All language subtitles for Dr. Fischer of Geneva

Le Dr Fischer est la personne
que j'ai le plus détestée.

Et j'ai aimé sa fille
plus que tout au monde.

Alfred Jones.

On peut parler anglais.

Qu'avez-vous à la main ?

Une bombe à la fin de la guerre.

Mes parents et ma main
sont enterrés sous Londres.

Ça vous inquiète ?

Je devrais ?

Je n'étais qu'un enfant.

On m'en parle rarement
aussi directement.

J'aime votre façon de vous coiffer.

J'ai eu les cheveux plus longs.
Ma mère refusait de les couper.

Laissez-moi au moins payer le café.

Peut-être.
La prochaine fois.

Jones ?

Oui !

Que faites-vous ce soir ?

Vers 20 h.

J'avais des papiers à lire.

Je voulais prendre un verre,
mais si vous êtes pris...

Ça me plairait.

Parfait.

Quoi ?

D'accord.

A tout à l'heure.

Au revoir.

C'est un lit 1 place.

Quelle tragédie.

Ridiculement étroit.

J'en rêvais depuis toujours.

Je n'ai pas trouvé d'aromates.

Je n'en ai pas.

C'est bon, très bon !

Je ne cuisine pas vraiment.

Devine ce qu'on fait cet après-midi.

J'avais une idée.

Des courses.

Il le faut, il n'y a rien ici.

Ma femme est morte.

Elle s'appelait Mary.

Elle était enceinte.

Morte en couches avec le bébé.

Tu n'as pas voulu te remarier ?

J'ai de petits revenus
et il me manque une main.

Qu'une autre femme m'épouse
aurait tenu du miracle.

Et tu ne crois pas aux miracles.

Non.

Ils se produisent parfois.

Il ne se demande pas où tu es ?

Qui ?

Ton père !

Il n'aura rien remarqué.

- Vous ne mangez pas ensemble ?
- Il sort souvent.

Je lui téléphone.

Non.

Il le faut.

Il le faut, ma chérie.

Demain matin.

Il ne te parlera pas.

Tu sais quoi, Jones ?

Quoi ?

Je vais t'épouser.

Seigneur !

J-O-N-E-S.

Jones.

Oui.

Est-ce vraiment nécessaire ?

Je comprends votre prudence,
mais je veux parler au Dr Fischer.

Je préfère lui dire moi-même.

Non, je ne laisse pas de message.

C'est compliqué.

Oui.

Au revoir.

Jones ?

J'irai donc le voir.

Pourquoi ?

S'il envoyait la police te chercher ?

Elle ne chercherait pas trop.
Je suis majeure.

Nous ne sommes pas des criminels.

Peut-être pas.

Si tu veux vraiment y aller, vas-y.

Mais je t'en prie, sois prudent.

Ton père est dangereux ?

Diabolique.

Dr Fischer ?

Quel nom ?

M. Jones.

C'est un homme si occupé, n'est-ce pas ?

Même ses amis doivent l'attendre.

Je suis Mme Montgomery.

Mon nom est Jones.

Je ne vous ai jamais vu
à l'une des fêtes.

Il m'arrive d'en rater une.

On ne peut pas toujours être là.

Bien sûr.

Mais vous connaissez le Dr Fischer.

Pas encore.

Je connais sa fille.

Je ne l'ai jamais rencontrée.

Elle est très solitaire.

Elle ne va pas aux fêtes du Dr Fischer.

Dommage.

Nous aimerions tous la connaître.

Le Dr Fischer est fiévreux, madame.

Il ne pourra pas vous recevoir.

A-t-il besoin de quelque chose ?

Une grappe de muscat peut-être ?

Le Dr Fischer a du muscat, merci.

Ce n'était qu'un exemple.

Demandez-lui si je peux faire
quoi que ce soit pour lui.

N'importe quoi.

Je vais attendre.

C'est M. Kips !

Vous disiez qu'il ne recevait pas !

M. Kips a rendez-vous.

Dites au Dr Fischer que j'ai un message.

De sa fille.

Sa chambre à coucher n'est pas par là.

Ils allaient à son bureau.

Mais vous connaissez la maison.

Je n'étais jamais venu.

Vraiment ?

Pourquoi ces stores tirés ?

Pour protéger les boiseries
de la lumière.

Vous n'êtes donc pas l'un des nôtres.

Sans doute pas.

Nous sommes un tout petit groupe.

Je suis responsable de tout.

Je joue la maîtresse de maison
pour les fêtes du Dr Fischer.

Et je suis la seule femme invitée.

C'est un tel honneur.

