fois.

Le brouillard dans ma tête continuait.

Nous marchions dans Manhattan.
L'air était assez frais.

Et je commençais à décuiter.

Elle me proposa de passer
l'après-midi ensemble

parce qu'il y avait un coup inespéré
de 100 dollars chacune.

Deux hommes en voyage d'affaires.

Et tout à coup,

la boule monta à ma gorge.

J'étais totalement écœurée par moi.

Je réalisais que je m'étais vendue

moralement.

Physiquement, j'en avais rien à foutre.

Mais toutes mes théories,
ma rébellion étaient...

annulées par ce que je venais de faire.

Me vendre n'était pas le problème.

Mais je venais de salir le seul acte

où je me pensais libre.

Je venais de...

de me compromettre
avec ce monde que je détestais.

En deux heures,

je venais d'effacer toute ma violence,

tout mon refus.

Jean m'expliqua
que c'était le prix à payer

pour notre liberté,
que tout le côté folklo de fête,

de besoin de bonheur sans limite,
ça se payait très cher.

"Le monde est laid. La vie
est très dure." C'est ce qu'il a dit.

Et que,

finalement,
c'était un très petit moment à passer

pour se laisser vivre après.

Il fallait pas que je rêve.

Si nous voulions tirer quelque chose

de cette société pour bien vivre,

il fallait le faire.

Que je me fasse pas d'illusion,

c'est la condition sine qua non
pour pouvoir vivre librement.

Voilà.

Je n'avais effectivement pas le choix.

Je ne m'étais jamais posé la question.

Comment m'en sortir financièrement ?

Je me laissais vivre.

Il y avait aussi
cette facilité économique

que j'avais grâce à ma mère,

qui suppléait à tous mes besoins.

[toussotements]

Je rentrais dans une étrange réalité,

celle du mensonge,

de la pure compromission

et, en quelque sorte,
de profonde désillusion.

Et je suis allée
jusqu'au bout de ce chemin.

Je suis devenue
une très bonne prostituée.

Le schéma était simple :
entrer dans le meilleur hôtel,

demander à la réception
si Monsieur untel était là,

faire une gueule d'empeigne
devant une réponse évidemment négative

et enfin m'installer patiemment

sur un fauteuil qui puisse panoramiquer

sur le va-et-vient.

Euh...

Au bout d'une demi-heure,

je trouvais quelqu'un.

J'ai vécu une vraie dichotomie.

J'avais plusieurs vies
et je n'arrivais pas à les concilier,

mais à la fin,

il m'était impossible

de ne pas incorporer ma vie de pute

dans ma vie

de fille d'intellectuels.

Si j'analyse

mon attitude pendant ces années...

Je peux constater
que je poursuivais une démarche

suicidaire.

[jazz lancinant]

[homme] Je connais des détails,

- mais je ne sais pas s'ils sont...
- [Carole] Alors ?

[homme] Je sais pas,
on disait qu'à l'époque,

j'hésite à pouvoir vous le dire,
peut-être.

[Carole] Non, non, parce...

[homme] Que Genet vous a poussée
à faire le trottoir...

[playback] [Carole]
Ah non. Non. Non.

C'est marrant, pourquoi ?

[homme] Je ne sais pas,
quelqu'un me l'a dit à l'époque.

Parce qu'à l'arrivée, je l'ai fait.

[homme] Oui.

Mais c'est bizarre, c'est incroyable.

Je l'ai fait mais plus tard.

- Et je pense que...
- Et Genet n'y était pour rien ?

Non.

Par contre, il a été complice...

J'ai eu une histoire trop jeune
avec Jacky. Vraiment.

Où ma mère est un peu complice...
Ce qui n'est pas...

Vraiment, j'avais 11... 12, 13 ans !

Donc c'est à mon avis prématuré.

Et... mais c'est drôle, ce truc-là.

[homme] C'est le bruit qui courait,
en tout cas.

Je me suis prostituée.

Ce qui n'est pas génial...

[homme] Non.

... à faire ! Voilà.

[homme] Mais je croyais que c'était
vraiment l'œuvre de Jean Genet...

- Écoutez...
- Ouais ?

[homme] Vous ne l'auriez pas fait
si Jean n'était pas aux alentours !

Enfin, je sais pas.

Je suis entièrement d'accord.

Mais pourquoi vous dites ça ?

Je suis entièrement d'accord, mais...

