All language subtitles for Toute la vérité, rien que la vérité 1959.FR

Toute la vérité.

C'est beaucoup dit.

Et je vais essayer de vous
donner un tout petit peu de vérité

dans le domaine du possible.

Le cinématographe -

j'emploie à dessein ce terme

parce que je ne suis pas un homme de cinéma,
le cinéma ...

cinéma, on passe dans le cinéma.

On va voir un film
comme on boit un bock ??? de bière.

Mais j'ai toujours
considéré le cinématographe

comme une machine très sérieuse

et capable d'être le véhicule de mon âme,

de mon esprit et de mon cœur.

Je l'ai toujours considéré
avec le respect que je porte à l'encre

et aux couleurs qui servent à peindre.

Je ne crois pas que c'est un art de la main gauche,

un art par-dessous la jambe.

Je crois que si le cinématographe
n'était pas devenu tout à coup un commerce,

on obtiendrait des films confessionnels,

et c'est ce film confessionnel que j'ai obtenu

parce que je ne connaissais rien du métier,

il y a bientôt une trentaine d'années,
en faisant, en tournant Le sang d'un poète.

Le vicomte de Noailles était
ce qu'on peut appeler un mécène à l'époque.

Il nous avait donné, à Bunuel et à moi,
chacun un million pour faire
ce qui nous passait par la tête.

Un million, c'est maintenant 100 millions,
et je ne vois plus un homme qui donnerait 100 millions
à un jeune pour faire ce qui lui passe par la tête.

Bref, Bunuel a fait Le chien andalou,

il a fait L'âge d'or,

et moi j'ai fait Le sang d'un poète.

Le chien andalou a été un scandale
pour des raisons politiques et religieuses.

Ce scandale s'est déversé sur mon film
Le sang d'un poète et pendant 4 ans

on n'a pas pu le montrer dans des salles.

Quand on a montré Le sang d'un poète
au Vieux Colombier,

le film a fait scandale. Il n'a pas fait scandale
pour des raisons politiques et religieuses

comme le film de Bunuel mais simplement ...

à cause du mécanisme dont parle Bergson:

si une dame tombe du tramway, on rit.

on rit parce qu'il y a chute
non seulement de la dame,

mais de l'idée qu'on avait de cette dame:

tranquille et âgée et respectable

et du pantin qu'elle forme en tombant par terre.

C'est-à-dire que le personnage
se pantinige ??? et fait rire.

Maintenant une école adverse prétend

que au contraire nous sommes des pantins
et que la chute nous dépantinise
que c'est cela qui fait rire.

Enfin dans l'un et dans l'autre cas il y rire.

Eh bien, je crois que quand nous faisons
une chose neuve, une chose inhabituelle,

le public fait une chute
entre ce qu'il avait l'habitude de voir
et ce que nous l'obligeons à voir.

et que c'est cette chute qui amènent le rire
et quelquefois même la colère.

Il y a eu pour Le sang d'un poète rire et colère

et maintenant le film est devenu
un classique de l'avant-garde.

L'avant-garde est une parole
très déplaisante à l'heure actuelle,

mais elle n'était pas déplaisante à notre époque,

parce que l'avant-garde avait un sens.

Il y avait à vaincre une sorte de de platitude,
une sorte de bêtise.

Maintenant il y a peut-être
un peu trop de relief,

un peu trop d'intelligence partout,

et le jeune qui viendra devra les vaincre.

C'est-à-dire, il devra se soumettre à une espèce de bêtise.

À une espèce de bêtise qui sera celle,

mettons, un chanteur de charme qui aurait
la violence d'un Van Gogh, si c'est possible.

Et je ne sais pas du tout quel sera ce jeune,
mais sa vie sera aussi dure que la nôtre.

Il aura les mêmes insultes malgré le charme,

parce que les gens se sont déshabitué du charme

et se sont habitués aux monstres.

Eh bien, ce film avait quelque chose
de monstrueux à l'époque.

Maintenant il est à New York,
c'est sa 17ème année si je ne me trompe,
il passe depuis 17 ans dans le même cinématographe.

On change les films autour mais on laisse le film.

C'est la plus longue exclusivité connue,

ce qui étonne toujours les producteurs

qui cherchent à plaire au public

et qui ne savent pas du tout
ce que ce public demande.

Ils servent au public
ce qu'ils croient que le public veut,

mais le public veut autre chose,
les producteurs ne savent pas que le public veut autre chose

et ce qu'ils lui donnent
n'est pas du tout ce que le public demande.

Il y a un grave malentendu.
Nous verrons comment ce malentendu arrivera à se résoudre.

Pour l'instant nous sommes en plein dans dans la mélasse ???

Vous allez voir un passage du Sang d'un poète.

C'est le passage où le poète s'engage
dans une sorte de couloir mystérieux que j'appelle
l'hôtel des folies dramatiques,

et regarde par les trous de serrure.

On a cru que je voulais faire de l'extravagance,
je ne voulais pas du tout faire de l'extravagance,

je voulais porter, transcender le réel,

c'est-à-dire, faire du plus vrai que le vrai

qui ressemble à la grande règle de l'art.

Et ce poète représenté par un acteur

s'agenouille devant les chambres,

colle sur le trou de serrure,

et dans chaque chambre il voit quelque chose
qui paraphrase, qui transcende un moment de ma vie.

Vous le verrez assister à la mort du Mexicain fusillé,

vous le verrez assister à la petite fille
qui apprend à voler

avec le calembour du mot vol et vol.

Ce calembour a d'ailleurs empêché le passage
d'être représenté en Amérique

parce qu'on avait peur
que le public ne comprenne pas.