Le général Krueger m'aide à choisir le vin.

S'il y en a.

Il n'y a pas toujours de vin à ces fêtes ?

Le Dr Fischer a beaucoup d'humour.

Vous ne connaissez vraiment pas
le général Krueger ?

Non, je ne crois pas.

Mais vous devez connaître M. Belmont ?

M. Henri Belmont ?

Il résout tous vos problèmes d'impôts.

Je n'ai aucun problème d'impôt.

Elle était horrifiée !
Elle n'a plus dit un mot.

Cet affreux valet est alors revenu.

Il m'a dit que j'avais rendez-vous
à 19 h jeudi.

Si tu laissais tomber ?

Tu ne lui dois rien.

Tu n'es pas l'un de ses crapauds !

Il sait très bien où je suis maintenant.

Il sait que tu es avec un Jones, c'est tout.

S'il voulait savoir,
il demanderait à la police.

Tu es résident étranger,
alors tu es fiché.

Il a juste à demander.

Les fichiers de police sont secrets.

Pas pour mon père.

Tu parles de lui comme si c'était Dieu.

Exactement.

Ça excite ma curiosité.

Va au rendez-vous, si tu y tiens.

Vous avez rendez-vous ?

- Oui.
- Quel nom ?

Jones !

Je vous en prie.

Entrez.

M. Jones.

Asseyez-vous, Jones.

Vous vouliez me parler ?

J'ai pensé que vous voudriez me parler.

J'ignorais votre existence
jusqu'à votre appel, l'autre jour.

Au fait, que cache ce gant ?
Une malformation ?

J'ai perdu une main.

Vous n'êtes pas venu consulter, j'espère.

Je ne suis pas ce genre de docteur.

Je vis avec votre fille.

Nous songeons à nous marier.

Vous seuls pouvez prendre
cette décision difficile.

Au fait, cette malformation
est-elle héréditaire ?

Vous avez dû en parler,
c'est important.

Je l'ai perdue pendant la guerre.

Nous tenions à vous en informer.

Votre main ne m'intéresse pas.

Je parlais de notre mariage.

Il fallait écrire
et vous épargner le voyage.

Votre fille ne semble pas
vous intéresser.

Vous devez la connaître mieux que moi.

En l'épousant, vous me relevez
de mes responsabilités.

Vous ne voulez pas son adresse ?

- Elle vit avec vous ?
- Oui.

C'est dans l'annuaire ?

Oui.

Inutile de me la donner alors.

C'était courtois de venir.

Même si ça n'était pas nécessaire.

Au revoir, Dr Fischer.

Au revoir.

Jones !

- Ça a été ?
- Pas vraiment.

C'était affreux ?

Non, je ne dirais pas ça.

Il ne s'intéressait à aucun de nous.

- Il t'a invité à une fête ?
- Non.

- Dieu soit loué !
- Le Dr Fischer soit loué.

Ou bien c'est pareil ?

- Tu hais ton père ?
- Je ne l'aime pas.

Peut-être que je le hais.

Pourquoi ?

Il a rendu ma mère malheureuse.

Comment ?

Avec son orgueil.

Son orgueil infernal.

Ma mère aimait la musique, mais pas lui.

Il détestait ça.

Elle s'échappait pour aller au concert.

Elle a rencontré un homme à un concert.

Ils écoutaient des disques
de Mozart chez lui.

Ils se voyaient en secret.

Mon père l'a vite découvert.
Il était furieux.

L'homme que voyait ma mère
s'appelait Steiner.

Ils n'étaient pas amants,
j'en suis sûre.

Mais c'était sans importance pour mon père.

Peu importait qu'elle le trahisse avec un homme

ou avec un disque de Mozart.

Elle avait trouvé quelque chose.

Une sorte de bonheur peut-être.

Avec quelqu'un d'autre.

Voilà ce que mon père ne pouvait pardonner.

Il est allé voir l'employeur de M. Steiner.

Il lui a donné 50 000 francs
pour qu'il le vire.

Sans références.

L'employeur, c'était M. Kips.

Qu'est devenu ce pauvre Steiner ?

Ma mère n'a jamais su.

Il a simplement disparu.

Et elle a disparu peu après.

Elle a fait comme ces Africaines
qui se laissent mourir.

Et toi, comment il te traitait ?

Pas si mal.

Il m'ignorait, c'est tout.

Il ne s'est pas vraiment remis
de cette histoire avec Steiner.

Il s'est mis à haïr et à mépriser les gens.

C'est ainsi que les fêtes ont commencé.

Je lui ai dit qu'il perdrait ses amis.