[homme] Parce qu'il avait
le goût de défier les gens,

de les mettre au défi,

de les pousser aussi loin que possible
dans leurs contradictions,

entre guillemets,
ce qui était ses fantasmes, quoi.

Il a poussé dans ce sens Abdallah,
là où il l'a poussé.

Il a poussé Jacky là où il l'a poussé...
Il a cassé des gens comme ça !

Tout le long de sa vie !

Il m'a cassée étant môme, vraiment.

C'est une des raisons
qui m'a fait dérailler.

[homme] Oui, bien sûr.

Voilà.

Ma mère a pu être au courant ?

Que Genet m'aurait mise...

Je veux dire, c'est grave !

[homme] Je ne sais pas.
Je ne peux pas l'affirmer, vraiment.

Non, ça ne s'est pas passé directement,

mais il y a eu,

à force de mettre en valeur
le vol, la délinquance et tout ça,

j'ai pas eu d'autre idée
que de faire ça.

[homme] C'était un manipulateur, aussi.

Complètement.

Pourquoi ma mère m'a laissée avec lui ?

[homme] Ça, elle avait
une telle admiration pour Genet

qu'elle aurait accepté n'importe quoi.
Mais vraiment n'importe quoi.

C'est fou.

Ouais.

Alors...

C'est mon ambivalence, c'est que :
j'ai un chien de ma chienne contre Genet,

il est dégueulasse.

- [homme] Oui, non.
- [rires]

[Carole] Voilà. Et en même temps,
je sais que

j'ai peut-être une forme d'intelligence

qui a été formée par Jean.

- [homme] Oui.
- Oui ! Voilà.

Et c'est vrai que ma mère,
au milieu de tout ça,

elle joue un drôle de jeu.

[homme] Ça, oui, le rapport
mère-fille dans ces cas-là...

[Carole] Là, celui-là,
il est faramineux !

- Ouais...
- [homme] Oui, là...

[bip électronique]

[Marion, jouant Carole]
Je n'ai pas été comprise.

Ils étaient écrivains,
hommes ou femmes.

Je place toujours les hommes avant
les femmes parce que je les aime.

C'est comme ça, c'est charnel.

Ils pénètrent en moi.

Je les sens me remplir.

Cela dure peu de temps.

Cela dure tellement peu de temps
que je n'ai pas trop continué

à me faire remplir comme ça.

Ça me rappelait trop mon vide.

Il ne m'est pas difficile
en ce moment de me dire

que je suis une merde
et une éternelle incapable.

- [cacophonie]
- [musique joyeuse]

[cris, voix d'enfants]

Il y en a combien, Noémie ?

[statique bande vidéo]

[brouhaha joyeux]

[voix d'enfants indistinctes]

[la musique continue]

[journaliste] Quatre, trois, deux, un.

François Mitterrand est élu
président de la République.

[applaudissements]

[contrebasse lancinante]

[cris d'enfants]

[la musique continue]

[cris d'enfants]

[tous] Deux, trois ! Ouais !

[la musique continue]

[tous] ♪ Joyeux anni... ♪

[la musique continue]

♪ Joyeux anniversaire, Mona ♪

♪ Joyeux anniversaire, Elio ♪

[Carole] Bon, on arrête là, non ?

[Marion, jouant Carole]
Ce n'est pas un hasard

si je suis restée pendant plus de 30 ans
avec le père de mes enfants.

Retrouvant un équilibre
en rangeant ma maison,

- balayant, ôtant la poussière.
- [cacophonie]

Ce besoin que l'extérieur soit organisé,

tant à l'intérieur, je me sens défigurée,

me référant à la sévérité en opposition

au n'importe quoi que j'ai vécu.

Ai-je fait preuve
de trop de conformisme en apparence,

pour pallier mes absences de repères ?

[cacophonie]

[propos indistincts]

Oui, un jour,
tu t'es coincé les doigts comme ça.

Tu as fait...
Tu as eu très, très mal.

Tu as pleuré. Ah oups !

Parce qu'il faut juste prendre le tiroir,
comme ça.

Il faut pas mettre les doigts comme ça...

Il faut prendre la poignée.

Voilà. Bravo ! T'as tout compris.

C'est comme ça qu'il faut faire.
Comme ça, tu te fais pas mal.

[toussotements]

[Bernard Pivot] Mais le conformisme est
pour vous une méchante maladie ?

C'est une misérable maladie,
en tout cas.