En somme, je me suis basé
sur l'école des voleurs dans Oliver Twist

où on accroche des grelots autour de la personne volée

pour que le petit garçon arrive
à prendre le portefeuille
sans qu'on l'entende les grelots.

Et je me suis basée sur le mot vol et vol

et en somme dans mon film
cette vieille dame apprend à voler à la petite fille,

mais à voler comme vole les anges.

Et pour vous dire
combien je connaissais peu le métier,

j'avais demandé à mes collaborateurs
de m'amener des artistes

et mes artistes étaient généralement des amateurs.

Par exemple, tous les petits garçons qui tournent

dans la séquence devenue fameuse des boules de neige,

est celle qui paraphrase
le premier chapitre des Enfants terribles,

c'étaient des machinistes,
c'était les électriciens du studio.

Et j'ai tellement cru que la vieille dame
qu'on m'amenait était un amateur

que je me suis beaucoup excusé auprès d'elle
d'être obligé de lui faire tourner un film,

alors que c'était Pauline Carton.

Je l'ai appris dans la suite, mais je ne le savais pas,
je ne savais même pas qui était Pauline Carton,
je ne savais rien.

J'ai fait ce film dans un état d'innocence
complète et totale.

Ce que je reproche à certains jeunes à l'heure actuelle,
ce n'est [pas] de ne rien savoir,
mais de ne pas être dans l'état d'innocence.

Ils ne savent rien,
mais ils font comme s'ils avaient tout connu

et comme si ils refuseraient les choses
qui ont déjà été faites,

mais sans l'accent neuf,

sans la vivacité des choses

qui arrivent

par surprise.

Et à l'époque nous avions vraiment de l'innocence,

et voilà un exemple de mon innocence:

je vais maintenant céder la place
à ce passage dans le couloir

et vous verrez -
vous l'avez déjà peut-être vu,
les uns et les autres,

vous verrez, vous sentirez que dans ce film
je n'ai pas voulu du tout être excentrique,

mais j'ai voulu simplement exprimer

une - comment dirais-je -
quelques-uns des secrets
qui vivent dans nos profondeurs,

dans la nuit du corps humain,

dans ce "moi" que nous connaissons très mal

et qui est quelquefois beaucoup plus vrai
que le "moi" de surface
que tous les gens connaissent.

[cut - extrait du Sang d'un poète]

Jean Delannoy venait de tourner le film Marocco [Macao].

Il venait de le tourner avec Stroheim et Sessue Hayakawa.

C'était un film qui m'avait frappé beaucoup,
il me l'avait montré dans une petite salle.

Avec 5, 6 personnes.
Parmi ces 5 personnes

il y avait Madeleine Sologne et Jean Marais.

Et après le film

il me demanda pourquoi je ne faisais pas un film,
ne voulais pas faire un film pour Sologne et Marais.

Marais et Sologne, ils voulaient tourner un film d'amour

et je leur dis que je ne connaissais
qu'une seule grande aventure d'amour,
c'était Tristan et Iseult.

Et que, s'ils le voulaient bien, j'essayerai de faire
une paraphrase moderne, transposition moderne

de Tristan et Iseult.

Ça a été le point de départ

de L'éternel retour,
vous savez tous ce que c'est que l'éternel retour,

c'est une phrase très mystérieuse de Nietzsche,
il ne s'est jamais beaucoup expliqué là-dessus.

Je crois qu'il y voyait
un sens philosophique et scientifique auquel

on a pu recours quand on parle de l'éternel retour,
maintenant nous voulons dire simplement
que les choses reviennent.

Et en effet j'ai situé
cette aventure médiévale

dans notre monde et au premier abord
cela semblait si étrange

que j'ai eu résistance des producteurs

et même de Jean Delannoy,

comme on dit maintenant:
réalisateur du film.

Il trouvait que chevalier moderne,
nain moderne, tout ça n'allait plus

et peu à peu l'idée s'est introduite dans leur têtes

et je dirais même,
s'est introduite dans leur cœurs.

Parce que l'histoire de Tristan et Iseult

est la grande histoire d'amour,
et qu'une histoire d'amour

est attendue par tous les cœurs c'est ce qui explique

le succès considérable de ce film.

Le succès ne vient pas de moi,
il vient de ce que c'est une paraphrase

de Tristan et Iseult, c'est-à-dire,

l'histoire de deux deux amants empêchés dans leur amour

et réunis dans la mort.

La séquence que vous allez voir
est une séquence qui paraphrase
une autre séquence célèbre du roman de Bédier,

puisque je me suis surtout appuyée sur le roman de Bédier.

Il y a évidemment beaucoup
de Tristan et Iseult, beaucoup de

de cette saga, beaucoup de

d'oeuvres qui la racontent,

mais Bédier a fait une sorte de chef-d'œuvre

en raccourcissant l'histoire,
en la ramassant

et en la rendant très simple
et plus apte à plaire à un gros public distrait.

Bref,

je vais vous montrer
maintenant la scène du philtre.

Vous savez pourquoi Tristan et Iseult s'aiment,
ils s'aiment parce qu'ils aiment,

mais ils s'aiment dans la saga et dans l'œuvre de Bédier
parce qu'ils ont bu

par accident

un philtre d'amour.

Ce philtre avait été préparé pour Iseult
parce qu'elle était menée

au roi Marc, qu'elle devait le boire
pour être une épouse fidèle,

et bref,

par malentendu ou par une farce terrible du destin

et des dieux, ils ont coutume d'en faire beaucoup,

Iseult et Tristan boivent ensemble ce philtre
et c'est fini:

il s'aimeront pour toujours.