Ne crois pas ça, a-t-il dit.

Mes amis sont tous riches,
et le riche n'a pas de fierté.

C'est des pauvres qu'il faut se méfier.

Alors on est en sécurité.

On n'est pas riches.

On n'est peut-être pas assez pauvres pour lui.

- On ne peut pas !
- Pourquoi pas ?

Tu as oublié ?

On se marie à 10 h ce matin.

Ah, oui.

Qu'y a-t-il ?

C'est l'un des crapauds.

- M. Jones ?
- Oui ?

Je suis M. Belmont.

Le Dr Fischer m'a remis ça pour vous.

Ne le prends pas !

Qui sait ce que c'est ?

Mais Mme Jones,

votre père vous envoie
ses meilleurs voeux de bonheur.

Vous êtes son conseiller fiscal.

Combien valent ses meilleurs voeux ?

Il faut les déclarer ?

C'est quoi, alors ?

Une invitation à dîner.

Ça me paraît évident.

Il veut que tu te joignes aux crapauds.

Ce n'était pas les têtards, avant ?

Crapauds, têtards, quelle importance ?

- Il les a tous corrompus.
- Et il fera pareil avec moi ?

Tu te crois sans doute incorruptible ?

Tu es trop grand, trop pur.

Tu le laisses t'élever
et te montrer les royaumes de la terre.

Ce n'est quand même pas le Diable.

- Et tu n'es pas Jésus.
- Je n'ai jamais dit ça.

Vas-y, alors !

Va et sois maudit !

Tu as raison.

Je ne lui dois rien.

C'est juste un bristol.

Je n'irai pas.

- Promis.
- Tu dois y aller.

Non.

Je sais que tu n'es pas un crapaud.

Mais toi, tu ne le sauras pas
avant d'y aller.

Il t'épargnera peut-être.

Qui sait ?

Il n'a pas épargné ma mère.

- Quel nom ?
- Jones.

Le Dr Fischer est pris.

Il dîne avec des amis.

Je dîne aussi ici. Puis-je entrer ?

Quel nom, déjà ?

Jones.

Suivez-moi.

Quel est votre nom ?

Monsieur ?

Je dirai au Dr Fischer
comment vous accueillez ses amis.

Ses amis ?

Le Dr Fischer n'a pas d'amis.

M. Jones.

Je vous présente mon gendre, Jones.

Excusez-le pour ce gant.

Il a une malformation.

Vous connaissez Mme Montgomery.

M. Kips.

M. Belmont.

Le divisionnaire Krueger.

Et M. Richard Deane.

Jones est un grand linguiste.

Il traduit des lettres
au sujet de chocolat.

Mais dans nos petites fêtes,

nous sommes obligés de parler anglais.

M. Deane est certes
une grande star de cinéma.

Mais il ne parle qu'anglais.

Il tente parfois
une espèce de français.

Non ?

J'aurais dû lui offrir un verre.

Après un verre ou deux,
il joue très bien Falstaff.

A part pour l'humour.

Et pour le poids,
mais il y remédiera ce soir.

Albert ?

Je tiens à ce que tout le monde
s'amuse pendant mes petites fêtes.

Le Dr Fischer est un si bon hôte.

Et si généreux !

Ce collier était l'un de ses prix.

Je l'aide à choisir
les prix, vous savez.

Des prix de quoi ?

Pas d'intelligence,
sinon le divisionnaire n'aurait jamais rien.

Si on supporte ses petits caprices,
il nous donne des prix.

Vous vous souvenez de la fête aux cailles ?

On nous a donné des filets à papillon.

Il a fallu courir après les oiseaux.

Ils volaient en se cognant partout.

Un oiseau vous a blessé.

- N'est-ce pas, général ?
- J'ai encore la cicatrice.

C'est sa seule blessure au combat.

Il a fallu attraper les cailles,

leur tordre le cou et les plumer

avant de les envoyer en cuisine.

C'était l'horreur !

Vos cheveux en sont devenus bleus.

Ce qui est mieux que du gris,

taché de nicotine.

Vous excuserez Albert
de me servir en premier.

J'adore le caviar.
Je pourrais ne manger que ça.

Vous en auriez les moyens.

Je ne suis pas si riche que ça.

Inutile de me mentir.

Si vous n'étiez pas aussi riche,
vous ne seriez pas là.

Je n'invite que les très riches.

Et M. Jones ?

C'est mon gendre.

Il a peut-être de grandes espérances.

L'espoir est une forme de richesse.

M. Kips pourrait lui obtenir des crédits.

Mais l'espoir n'est pas imposable.