Et pourquoi est-ce
une misérable maladie ?

Parce qu'elle vous empêche d'exister.

Parce que les gens qui sont véritablement
conformistes n'ont pas vécu.

[B. Pivot] Les biens rendent conformiste,
l'accumulation des biens, les richesses.

Tout au long d'une vie, on s'attache

pas seulement à des êtres,
on s'attache aussi à des objets,

à des souvenirs,
à des photographies, à des...

Ça n'est pas méchant,

mais il faut toujours
pouvoir s'en passer.

Oui, mais vous, vous ne vous en passez
pas ici, parce que...

Oui, bien sûr, puisqu'ils sont là.
Mais le jour où ils n'y seront plus...

- Peu importe ?
- Oui.

Vous savez, la belle phrase de Cocteau
que j'ai déjà citée

dans je ne sais quelle revue :

"Qu'est- ce que vous emporteriez
si la maison brûlait ?

"J'emporterais le feu."

Joli.

[B. Pivot] Très joli.

[musique mélancolique]

Bon, je vais continuer
la bande dessinée.

[la musique continue]

[Mona] Ma mère faisait beaucoup de bruit,
quand elle buvait son thé le matin.

Ah, mais je croyais
qu'on faisait une petite pause, là.

[Mona] Non.

- [succions]
- Après, elle gardait la gorgée.

Et après, elle avale.

[déglutition]

[succions]

- [déglutition]
- Je détestais ce bruit.

Bah alors, pourquoi le reproduire ?

[musique mélancolique]

[tous] ♪ Joyeux anni... ♪

♪ ... anniversaire ♪

♪ ...versaire ♪

♪ Joyeux anniv... ♪

Attention, attention, attention.

À toi. Allez, suis-moi, suis-moi...

[cris d'enfants]

Am, stram, gram,

pic et pic et...
Je suis perdue.

[les enfants] Colegram !

[Carole] Am, stram, gram, Laura !

♪ Joyeux anniversaire ♪

[acclamations]

- [Carole] Allez !
[rires]

[cris]

[Carole] Bravo, je peux pas applaudir
avec le gâteau dans les mains...

[souffle léger]

[musique inquiétante]

[Mona] Tu me racontais souvent

une anecdote
dont tu étais étrangement fière.

[chants des grillons]

[Marion, jouant Carole]
Tu avais un an.

Je t'ai allongée sur la table
à langer pour faire ta toilette.

T'as pas un cendrier ?

J'ai confondu la bouteille
de sérum physiologique

avec l'alcool à 90
et je t'en ai mis dans les yeux.

Tu t'es mise à hurler.

Quand j'ai percuté ma connerie,

j'ai pris la bouteille d'alcool
et je m'en suis mis dans mes yeux à moi,

pour ressentir la même douleur que toi.

[Mona] Pourquoi cette transmission
des douleurs ?

[la musique continue]

Tu m'as très vite raconté que ta mère
avait été violée par plusieurs garçons

au cours d'une corrida
dans les rues de Pampelune.

Ce récit fait partie de mon enfance.

Dans ta bouche, Pampelune
sonnait comme un conte mythologique.

Aussi bien qu'il y a eu Héra

qui jeta Héphaïstos par la fenêtre
en raison de sa laideur...

[rires]

... il y a eu Pénélope qui défaisait
la nuit ce qu'elle avait tissé le jour,

et il y a eu Momo,

qui fut violée par plusieurs garçons

au cours d'une corrida
dans les rues de Pampelune.

Petite,

ce mot chantant mêlé aux images diffuses

d'un taureau ensanglanté
et de jeunes garçons

assaillant ma jeune grand-mère
dans les ruelles espagnoles

laissait surgir chez moi des impressions

aussi étranges que romanesques.

Le spectre des abus que tu as subis

a ensuite plané sur mon enfance
de façon plus insidieuse,

mais tant et si bien qu'aujourd'hui,
je mesure à quel point j'ai grandi

dans l'idée tacite que cela m'arriverait.

Car cela arrivait toujours.

Et que ce n'était pas vraiment
un drame, mais une fatalité.

Un rite initiatique incontournable.

De mon enfance, je garde le souvenir
heureux de nos séjours fréquents

dans la maison de Juan, à Marrakech,
où il vit la moitié de son temps.