Ils s'aimeront à tel point

que le roi Marc qui est un homme très noble,

les voyants morts côte à côte,

comprendra qu'il est devant une chose
extrêmement sacrée et extrêmement sainte,

et même il se passe une chose curieuse,

quand nous avons montré le film

dans des villes qui aiment beaucoup rire,
comme Marseille,

la situation du mari qui entre
et qui trouvent côte à côte sa femme et l'amant morts,

excitait un peu de rires dans la salle.

Et tout de suite les coeurs ont eu raison de sourire

et les "chut-chutes" qui sortaient des coeurs
ont fêté les rieurs. ???

Bref,

vous allez voir la scène

où le nain

qui paraphrase le nain Frocin de la saga,

un soir d'orage

surveille les amants pour,
comme on dit au collège, carfarder,

mais son cafardage

ne mènera pas à grand-chose,

puisque Tristan

et Iseult, c'est-à-dire,

dans mon film

deux personnages qui les représentent
mais qui ne sont pas eux,

vont boire ensemble

un cocktail

qui n'est pas du tout un cocktail,

mais, qui pris par le nain pour un poison,

et versé par lui en cachette dans la mixture,

les unira pour toujours l'un à l'autre.

[cut - extrait de L'éternel retour]

J'ai toujours eu très peur des machines

et en particulier

de ce monstre.

Mais il a bien fallu que j'accepte
de me mesurer avec lui

et de l'apprivoiser.

Nous étions à l'époque du néoréalisme,

de ce qu'on a appelé à tort
le néoréalisme puisque

les Italiens faisaient en quelque sorte
des contes des 1001 nuits.

Mais les Italiens eux-mêmes considéraient
qu'en Italie le spectacle est dans la rue,

qu'ils avait assez de spectacles avec la rue
et qu'ils n'attendaient pas de leurs artistes
une paraphrase de ces spectacles.

Par conséquent,
les films néo-réalistes n'avait pas de succès en Italie,

mais avaient un énorme succès de par le monde.

Et c'était même un snobisme.

L'esprit de création

est la plus haute forme de l'esprit de contradiction.

Et j'avoue

n'aimer les ordres que pour désobéir.

Et il arrive même
que je me fasse des disciplines

et que je me donne des ordres
pour y désobéir.

Comme c'était ... le néoréalisme,

je pensais,

a fait au cinématographe

un conte de fées.

En outre,

je voulais faire le film pour Jean Marais.

Et Jean Marais

avait en quelque sorte la rage
de lutter contre son physique.

Il disait qu'un physique heureux
empêche le talent de se voir,

que les gens ne s'attachent plus qu'au physique,

que les gens ne sautent pas
par-dessus cet obstacle,

et il rêvait de voir supprimer son physique

pour pouvoir enfin jouer un rôle
et ne plus être simplement

un personnage qu'on regarde
et qu'on n'écoute pas.

C'est pourquoi je pensais
à lui faire un rôle de monstre.

Et ce monstre ...

le monstre coïncidait merveilleusement
avec mon rêve d'écrire un conte de fées,

puisque j'avais dans mon enfance était charmé
par le conte de Mme Leprince de Beaumont:

La belle et la bête.

Mme Leprince de Beaumont, quand elle était ...

je dit, plus tard que sa jeunesse
quand je dis quand elle était jeune -

elle a très longtemps vécu en Angleterre.

Et l'Angleterre est très friande
de ces histoires de monstres et de fantômes.

On l'enferme généralement dans des châteaux,

les aînés d'une famille
qui sont nés infirmes ou monstrueux,

et il vient de là des légendes.

Il est même arrivé dans un certain château,

on accroche ...

les invités accrochent des draps à toutes les fenêtres
pour voir s'il n'y a pas de draps à une fenêtre.

Et cette fenêtre sans draps était pour eux
la fenêtre mystérieuse de la chambre mystérieuse
dans laquelle le mystérieux monstre était enfermé.

Enfin, j'avais beaucoup vécu
avec l'atmosphère de ces légendes

et je fis le conte de La belle et la bête.

On m'a beaucoup reproché à l'époque
puisqu'on était éberlué par le néo ...

le néoréalisme ...
on m'a beaucoup reproché

des quantités d'accessoires,
des bras qui sortent du mur
et qui tiennent des flambeaux,

des apparitions et des disparitions

qu'on mettait sur le compte de mon bric-à-brac.

Eh bien, on se trompait.

J'avais suivi pas à pas le conte
de Mme Leprince de Beaumont.

Et si vous relisez ce compte vous verrez que

les bras qui sortent des murs et qui tiennent des flambeaux
et les apparitions et les disparitions s'y trouvent.

J'ai travaillé avec Christian Bérard

qui avait un génie du réalisme irréel,

c'est-à-dire, de base d'irréalisme sur du réel

et j'avais auprès de moi Georges Aurique

qui a fait une musique étonnante avec des choeurs

qui empêchent la musique est une musique d'accompagnement,

qui en quelque sorte survolent le film.

Et nous avons donc fait ce film

dans lequel Jean Marais joue deux rôles,

il joue le monstre et il joue aussi Avenant,

un jeune homme qui possède son véritable physique.

Mais ce qui a enchanté le public,

dans la suite à l'étranger,

c'était justement ses yeux
dans le rôle du monstre.