Il est donc inutile de consulter M. Belmont.

Albert, les bavoirs.

Des écrevisses.
C'est sûrement des écrevisses.

J'adore les écrevisses !

Du porridge ?

Du porridge froid !

Du porridge écossais.

Ça va nous couper l'appétit.

Pas de problème,
il n'y a rien d'autre.

Vous allez trop loin.

Du porridge froid, c'est immangeable !

Alors ne le mangez pas.
Vous perdrez juste votre cadeau.

On peut avoir du sucre ?

Ça aiderait.

Vous pouvez avoir du sel bien sûr.

Les Ecossais le mangent toujours salé.

Albert ? Proposez du sel
à ces messieurs.

Mme Montgomery a l'air
de renoncer à manger.

Non, je ne gâcherai pas
votre petite plaisanterie.

Passez-moi le sel.
Ça ne pourra pas être pire.

Vous ne mangez pas, Jones ?

Je n'ai pas assez faim.

Vous n'êtes pas assez riche, plutôt.

Cela fait des années que j'étudie
l'avidité des riches.

"Il sera donné à celui qui a."

"Donné", notez bien.
On ne parle pas de "gagner".

Ils pourraient s'acheter mes cadeaux.

Mais ils sont prêts à tout
pour les avoir pour rien.

Vous n'aurez pas de cadeau
si vous ne mangez pas.

J'ai un cadeau plus précieux
qui m'attend chez moi.

Très galant, et aussi un peu pompeux.
Mais vous devriez vous méfier.

Les femmes n'attendent pas
toujours gentiment.

Et avec une seule main,

la vie amoureuse doit être difficile.

Albert ?

M. Deane

meurt d'envie d'en reprendre.

Les adolescentes vénèrent Richard Deane.

Mais elles seraient si déçues de le voir nu.

Il a un problème, m'a-t-on dit.

L'éjaculation précoce.

Le porridge saura peut-être vous ralentir.

M. Kips n'est plus si jeune.

Allons, Belmont !

Pas de cadeaux
avant que tout le monde ait fini.

Vous pouvez rire d'eux.

Ils ne se vexeront pas.

Ils ne sont pas drôles.

Vraiment ?

Cela ne vous évoque pas

des porcs dans leur bauge ?

Vous me révoltez.

Je comprends votre sentiment.

Mais je ne peux pas renoncer maintenant.

Mes recherches doivent aller jusqu'au bout.

Mon petit Deane ?

Si vos admiratrices vous voyaient.

Pourquoi faire ça ?

Pour voir si leur avidité a des limites.

La fierté ne les limite pas, ça se voit.

M. Kips, comme Herr Krupp,

aurait été ravi de dîner
avec Hitler contre une faveur,

quoi qu'on lui mette dans l'assiette.

Vous êtes vous-même riche.

Votre avidité a-t-elle une limite ?

Je suis avide d'autres choses qu'eux.

Je me fiche des babioles.

Je veux croire que mon avidité ressemble

à celle de Dieu.

Dieu

est-il avide ?

Pour les croyants,

il est avide de notre amour.

Mais si on en juge par sa création,

il est surtout avide de notre humiliation.

Une avidité inextinguible.

Sans fond.

On devient toujours plus malheureux

à mesure qu'il tourne
l'interminable vis.

Mais il nous fait des cadeaux.

Le suicide universel n'est pas son but.

Ses cadeaux sont destinés à atténuer
les souffrances de notre humiliation.

Cancer du rectum, gros rhumes.

Incontinence.

Comme vous êtes pauvre, Jones,
vous avez eu un petit cadeau.

Ma fille.

Juste de quoi vous faire tenir
un peu plus longtemps.

Si Dieu me l'a donnée,
j'en suis reconnaissant.

Dieu nous a faits à son image, dit-on.

Il a pu réaliser
qu'il était mauvais artisan.

Et le résultat le déçoit.

Les produits défectueux
se jettent à la poubelle.

Vous n'avez pas agi
selon les règles, Belmont.

Mais laissons passer.

Patientez encore un peu,
le temps que je finisse mon caviar.

Merci, Albert.

Vous pouvez ôter les bavoirs.

Regardez-les et riez donc, Jones.

Vous manquez d'humour.

Votre gendre aurait dû partir.
Il n'a pas mangé son porridge.

Vous auriez tous pu faire pareil,
chère Mme Montgomery.

Et les cadeaux, alors ?

J'aurais peut-être doublé la mise.

C'est quoi, ça ?

Je n'ai pas besoin de photo
pour emballer.

Il y retournera.

Cette voiture aussi était un cadeau.