À treize ans,
je découvre l'homosexualité de Juan

et je comprends mieux qui est Amir,
que je connais depuis toujours

et qui vit dans la maison
avec son frère et leur famille.

Au cœur de la médina, ce bonheur
hors du temps était inhérent

à la servitude d'Amir pour Juan
et par ricochet pour nous.

[voix inaudibles]

Évidemment, j'ai adoré
cette part marocaine de mon enfance.

J'ai adoré mon grand-père.

Et vice versa.

[musique onirique]

Mais à quatorze ans,

lors d'un de nos voyages au Maroc,

Amir entre chaque nuit dans ma chambre

et je suis incapable de dire non.

[la musique continue]

Je t'en parle, tu t'effondres

et tu me dis que tu savais
que cela m'arriverait,

que cela t'était arrivé aussi.

Car les femmes sont maudites
dans notre famille.

Plus tard, Juan a choisi le confort
de maintenir sa vie marocaine avec Amir

au détriment de mes confessions,

me suggérant, en sorte,
de me plier à ton silence.

Je n'oublie pas

et je romps mes liens avec Juan
au nom de ceux qu'il maintient avec Amir.

Très vite, je découvre que tu reproduis
les ambiguïtés de ta propre mère.

Tu es incapable de sacrifier le privilège
de ta relation avec Juan

au nom d'un abus subi par ta fille.

[musique inquiétante]

Mona, tu as dit
ses quatre vérités à Juan,

donc tu t'en es
un tant soit peu libérée, non ?

Et moi, ancienne pute,
n'ai-je pas fait un beau chemin ?

Tu trouves que tous mes contacts
avec Juan sont méprisables.

Comme si je niais ce qui t'était arrivé.

Je t'ai répondu qu'il ne fallait pas
confondre Amir et Juan.

Mais en fait,
j'étais une nouvelle fois aphone,

car effectivement

l'attitude de Juan
à ton égard est nulle.

[playback] Et moi,

je suis au milieu,
dans mon silence éternel,

ayant donné toutes mes forces
pour structurer mes enfants.

Et moi, je suis au milieu,
ayant eu un passé

que les trois miens ont laissé faire,

mon père, ma mère et Juan.

Sinistre trinité qui m'empêche de crier.

Et moi, je suis au milieu

et j'en ai marre de n'être rien.

Une merde à tes yeux.

Une moins que rien
d'avoir collaboré avec l'ennemi.

Et moi, je suis au milieu,

ayant subi des faits

que je considère plus graves

que ceux que tu as vécus.

Il ne s'agit pas de compétition,

ni d'un moindre mal,

mais tu es moins seule que moi
face à ces trois fous,

Juan, mon père et ma mère.

[bourdonnement]

[bruissement aigu]

Pourquoi ?

Pourquoi ne les ai-je pas condamnés
comme tu le fais à mon égard ?

Pourquoi m'ont-ils tuée ?

Je suis un être ridicule, grotesque.

Je suis une merde éternelle aux yeux
de ceux qui devraient être mes parents,

aux yeux de celle qui est ma fille.

Tu me trouves indigne
d'avoir collaboré avec l'ennemi.

D'avoir dit,

lors d'un dîner auquel tu assistais,
que Juan était quelqu'un de bien.

Oui.

Mon ambivalence,
mon ambiguïté sont là.

Je pense réellement
que Juan est à la fois quelqu'un de bien

et une ordure, comme tu le dis.

Je pense réellement

que ma mère est à la fois
une ordure et quelqu'un de bien

et que mon père est à la fois une ordure
et quelqu'un de bien,

et que je suis le fruit de cette trinité.

Donc une erreur.

Je ne peux pas réparer

ce qu'Amir t'a fait.

Je ne peux pas réparer la rancœur
que tu me voues.

Et je suis au milieu,

et j'ai envie de me couper la langue

pour me forcer à me taire,

ce qui me ferait mourir,
comme une fleur qui se déshydrate.

[sanglots]

[voix lointaines] ♪ Je te tiens,
tu me tiens, par la barbichette ♪

♪ Le premier qui rira aura une tapette ♪

[bruissement du vent]

[elle chuchote] Ah non,
mais je viens juste de me souvenir.

Tu voulais... Putain j'ai entendu
une indication,

je sais pas si tu me l'as donnée
directement à moi ou...

Tu voulais que je fasse
quelque chose de particulier, non ?

Non. Putain, j'étais en train
de rêver, laisse tomber.

N'importe quoi !