Le public a très bien compris
que ce monstre était la bonté même,
la douceur même,

il l'a compris comme Belle,

et c'est ce charme du regard de Marais

et de cette voix malade,
cette voix d'infirme qu'il a prise,

qui ont enchanté et ensorcelé le public,

à tel point que
quand on a joué La belle et la bête en Afrique,

beaucoup d'indigènes
revenaient voir plusieurs fois le film,

croyant que c'est une véritable bête qui parlait,

que j'arrivais à faire parler, et ne comprenant
pas comment c'était possible,
revenaient voir le film

pour essayer de comprendre.

Et bien, le film a eu un échec retentissant à Cannes.

Je ne savais pas encore à cette époque

que je deviendrai président du jury
deux fois de suite

et ensuite qu'on me nommerait
président du festival

qui est le titre que possédait Louis Lumière.

J'étais un pauvre auteur dans un coin et ma foi,

on m'avait balayé de Cannes.

Et il a fallu attendre deux ans.
Au bout de deux ans on m'a donné le prix Delluc,

et au bout de 3 ans, le film était arrivé à sauter
le redoutable obstacle des boulevards et du snobisme,

est entré dans le vrai public
et a fait le tour du monde.

Je crois que la séquence que vous allez voir,

si je ne me trompe,

est la séquence où Belle

qui est monté sur le cheval magique,

arrive au château et se trouve
presque en présence du monstre.

[cut - extrait de La belle et le bête]

Les parents terrbiles

se sont d'abord appelés

La Maison des portes qui claquent.

Et

récemment

mon ami Antoine Dominique

qui fait les films du Gorille,

série noire la Nouvelle Revue Française,

vient d'appeler

un de ces livres du gorille
"Le gorille chez les parents terribles".

Ça sera son prochain Gorille.

Et en somme, il commence son livre
quand mon rideau tombe.

Il joue le rôle du destin,
il m'apprend ce que mes personnages deviennent.

Et il a bien souligné

que tout le monde
faisait claquer les portes.

La scène que vous allez voir,

c'est la scène où Jean Marais croque le sucre

et où il entre chez sa mère qui lui dit:

"ferme tes portes",
parce que toutes les mères du monde

au lieu de dire "ferme ta porte",
disent "ferme tes portes".

Jean Marais dit:

"pourquoi tes portes?"

et la scène commence. Eh, bien,

avant de jouer cette scène
ou de tourner cette scène,

Marais étonnait beaucoup les machinistes.

Les machinistes le voyaient se mettre à plat ventre,
la figure dans les mains,

et rester là pendant 4 ou 5 minutes
avant d'entrer en scène.

Eh bien, Jean Marais,

comme Réjane me l'avait dit jadis,

pour elle ??? se faisait du chagrin,
c'est à dire, qu'il imaginait

des chagrins possibles et réels

pour se mettre dans un état épouvantable

et entrer en scène

avec une figure brouillée,

et pas du tout des larmes dans les yeux,

pire que cela,

des larmes derrière les yeux,

et comment dirais-je,

comme si son visage avait été barbouillé
par la douleur.

Chaque fois qu'il entrait dans la chambre de sa mère,

j'étais frappé par l'admirable conscience

qui le fait toujours marcher,
comme je vous l'ai dit tout à l'heure,

contre un physique qui gagnerait sa cause
sans se donner le moindre mal.

Dans cette scène

Jean Marais

était au sommet de ce que
j'ai essayé de faire avec le film.

C'est-à-dire,

de faire un film complètement film,

sans rien changer à la pièce de théâtre,

et surtout

de représenter de fixer sur la pellicule

des merveilles que le théâtre emporte

et fait tomber en poussière.

Il ne reste rien d'une pièce.

Yvonne de Bray, notre plus grande actrice, est morte.

Les décors, comme je vous l'ai dis,
sont de la cendre.

Tout s'est envolé, mais le film est là

qui témoigne de ces acteurs admirables.

Et c'est pourquoi d'abord j'ai fait le film.

C'est pour garder

en boîte, en conserve dirais-je,

le miracle de ces acteurs.

Et le film m'a été beaucoup plus facile
à faire qu'on le raconte.

Souvent on me dit,
mais comment êtes-vous arrivé

à faire un film qui est le comble du cinéma -

moi je dirais, du cinématographe -

avec une pièce qui est le comble du théâtre.

Eh bien, c'est simplement
que je n'avais plus à penser à mon texte,

je n'avais plus à penser au jeu,

je n'avais plus à penser qu'à une chose,
comme un chasseur de fauves,

c'est placer mon téléobjectif de telle sorte
que je puisse prendre à l'improviste

le jeu de mes acteurs

comme si un lion ou une gazelle
vont boire à la source,

ou qu'un aigle se bat avec un serpent.

Enfin, surprendre,

ce qui est si difficile de surprendre,

c'est-à-dire l'instant de l'acteur,

qui ne peut pas se faire sur commande.

Bien, je crois, je ne sais pas si je me trompe,
vous verrez là une scène trop courte,

je crois que dans le film des Parents terribles

j'ai par miracle réussi à prendre au vol

cet oiseau

qui ne revient, qui se pose

à peine sur une branche

et ne reviens jamais.

Je veux dire, le génie du comédien.

Je m'efface complètement

pour laisser devant vous

jouer,

si on peut dire jouer,

la très grande Yvonne de Bray

que nous ne verrons plus,

et le très grand acteur

que Jean Marais était devenu

après sa création Les parents terribles.

Il débutait dans ma pièce

et il croyait si peu à sa réussite

qu'il était remonté dans sa loge.

Et quand au 20ième rappel
on a été le chercher dans sa loge,

et qu'il en a eu encore 15 ou 16,

il est descendu saluer le public,

démaquillé et en robe de chambre,

étourdi, ahuri,

par ce succès auquel il ne s'attendait guère.