Tu n'y retourneras pas ?

Promis ?

Bonjour.

Bonjour, vous n'auriez pas
la symphonie Jupiter de Mozart ?

La 41e symphonie ?

Il y a un excellent enregistrement

de l'orchestre national de Vienne.

Mais on ne doit pas l'avoir.

La vraie musique n'est plus demandée.

Je peux essayer de vous le commander.

Mais seriez-vous intéressé
par d'autres symphonies de Mozart ?

Vous auriez la Messe du couronnement ?

La Messe du couronnement ?

Oui, ou n'importe quelle symphonie de Mozart.

Mozart ?

Oui, Mozart.

Non, je n'en ai pas. Excusez-moi.

Excusez-moi.

Ça va ?

J'ai le souffle un peu court, c'est tout.

Vous voulez de l'aide ?

Non, non.

Pardon,

je peux vous poser une question ?

Bien sûr.

Cette jeune femme avec vous...

Ma femme.

Votre femme ?

Navré, elle me rappelle quelqu'un.

Une dame que j'ai connue.

Il y a si longtemps.

Elle serait très âgée maintenant.

Cette jeune dame est votre femme ?

C'est la fille du Dr Fischer, de Genève.

A l'aide !

Qu'y a-t-il ?

Crise cardiaque.

Le pauvre.

Anna ?

Il m'a appelée par mon nom.

Il nommait Anna, ta mère.
Pas Anna-Luise.

M. Steiner !

Tu iras à l'hôpital voir s'il va bien ?

Elle est exactement comme sa mère.

Quand elle avait son âge.

D'où le choc.

J'ai d'abord cru que c'était mon imagination.

Mais vous avez dit son nom.
Il vit toujours ?

- C'est un ami à vous ?
- Non, non.

Il ne m'a jamais vu,
mais il m'a ruiné.

Et ça l'a tuée.

Elle n'y était pour rien.

Oui, je l'aimais.

Mais elle ne m'aimait pas.

Ça ne se serait pas reproduit.

Non, Anna aimait la musique.

- Mozart.
- Que voulez-vous dire ?

"Ça ne se serait pas reproduit" ?

C'était ma faute.

Et celle de Mozart.

Elle se sentait seule.

Il doit savoir ce que c'est maintenant.

Se sentir seul.

Vous étiez donc amants.

Mais Anna-Luise m'a dit...

Non, pas amants.
Ce n'est pas vrai.

Pas au pluriel.

Ça aurait été mal de l'obliger
à faire un tas de mensonges.

C'était sans avenir pour elle.

Cela dit, elle n'avait pas
d'avenir de toute façon.

D'après ma femme,

elle s'est simplement laissée mourir.

Etrange, n'est-ce pas ?

Elle ne m'aimait pas,
mais elle avait ce désir de mourir.

Je l'aimais, mais sans ce désir.

J'ai pu aller au cimetière.

Il ne m'avait jamais vu.

Quelqu'un d'autre la pleurait alors.

A part Anna-Luisa.

Comment ça ?

Fischer a pleuré.

Il a pleuré.

Vous êtes sûr ?

Ma femme dit que non.

Elle était trop jeune.

Elle n'a pas dû remarquer.

C'est sans importance de toute façon.

Vous savez,

vous seriez le bienvenu chez nous.

On serait ravis de vous voir.

Passez donc un soir.

Je ne pense pas.

Je ne pense pas.

Ton père a peut-être vraiment
pleuré à l'enterrement.

Non, sauf si c'était à l'idée
que sa victime disparaissait.

Ou il avait le rhume des foins.
C'était justement la saison.

Zut !

Il y a déjà du monde.

- J'aime les pistes vides.
- Le nombre donne la sécurité.

- Sois prudente.
- Je le suis toujours.

Attends-moi pour manger !

- S'il vous plaît ?
- Vous voyez bien que je suis pris.

Vous n'avez pas une minute ?

- Tu avais de bons skis.
- Les meilleurs.

Il y a un blessé grave là-haut.
Je les entendais en parler.

M. Jones ?

On avait peu d'espoir.

Elle n'a pas souffert.

Elle est morte sous l'anesthésie.

- Elle est morte.
- Oui.

Je regrette.

Vous désirez la voir ?

J'appelle un taxi ?

Oui.

M. Jones ?

Vous ne m'entendez pas, M. Jones ?

Je voulais vous dire combien
nous sommes tous désolés.

On vient juste de l'apprendre.

J'ai un message pour vous,
de notre ami.

Il veut vous voir.

Il aurait pu me voir.