Ouais, les photos.

[musique mélancolique]

[Marion chuchote] Ma mère
et la mère de sa mère.

[Marion, jouant Carole]
Ma mère et sa mère.

[Mona] Ma grand-mère et sa mère.
[elle chuchote] Toi et ta mère.

- La mère de ta mère et sa mère.
- [Marion] La mère de sa mère.

- [Mona] La mère de la mère de sa mère.
- La mère de la mère de sa mère et...

- [Mona] Moi, toi et ta mère.
- [Marion] De sa mère.

[voix superposées]
... la mère de la mère de sa mère.

Et la mère de la mère de la mère.

[Mona] Toi.

[J. Achache] Mon problème aujourd'hui,

c'est que je ne m'intègre pas du tout
là-dedans.

- [musique inquiétante]
- Je n'existe pas là-dedans.

- [Mona] Comment ça ?
- Je n'existe pas.

On parle de Juan, on parle de Genet,
on parle de Semprún, on parle de tout ça.

Moi, j'ai l'impression
d'avoir traversé ça

comme accompagnateur,

mais je suis pas un homme puissant
qui a pris le pouvoir sur Carole.

Je ne suis pas ça.
Enfin, j'ai pas l'impression d'être ça.

Pourtant elle a quand même passé
33 ans de sa vie avec moi,

donc plus de la moitié.

[froissement de papier]

[reniflements]

Mais moi, si tu veux, effectivement,
j'ai été absent.

J'ai traversé tout ça, sans...

sans tenir mon rôle.

Ça me renvoie à ma propre lâcheté,
c'est vrai, c'est vrai, je sais.

[sanglots]

- [reniflements]
- [K. Evin] Dans votre famille,

les hommes passent, et Dieu sait
s'il y en a, s'ils sont importants.

D'abord, ils font les enfants.

Mais c'est vraiment
quelque chose que vous avez écrit

de mère en fille, de mère en fille
à travers les générations.

[Carole] Pour l'instant,
ce n'est que ma mère et moi

qui avons écrit là-dessus

et j'espère avoir arrêté
justement cette espèce de matriarcat

qui fait que les hommes

- sont un peu secondaires.
- [Marion] Un peu secondaires.

[Marion, jouant Carole]
Depuis plusieurs jours, j'écris.

Discipline de l'isolement,
parallèlement à la vérité de ma solitude.

Sans doute en suis-je responsable,

mais je me suis juré de ne pas
me plaindre dans ces carnets.

Je viens de lire une phrase
de Duras sur le Net.

Elle dit :

"Je ne parviens à me libérer de moi
que dans deux cas :

"par l'idée du suicide
et par celle d'écrire."

La salope, elle détient la clé.

Je ne la détiens toujours pas.
À mon âge.

Oui, mais personne avant elle
n'écrivait dans sa famille.

- [reniflements]
- Autour de moi, oui.

La censure ou le complexe résident là.

[touches de clavier]

[touches de clavier plus rapides]

[soupirs]

[Monique] Carole,

À propos de ton livre, tu m'as dit
l'autre jour que tu l'avais relu

et que tu l'avais trouvé à chier.

[murmures]

Il ne faut pas pour autant douter de toi.

Depuis près d'un an et demi, je mets
mes papiers en ordre pour ma retraite.

Je suis sidérée,

ahurie du nombre de livres,
de scénarios qui n'ont pas abouti.

[contrebasse lancinante]

Certains peut-être par injustice,

mais d'autres qui étaient
carrément mauvais, immatures.

Je n'ai aucune amertume
devant tout ce qui n'a pas abouti.

C'est ce qui m'a faite ou défaite,
je ne sais pas,

mais c'est ce qui fait
que je suis comme je suis.

Ma vie peut apparaître
comme une suite d'échecs,

mais je ne le sens pas comme ça.

Si c'était à refaire,
je crois que je recommencerais.

[la musique continue]

Je ne regrette qu'une chose,

c'est l'incroyable absence
de confiance en moi

qui m'a poursuivie
tout au long de ma vie

et qui, pour dire la vérité,
ne m'a pas encore lâchée.

Et ça, je ne voudrais pas
que tu en souffres.

Parce que tu aurais tort,
comme moi j'ai eu tort.

Je ne crois pas en toi par aveuglement,
tu m'étonnes chaque jour.

Je suis heureuse quand je vois
que tu ne réagis pas comme moi

car je ne voudrais pas te peser.