Eh bien, il est toujours resté aussi modeste.

Il croit toujours qu'il a mal joué.

Chaque fois que je le vois sortir de scène,
c'est pour me dire,

ah, je n'étais ...
ça n'a pas marché, je m'excuse,

je n'étais pas bon,
je tâcherai de faire mieux demain.

Eh bien, je crois qu'on ne peut pas mieux faire
que ce qu'il a fait dans cette scène,

et c'est pourquoi je vous la présente.

[cut - extrait des parents terribles]

Après le respect de sa personne

que m'avait donné Jean Marais

dans le rôle du chœur d'Oedipe

et dans celui de Michel des Parents terribles,

il était devenu en quelque sorte mon acteur.

A la fin de l'occupation nous avons habité ensemble
dans un château en Bretagne près de Pont-Aven.

Et je lui avais demandé
quelle pièce il aimerait jouer.
Il m'avait répondu:

j'aimerais jouer une pièce

où je ne dis rien au 1er acte,

où je pleure à la fin du 2nd acte,
où je tombe du haut d'un escalier à la fin du 3ème acte.

Et c'est après ce désir de Jean Marais -

moi, j'aime beaucoup recevoir des ordres,
j'aime beaucoup qu'on me donne des ordres,

quelquefois pour y désobéir,
mais quelquefois pour y obéir -

j'ai écrit L'aigle à deux têtes

sur ces trois indications de Marais,

car en effet, dans L'aigle à deux têtes,

il n'ouvre pas la bouche au 1er acte,

il pleure à la fin du 2nd acte,

et il tombe, dangereusement du reste,
à la fin d'un escalier à pic

à la fin du 3ième acte.

Vous savez tous que Mme Feuillière
a été admirable dans le rôle de la reine.

C'est un rôle très difficile.
On a prétendu que je m'étais inspirée
de l'impératrice Elisabeth, c'est faux!

Naturellement,

le fantôme de l'impératrice Elisabeth
était toujours devant mes yeux.

Quand on parle d'une d'une reine anarchiste

en face d'un anarchiste à l'âme royale ???
on ne peut penser qu'à la reine,

qu'à l'impératrice Elizabeth.

Mais ce n'est pas elle.

Mais enfin, en effet, il est possible
qu'elle rôdait autour de moi
pendant que j'écrivais la pièce.

Et Mme Feuillière à merveilleusement -

surtout au 1er acte où elle marche à droite,
à gauche, où elle parle seule -

elle a merveilleusement traduit cette espèce de morgue,

d'une femme qui se corsette,
qui met un corset contre les sentiments,

et d'une femme en quelque sorte
amoureuse de la vie

qui refuse de recevoir des ordres de la vie
et qui veut lui infliger les siens.

Dans ce film

Marais

joue ... a déjà pris à son compte des dangers,

il a souvent pris à son compte
beaucoup de trop dans le cinématographe.

Parce que d'habitude, vous savez,
qu'on a des doubles au cinématographe.

Marais refusait les doubles,
vous verrez tout à l'heure dans Ruy Blas

combien il a failli lui coûter cher
de refuser des doubles.

Eh bien, tous les soirs, à la fin de la pièce,

il tombait de cet escalier à pic

et il tombait généralement

sur la nuque.

Et j'avais une peur terrible
des suites de cette chute.

Il y a eu d'ailleurs des suites désastreuses,
mais il continuait tout de même à tomber dans l'escalier.

Les gens disent, c'est de l'acrobatie.

Pour lui, ce n'était pas de l'acrobatie,
c'était de l'honnêteté.

De même qu'il pénètre dans ...

qu'il fait pénétrer en lui l'âme du personnage

et qu'il devient ce personnage,

il n'admettrai pas de faire une fausse chute,
une chute truquée,

ou d'avoir un escalier en caoutchouc.

Je crois, il me semble bien,

si j'ai bonne mémoire,
que la scène que vous allez voir

est une scène du début du film,

la scène où il apparaît à la reine

et où il vient pour la tuer.

Les anarchistes ont profité
de sa ressemblance avec le roi
pour surprendre la reine

et finalement, tout cela
est détruit par les sentiments.

Il tombe amoureux de la reine,
la reine tombe amoureuse de lui,

mais cet amour est impossible

et la reine fera semblant
d'être une femme épouvantable

pour obliger le jeune homme à la tuer,

à l'assassiner,

pour être tuée de sa main.

Et ce jeune homme la tue
après s'être lui-même empoisonné,

avec un poison que la reine possède

qui met assez longtemps à agir,

c'est-à-dire qu'ils vont en somme,
comme dans Tristan et Iseult,

comme dans toutes les pièces que j'aime,
mourir presque ensemble.

Alors je vous laisse avec cet aigle à deux têtes,

en vous rappelant l'histoire
d'un grand-duc Autrichien

qui était à la chasse

et qui, ayant eu un aigle,

dit avec stupeur:
mais comment se fait-il

que cet aigle n'aie qu'une tête?
Il croyait que tous les aigles avaient deux têtes.

Et vous allez entrer ici dans une d'une pièce

qui n'est pas du moins du monde
une pièce politique,

ni une pièce historique,
c'est une pièce d'imagination.

Mais c'est une pièce d'imagination

qui comme toutes les pièces d'imagination
est basée sur des faits réels.