S'il était venu enterrer sa fille.

Il y avait des raisons pour ça.

Il vous les dira lui-même.
Demain après-midi ?

C'est une histoire de trust,
si j'ai bien compris.

Vous irez ?

N'est-ce pas ?

Vous n'êtes pas venu enterrer votre fille.

Il y avait trop de sa mère en elle.

Plus elle grandissait,
plus elle lui ressemblait.

C'est ce que disait M. Steiner.

Ce petit homme vit toujours ?

Oui !

L'insecte est dur à éradiquer.

Il se terre dans les fissures.
Impossible de l'attraper.

Vous auriez aussi vu un Steiner
ramper hors de sa fissure.

Elle était comme sa mère.

Elle aurait fini
par vous faire du mal.

Vous m'avez fait venir pour dire ça ?

En partie, seulement.

Je vous dois quelque chose.

Vous vous conduisez mieux que les autres.

Vos amis, vous voulez dire.

Je n'ai pas d'amis.

Ce sont des relations.

Ne pensez pas qu'ils me déplaisent.

Des égaux vous déplaisent.
Eux, je les méprise.

Tout comme je vous méprise, vous.

Mais non.

Vous ne me méprisez pas,
vous me haïssez.

Vous le croyez, du moins.

Où est la différence ?

Le mépris découle d'une grande déception.

Peu de gens sont capables
d'une telle déception.

Je doute que vous en soyiez.

Quand quelqu'un a du mépris,

c'est comme une blessure profonde, incurable.

Le début de la mort.

Il faut se venger tant qu'il en est temps.

Si la personne qui a infligé
la blessure est morte,

il faut prendre sa revanche sur d'autres.

Si je croyais en Dieu,

j'aurais peut-être voulu me venger de lui.

Pour m'avoir rendu capable de déception.

Cela dit, comment pourrait-on

prendre sa revanche sur Dieu ?

En faisant du mal à son fils peut-être ?

Vous avez raison.

Je ne devrais pas vous haïr.

Vous êtes fou.

Non, non. Pas fou.

Vous n'êtes pas très intelligent.

A votre âge, vous ne seriez plus
traducteur dans une chocolaterie.

Mais j'ai parfois envie

d'élever un peu le débat.

- Ecoutez...
- Non, je vous en prie !

Parlons de ce pour quoi
je vous ai fait venir.

Je prépare une petite expérience.

Laquelle ?

Ce sera le test suprême.

La dernière de mes fêtes.

Vous refaites une fête ?

Quand ?

Demain. J'aimerais que vous veniez.

Vous donnez une fête deux jours
après l'enterrement de votre fille.

C'était prévu depuis longtemps. Venez.

Les autres détestent que vous soyez là.

Vous les humiliez.

C'est la dernière fête,
vous devez venir comme témoin,

pour voir jusqu'où ils iront.

Que voulez-vous, Dr Fischer ?

Je veux...

Je veux.

Bonsoir, M. Jones.

Je vous suggère de garder votre manteau.

Le dîner a été servi dehors.

- Dehors ?
- Exact.

Par ici, je vous prie.

Vous devriez avoir assez chaud.

Merveilleux, non ?

Et fou !

Et magnifique !

Quel dommage que ce soit
la toute dernière fête.

Mais vous verrez.

Le docteur nous offre
un grand et magnifique adieu.

C'est bon de vous revoir
parmi nous, M. Jones.

Vous nous avez manqué.

Je suis plutôt Manhattan, moi.

C'est mon troisième.

Dommage que ce soit la dernière fête.

Notre ami serait à court d'argent ?

Non, non.

Il a toujours dit qu'il arrêterait

en finissant sur la meilleure,
la plus excitante des fêtes.

De plus, je crois qu'il n'a plus
le coeur de continuer.

Après ce qui est arrivé à sa pauvre fille.

Il a un coeur ?

Vous le connaissez moins bien que nous.

Sa générosité...

Arrêtez ça et asseyez-vous !

Que fait-il donc ?

Il cache les papillotes dans le tonneau.

Qu'il les mette sur la table.

Il veut éviter qu'on les ouvre en dînant

pour savoir ce qu'il y a dedans.

Imaginez, il n'avait jamais
entendu parler de ces papillotes.

Le Dr Fischer n'a pas dû avoir
eu une enfance très heureuse.

Il a mis les cadeaux
dans les papillotes,

les papillotes dans le tonneau,
et on pêchera les yeux fermés.

Et si vous tombiez sur un collier ?

Impossible.

Ces cadeaux ont été choisis
pour convenir à tout le monde.

Qu'est-ce qui peut convenir à tous ?