Quand je suis bloquée à cause de toi,
je ne trouve pas ça grave.

Mais si quoi que ce soit de moi
te dérange, alors j'en suis malade.

[elle souffle]

[musique lancinante]

[Carole]
Tu vois, il y a tout le temps,

elle prend de plus
en plus de médicaments.

Elle... C'est terrible, y a une descente.

[playback]
C'est affreux, c'est affreux.

Elle s'est laissée...

[la musique continue]

[piano enfantin]

[Mona] Toute sa vie, ta mère
a écrit qu'elle voulait mourir,

comme toi.

[la musique continue]

Comme elle, tu as reçu en héritage

la propriété de l'immeuble
dans lequel nous habitions tous,

et tu l'as vendu.

Tu as tout placé en bourse.
La bourse s'est effondrée.

Et tu as tout perdu.

[musique mélancolique et entraînante]

[Marion, jouant Carole]
Je suis responsable de ma solitude,

elle est terrible à vivre.

Qu'est-ce qui me tient en vie ?
Écrire.

Quel luxe. Je garde ce luxe !
Il ne me reste plus que ça.

Je n'ai jamais été foutue
d'être comme ce que sont les autres.

Prévoyants, performants, salariés,
semant un passé qui donne des fruits,

des points de retraite,

des cumuls enrichissants
dans tous les sens du terme,

entretenant des relations et affinités.

Je ne sais pas bien jouer le jeu
et c'est cela qui m'excite.

Je suis plutôt une Pénélope qui ne cesse
de remettre en question la veille

et défait chaque seconde.

Du coup, aucune preuve
de ce que j'avais cru construire

jusqu'à la preuve par 9

au travers de l'attitude
de mes enfants qui me fuient.

Même mon amour envers eux
n'est pas crédible.

[playback] [Carole]
Je cherche du boulot, t'as aucun...

[homme] Et dans quel genre ?

[Carole] N'importe quoi
parce que voilà... Soucis.

[rires]

[homme] Oui, mais tu es dans quoi ?

[Carole] Je ne sais pas.
Je sais écrire,

je sais faire des photos et tout.

Et en fait, je suis toujours à côté...

J'ai jamais vraiment... Alors
je m'en suis sortie jusqu'à maintenant,

tu vois, je n'ai pas vraiment de métier.

[homme] Oui mais quand
tu as trouvé, c'était quel genre ?

[Carole] J'ai été photographe
de plateau. J'ai été nègre.

Mais j'en ai un peu toujours fait
qu'à ma tête.

[rires]

[homme] Ça, je te fais confiance !

[Carole] Et je me suis occupée
de mes enfants.

[homme] Ils ont quel âge ?

[Carole] Euh... 25 et 30.

[homme] Ah !
Et alors, les relations avec eux ?

Ils ne t'ont pas encore tuée,
c'est déjà ça !

[Carole] Ils ne m'ont pas encore tuée,
mais je sens qu'ils en ont envie !

- [homme] Ah oui, ça, c'est normal !
- [Carole] Voilà.

[crépitements enregistrement audio]

[sonnerie]

Allô ? Oui ?

[voix inaudible]

[homme] D'accord, au revoir.

[voix inaudible]

[Marion, jouant Carole]
Je pense à ce que racontait Stevenson

à propos d'un homme qui écrivait
et qui était rentier après un héritage

et qui savait qu'acheter un cigare
lui ôtait quelques minutes de vie,

jusqu'au jour où il n'aurait plus rien.

Après, il le savait, il se suiciderait.

Ce n'était que quelques phrases
que j'ai lues, je crois, il y a deux ans.

Et je me demande
si ce pari n'est pas le bon.

Ça s'appelle...

... en avoir marre.

[musique mélancolique]

[Mona] Et un soir,
à ta très grande bibliothèque,

tu t'es pendue.

[la musique continue]

[grincements de parquet]

[grincements de parquet]

[Janis Joplin : "Little Girl Blue"]

♪ Sit there ♪

♪ Count your fingers ♪

♪ What else ♪

♪ What else is there to do? ♪

♪ And I know how you feel ♪

♪ I know you feel that you're through ♪

♪ Ah, sit there ♪

♪ Count
Ah, count your little fingers ♪

♪ My unhappy ♪

♪ Oh, little girl, little girl blue ♪

C'est fini,

allez... au lit !