J'ai d'ailleurs été très étonné
en voyant ensuite la pièce de Sartre,

Les mains sales,

de m'apercevoir que dans sa pièce
la reine n'est plus une reine,

c'est un chef communiste,

que le jeune homme n'est plus du tout
un jeune assassin anarchiste,

mais un jeune homme qu'on envoie comme secrétaire
pour tuer ce chef anarchiste, ce chef communiste

et en somme,
que la situation est exactement la même,

puisque au lieu d'amour
c'est une grande amitié qui se forme entre eux

et que sans cesse,
comme la reine offre sa personne
pour être tuée par le jeune homme,

le chef communiste va tout le temps se mettre de dos

pour essayer d'être tué par ce jeune homme,

ou du moins, de l'inciter
à faire un geste violent et actif.

C'est vous dire que les pièces peuvent aller
complètement à gauche, complètement à droite,
complètement en haut, complètement en bas,

et qu'elles ne valent
que si elles ont au centre un cœur.

Eh bien, je crois
que dans toutes mes pièces

ma principale préoccupation a été
de faire battre un cœur au centre de l'intrigue.

Je ne peux pas malheureusement
vous montrer toute la pièce,

mais vous vous rendrez compte,
d'après la scène que vous allez voir,

que le destin est beaucoup plus grand
conducteur de l'action que moi-même.

[cut - extrait de L'aigle à deux têtes]

Eh bien,

avec Ruy Blas,

avec le film Ruy Blas,

j'ai fait en quelque sorte la transcendance d'un western.

J'ai voulu transcender un western.

Et on ne peut pas me dire que ce soit scandaleux
parce que

au fond, les pièces de Hugo sont un peu cela,

et ce westernisme est caché
par la magnificence du langage.

Je ne pouvais pas me permettre -
alors ça eût été un véritable scandale,

de cinématographier

le langage de Hugo.

C'est pourquoi j'ai fait une transcendance.

Peut-être là j'exxagère.

J'ai voulu transcender un western

et porter plus bas la pièce qu'elle n'est.

C'est-à-dire que la pièce en vers est maintenant en prose

et je n'en ai gardé que le mouvement,
que l'intrigue.

C'était un très beau prétexte pour le cinématographe

et pour Jean Marais

puisque dans Ruy Blas

il y a deux personnages
qu'on prend l'un pour l'autre

et qui au théâtre ne se ressemblent pas.

Jamais l'acteur qui joue Don César
ne ressemble à l'acteur qui joue Ruy Blas

ce qui rend la pièce assez incompréhensible.

Dans le film je pouvais me permettre
d'employer le même acteur

et par un truc de montrer ensemble

Ruy Blas et Don César.

Don César, le bandit généreux
et charmant, plein de truculence,

et le petit étudiant timide Ruy Blas

qui tombe pour son malheur
amoureux de la reine.

Jadis le ...

on avait honte de faire les petites besognes.

C'est-à-dire que -
quand j'étais jeune j'ai lu un ...

j'ai lu un interview

de Pearl White qui tournait ...

qui etait en pleine gloire et qui tournait
Les mystères de New York. [1915]

Et on lui demandait: Mme White,
montez vous beaucoup à cheval?

Elle répondeait: "Je ne monte jamais à cheval,
je ne fais que les gros plans."

"Madame, tout de même,
on vous voit sauter d'un train?"

"Jamais je n'ai sauté d'un train,
je ne fais que les gros plans."

"Mais enfin, vous tirer au revolver?"

"Je ne tire jamais au revolver,
je ne fais que que les gros plans."

Eh bien, Marais au contraire veut toujours

se rendre capable, vous prouver qu'il est capable
de faire les petites besognes
et des petites besognes dangereuses.

Et ces petites besognes dangereuses
n'arrêtait pas de se produire dans Ruy Blas.

Une fois nous avons obtenu,
parce que tout de même, c'était trop difficile,

qu'il ne traverse pas une rue sur la corde raide.

Et nous avons habillé un jeune acrobate allemand
comme Marais et on l'a maquillée comme Marais,

il lui ressemblait à tel point que le chien Moulouk
qui ne quittait jamais Marais, qui était son amour,

le chien s'est précipité,
quand l'Allemand est descendu de la corde,

sur lui, le prenant pour son maître

et quand il a entendu au loin
la voix de son maître qui criait Moulouk,

il a mis la queue entre les jambes,
il nous a regardé avec beaucoup de gêne

et il s'est glissé jusqu'à Marais
comme s'il avait commis une très grosse faute.

Eh bien, vous allez voir une séquence
qui est du vrai western.

Ruy Blas est poursuivi par la haine -

du moins, Don César,

Don César est poursuivi par la haine de Don Salluste.

Il se cache dans une église,

est poursuit, et s'apercevant du piège,

il se jette de la tribune des orgues

vers la verrière, en se pendant
à la corde de la cloche et un lustre,

il brise la verrière,
il tombe sur les toits de la cathédrale,
il se jette du toit de la cathédrale

dans un drap avec lequel
les espagnols font sauter les mannequins,

il saute sur un cheval
qui porte une selle arabe fort pointue,

et le voilà galopant sur ce cheval arabe
et il est arrêté enfin par Don Salluste parce que

une femme qui décroche son linge
fait tomber ce linge sur sa tête

au bout d'une rue espagnole.

Enfin, tout cela est dans le domaine de l'impossible,
mais après tout,

est-ce que le cinématographe
n'est pas fait pour montrer l'impossible?

Sinon, allons au théâtre
où vivons notre vie de tous les jours.

Eh bien, vous allez voir cette séquence

et vous vous rendrez peut-être compte
que c'est un vrai Marais qui saute à travers la verrière,

que c'est un vrai Marais
qui se jette du toit de la maison
dans le drap à mannequin,

que c'est un vrai Marais
qui est précipité par le drap à mannequin sur le cheval,

et que c'est hélas un vrai Marais,
car la 4ième fois le cheval savait très bien
qu'il allait lui tomber dessus, il bougeait.