Vous devez vous fier au Dr Fischer.

Tout au fond de lui,

c'est un homme très intuitif.

La vodka est assez froide
pour vous, Jones ?

Elle est finlandaise.

La vodka finlandaise,
je la bois la conscience tranquille.

En effet, ils se sont bien battus en hiver 1939.

Si seulement les Français
avaient fait aussi bien en 40.

M. Jones ?

Vous ne m'auriez pas vu dans "Dunkerque" ?

Non, je n'étais pas à Dunkerque.

Je parle du film !

Le film intitulé "Dunkerque".

Le film ? Non.

Jamais vu.

Pourquoi ?

Je me demandais, c'est tout.

J'y étais bon, je crois.

Albert ?

Coupez la viande de M. Jones,
sa main est difforme.

Pauvre M. Jones !
Je vais le faire pour vous.

Vous préférez de petits morceaux ?

Les femmes ont un sens exagéré
de la compassion.

Ma fille a dû vous épouser par pitié.

Mme Montgomery vous épouserait,
si vous lui demandiez.

Merci, je n'ai pas d'appétit.

Normalement, vous auriez perdu
votre prix en ne mangeant pas.

Mais c'est différent ce soir.

Personne ne perd son cadeau,
sauf s'il le demande.

Qui pourrait bien refuser
un de vos cadeaux,

Dr Fischer ?

C'est ce que je suis curieux
de découvrir sous peu.

Vous aurez juste à approcher du tonneau,

à prendre une papillote et à tirer.

Le cadeau est dedans.

Cinq d'entre eux contiennent
le même bout de papier.

Des bouts de papier ?

Des blagues !
Il y en a toujours dans les papillotes.

Et quoi d'autre ?

Pas de blagues. Ces papiers portent
l'en-tête de ma banque à Zurich.

Ils disent :
"Veuillez payer au porteur

"5 millions de francs suisses."

Cinq millions !

Ce sont des chèques ?

Tous du même montant,
pour ne pas faire de jaloux.

Des chèques entre amis ?
Voilà qui manque un peu

de dignité.

C'est un solde de tout compte, voilà tout.

On n'est pas vos employés, merde !

Vraiment ? N'avez-vous pas tous
joué votre rôle pour me divertir

et pour votre profit ?
Quant à vous, Deane,

je suis comme un réalisateur
qui espérait du talent.

Vous n'en avez pas.

Je suis pas obligé d'accepter votre chèque !

Non, mais vous le ferez.
Réfléchissez un instant.

Vous pourriez financer vos films
et vous donner la vedette.

J'ai entendu dire que vous n'étiez plus

ce qu'on appelle "bankable" dans votre monde.

Ne nous emballons pas.

Les chèques ne sont pas nominatifs,
ça fait une grande différence.

D'un point de vue fiscal,
ça semblait plus pratique.

Je ne pensais pas à ça.

Je pensais à la dignité humaine.

Je n'ai pas les moyens de M. Belmont.

Comme simple soldat,

accepter un chèque ou du caviar,
c'est pareil pour moi.

C'est ce que j'allais dire !

Il reste un mystère.

Vous parliez de six papillotes
et de cinq bouts de papier.

Est-ce parce que M. Jones
n'y participe pas ?

M. Jones aura les mêmes chances que vous.

Vous allez au tonneau
pour choisir une papillote.

Vous la tirez tout seul
près du tonneau.

Puis vous revenez à table.

Si vous pouvez revenir, bien sûr.

Comment ça ?

Je saisis cette occasion
pour porter un toast à tous.

Vous m'avez aidé jusqu'au bout
de mes recherches.

Quelles recherches ?

Il y a longtemps désormais

que je teste les limites
de votre avidité.

L'avidité des riches.
Et je veux voir maintenant

si cette avidité va
jusqu'à surmonter la peur.

Alors j'ai organisé une boom.

Que voulez-vous dire par "boom" ?

Chaque papillote contient
un tube en métal.

Il y a des chèques
dans cinq d'entre elles.

La sixième fera détoner
une petite charge explosive.

Létale, m'a-t-on assuré,

pour ceux qui en sont tout proches.

Mais si quelqu'un était tué,

ce serait un meurtre.

Non, ça serait assimilé
à la roulette russe.

Que ceux qui refusent de jouer
quittent la table immédiatement.

Je ne jouerai certainement pas.

Vous avez cinq chances !

En votre faveur, mon cher Kips.

Je n'ai jamais parié d'argent.

Attendez-vous à un scandale énorme, Dr Fischer.

Au mieux.