Et j'avais toujours peur de voir Marais
s'embrocher sur la selle arabe,

c'est un vrai Marais qui galope et qui finit par arrêter ...

par être arrêté par Don Salluste et envoyé aux galères.

[cut - extrait de Ruy Blas]

Quand Antoine Dominique a écrit son livre
Le gorille chez les parents terribles,

il m'a fait remarquer avec beaucoup de justesse

que dans toute mon œuvre,

livres, pièces, films,

les personnages étaient expulsés
par la vie,

ou bien sont expulsés eux-mêmes.

Et c'est exactement le cas
pour Les enfants terribles.

Il faut avoir l'âme très laide, très mal faite,

pour voir autre chose que de la pureté
dans mon intrigue.

Paul et Elisabeth

vivent enfermé dans une chambre,
c'est leur univers,

et un univers d'une telle pureté,
d'une telle innocence,

qu'ils [n'] en sortent,
parce qu'ils ne peuvent pas supporter nos microbes.

J'avais chargé Melville de faire le film

parce que je collais trop à la roue ???

Mais je collais tellement à la roue
et le film est tellement sorti des tripes ???

que je m'en suis beaucoup mêlé,

et finalement j'ai mis la main à la pâte.

C'est peut-être un film de Melville,
mais c'est aussi beaucoup un film de moi.

Le film a été joué par Nicole Stéphane
et par mon fils.

Ils y sont admirables,

et admirables à tel point

que sans cesse les gens croyaient que j'avais fait
tous mes dessins des Enfants terribles d'après eux,

alors que, quand je faisais ces dessins,

ils n'étaient même pas dans le ventre de leur mère,
ils n'étaient pas nés.

Ils se sont absolument ...

peut-être que je les ai choisis à cause de cette ressemblance,

peut-être se sont-ils approchés d'eux-mêmes
de mes personnages jusqu'à leur ressembler,

mais il y a eu là
une espèce de prodige.

Je crois que la séquence que vous allez voir

est une séquence dans la fameuse chambre

où Elizabeth qui hait son frère à force d'amour,

le réveille, ça l'agace qu'il dorme,
et elle veut à tout prix lui faire manger une écrevisse

alors qu'il ne peut même pas
ouvrir un oeil pour la regarder.

Et elle lui colle de force cette écrevisse dans la bouche.

Il en a envie, mais pour agacer sa soeur
il fait semblant de dormir, enfin,

cette scène donne une très bonne idée,
et très concrète

de l'espèce d'extraordinaire atmosphère abstraite

d'amour et de haine
qui existe entre le frère et la sœur.

Et ...

je leur cède la place.

[cut - extrait des Enfants terribles]

Maurice Bessy à l'époque a écrit d'Orphée,
du film Orphée,

que c'était un film suicide.

Je n'avais pas très bien compris ce qu'il voulait dire,

mais je commence à le comprendre,
puisque depuis ce film je n'en pas fait d'autres.

Et je suis empêché d'en faire un autre.

Je ne sais pas si j'en ferai un autre,
mais jusqu'à présent je suis empêché d'en faire un autre.

Et cela vient de ce que ce film est une somme.

Et peut-être la seule valeur de ce film,

c'est que j'ai jeté pêle-mêle sur le tapis vert

tout ce que j'avais dans l'esprit,
dans l'âme et dans le cœur.

Naturellement, le cinématographe,
c'est le cinématographe, et

vous verrez que dans ce film
il y a beaucoup d'images qui relèvent du surnaturel.

Mais ce qu'on appelle le surnaturel,

c'est du naturel qu'on ne connaît pas encore,

et ce que le public considère comme du prodige,

est justement le domaine parfait du cinématographe,

et on n'a pas besoin d'avoir recours au trucage,

C'est-à-dire qu'il y a une chambre,

une usine qui s'appelle la Truca ???

et dont on use beaucoup

dès qu'il s'agit de montrer dans un film
un événement qui n'est pas exactement dans la vie.

Eh bien, je n'use jamais cette usine.

Tout mes trucages d'Orphée
sont des trucages de l'esprit, des trucages directs.

C'est ainsi que j'attache une grande importance
aux miroirs que déjà dans la pièce Orphée ...

Orphée va rejoindre sa femme en pénétrant

dans le domaine mystérieux de la mort par un miroir,

et je ne savais pas encore à l'époque

que le phénomène anti-gravitationnel

des savants prenait sa source, prenait racine,
dans le renversement de l'image dans le miroir.

Et je ne savais pas non plus une chose très curieuse,

c'est que ... je ne savais pas,
je ne peux pas le savoir puisque c'est très récent,

je viens de découvrir plutôt
ce que les savants appellent maintenant la fausse mort.

Comprenez, pour la mort, c'est-à-dire,

la période entre ce que les gens
prennent pour la mort et la mort véritable,

appellent maintenant -
et d'où on peut très bien sortir les malades,
alors que jadis on ne pensait même pas à les en sortir -

ils l'appellent maintenant la zone.

Et dans mon film, le lieu où Orphée et Heurtebise
se trouvent après avoir quitté le miroir,

et lorsqu'ils vont rejoindre les morts,

s'appelle également la zone.

C'est un état intermédiaire

entre la vie et la mort

où les morts récents croient encore vivre
puisque on voit dans mon film

un vitrier qui continue à crier son cri,

alors que c'est devenu complètement inutile

dans ces ruines et dans ces désastres

brumeux de la zone.

Les acteurs encore une fois ont été choisis,

non pas pour leur physique
mais pour leurs qualités morales.

C'est ainsi qu'on croyait
que j'allais prendre pour l'ange Heurtebise

un visage d'ange qu'on appelle
conventionnellement un visage d'ange,

et j'ai pris François Périer
pour son âme qui est très belle

et pour son esprit et que j'aime,

il est dans ce film d'une pureté d'ange,
et c'est tout ce que je lui demande.

Mme Casarès, je ne vous parlerai pas d'elle,
elle est absolument extraordinaire,

c'est une femme très nerveuse,

elle arrive à mater ??? la nervosité sur son visage

mais ne la mate ??? pas sur ses mains
ce qui fait que dans la scène du tribunal,

on voit ses mains trembler,
alors que son visage demeure impeccable.

Enfin, je vous parle de ces choses,

je pourrais vous en parler pendant des heures,

parce que ce filme me tient à coeur,

c'est ainsi que vous verrez ...
je ne sais pas si c'est dans la séquence que vous allez voir,

vous serez en face d'une glace,

mais il n'y en avait pas dans mon film.

Je construisais des chambres côte à côte

et souvent les reflets sont d'autres personnages
qui s'éloignent de dos
pendant que le personnage vient vers nous.

C'est ainsi que les deux motocyclistes

qui renversent dans la séquence
que vous allez voir maintenant ...

Dans la séquence que vous allez voir,
vous verrez les deux motocyclistes de la mort

renverser Edouard Dermithe, le jeune poète,

et ces deux motocyclistes étaient des frères,

ce qui fait que souvent,
l'un me sert de reflet pour l'autre.

On m'a souvent posé la question
sur Orphée de savoir

pourquoi il y avait dans le film quelque chose
d'aussi féroce que la disparition totale du jeune poète

qui reste dans cette zone mystérieuse
et qui ne revient pas dans la vie.

Eh bien, c'est peut-être
parce que c'est le vrai poète.

Il a peut-être le destin de Rimbaud,

d'Évariste Galois,

de Radiguet,
tous ces merveilleux morts de 20 ans,

qui reste à 20 ans éternellement.

Orphée, c'est presque le poète officiel.

Sa gloire,

on la boude un peu dans ce Café des Poètes,

que vous allez voir et qui est en somme

le portrait exact d'un des cafés
de Saint-Germain-des-Prés.

Et vous allez voir le début,
si je ne me trompe,

le début du film où

par une machination du sort
qu'on prend pour un hasard,

le jeune homme, le jeune poète,
est tué en quelque sorte par la mort.

Les motocyclistes de la mort le renversent

La fonctionnaire de la mort,
c'est-à-dire la secrétaire, je ne sais pas,

une des nombreuses personnes,
qui représentent la mort sur la terre,

l'emporte dans sa voiture, fait signe à Orphée,
les voilà embarqués dans une aventure

qui est en quelque sorte née
du mariage de la conscience et de l'inconscience,

et qu'est-ce d'autre que le mariage

du conscient et de l'inconscient

qui fait l'œuvre d'un poète.

Et qu'est-ce d'autre que le filme Orphée,

sinon un des monstres
qui naissent de ces noces mystérieuses

entre ce qu'on sait
et ce qu'on ne sait pas.

[cut - extrait d'Orphée]

Notre époque a hélas perdu

le sens du pèlerinage.

Jadis

Bach

se rendait à pied à Celle
pour entendre de la musique française.

Vous savez tous que

Goethe est allé

de Weimar à Rome

à pied,
par petites étapes,

pour voir certaines statues.

Et moi-même,
j'ai fait un voyage très dur pour voir la

jeune fille au bonnet bleu de Vermeer sur place.

Et maintenant

les choses ne sont connues que par reproduction,
les gens ne demandent pas davantage,
par écho, c'est ainsi que

ma messe de Munich ???
a été détachée par ??? France

on l'a entendu le dimanche d'après
à 10 h et demie du matin.

Tout est fait à une autre heure
que l'heure exacte,

Et tout est fait par reflet,
par réfraction

plutôt que par réflexion.

Eh bien,

je ne veux pas ...
je veux être avec vous ce soir.

Et je voudrais

être capable d'escalader

le meuble sur lequel vous avez mis
votre boîte à malice [TV]

et que vous sachiez
que j'ai sweater jaune

et que je voudrais pouvoir entrer chez vous

et vous parler.

Une dame,

quand j'étais en train de faire le travail de Menton,

est entrée dans la salle des mariages,

et je lui ai demandé ce qu'elle faisait là.
Elle m'a dit, M. Cocteau, je vous connais beaucoup.

"Mais qui êtes-vous, Madame?"

"Eh bien, vous avez passé l'autre jour
40 minutes dans ma chambre."

C'était la télévision.
Ça m'a fait beaucoup réfléchir.

Et c'est pourquoi

aujourd'hui, j'ai peut-être très mal parlé,

mais j'ai parlé

comme à des amis.
Je n'ai pas parlé comme un auditoire.

Et maintenant

je suis avec vous dans la chambre.

Dites-vous je suis avec vous dans la chambre,

je recule,

je vais réescalader la petite boîte.

Mon sweater qui était jaune, va redevenir gris.

Je vais rapetisser.

Et je vais, hélas,

vous quittez,

alors que j'aurais voulu rester avec vous
beaucoup plus longtemps

et vous dire beaucoup plus de choses intéressantes
que je ne vous en ai dit.

sous-titres françaises: serdar202 @ KG 2024