M. Kips n'a aucun humour.
Voilà son problème.

Qui prend sa part ?

Ce sera divisé entre ceux qui restent.

Les dames d'abord !

Mme Montgomery est très censée !

Elle a calculé que ses chances
ne seraient jamais meilleures.

Il y a un problème ?

Aucun problème, très cher !

Tout va merveilleusement bien !

Prêtez-moi un stylo,
j'inscris mon nom tout de suite.

Et vous, Jones ?
Les chances diminuent.

Je préfère observer
votre foutue expérience.

L'avidité gagne, non ?

Si vous restez, vous devez jouer.

Ou partir, comme M. Kips.

Je jouerai.
Ça, je vous le promets.

La situation est désespérée.

Sacrément grave.

On risque tous d'y passer.

Vache de guerre.

Mais quoi qu'il m'arrive,

jurez-moi de partager la bouteille.

Mon capitaine !

J'irai, monsieur, même si je dois y aller seul.

Inutile de risquer la vie des hommes.

Inutile.

Et si je m'en sors,
on ouvrira une autre bouteille !

Passez avant moi, général.

Ça augmente vos chances.

Je ne suis pas un général.

Je suis divisionnaire.

Les divisionnaires ne partent pas
en mission suicide.

Pas en Suisse.

Dickie Deane a la baraka !

Ivre mort.

Si j'achetais des actions ?

Vous en avez déjà trop.

Achetez de l'or ou allez
dans le Bade-Wurtemberg.

Vous y paierez 15 % d'impôt en moins.

Mais tout peut arriver en Allemagne, non ?

Le socialisme.

Nous devons vraiment y aller, Dr Fischer.

Attendez la fin de la fête,
c'est bientôt terminé.

C'était vraiment une merveilleuse fête.

A bientôt, Dr Fischer.

Quand j'étais enfant,

je jouais à jouer à la roulette russe.

C'était vraiment très excitant.

J'aurais dû venir plus tôt.

Les chances étaient meilleures.

Ouvrez votre papillote, divisionnaire !

Songez à votre honneur de soldat !

Vous rêviez d'aller au feu, non ?

Quand vous étiez à l'académie militaire !

J'étais jeune.

J'ai vieilli.

J'ai choisi en premier.

Je dois tirer en premier.

Bien sûr.

Vous avez raison.

Vos chances sont à égalité, divisionnaire.

C'est l'occasion de montrer du courage

et de gagner 5 millions de francs suisses !

La papillote de Kips est toujours là !

Si je n'avais pas vécu en Suisse,

je l'aurais su depuis longtemps.

Je suis un lâche.

Vous êtes ridicule, Jones !
Vous aspirez à la mort.

Ça ne m'intéresse pas.

Le chèque de M. Kips.

A diviser entre ceux qui restent.

Vous gardez l'autre ?

Oui.

Vous êtes donc aussi avide d'argent ?

Vous êtes riche maintenant,
selon vos standards.

Vous ressemblerez bientôt aux autres.

Je pourrais redonner des fêtes
pour voir votre avidité s'épanouir.

Mme Montgomery, M. Belmont et M. Kips

ont toujours été comme ça.

Mais vous !
Vous, je vous ai créé.

Comme Dieu a créé Adam.

Divisionnaire, je vous achète
votre papillote 5 millions.

Donnez.

A quoi jouez-vous, Jones ?
C'est la dernière papillote !

Restez où vous êtes, Jones !

Qui est là ?

M. Jones ?

Oui ?

Vous m'avez oublié.

C'est moi, Steiner.

Que faites-vous là ?

Où est-il ?

Si vous parlez du Dr Fischer,

il a fini sur sa plus belle farce.

Il doit en rire tout seul là-haut.

Je veux le voir.

Pourquoi ?

Je viens cracher au visage
de Dieu tout-puissant.

C'est un peu tard.

Lui cracher dessus vous fera
vous sentir mieux ?

Le voilà.

Préparez votre crachat.

Jones ! Je vous croyais parti.

Qui est-ce ?

Son nom est Steiner.

Qui est Steiner et que fait-il là ?

J'ai connu votre femme.

Vous avez poussé M. Kips à me licencier.

Vous avez détruit nos deux vies.

Votre fête était très réussie.

Vous trouvez ?

Oh, oui.

Vous avez réussi à nous humilier.

Qu'allez-vous faire ensuite ?

Je l'ignore.
Je ne voulais pas vous humilier.

C'était en prime, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas prévu.
Vous n'êtes pas des leurs.

Vous vous êtes bien amusé ce soir.

Oui, c'était mieux que rien.

Mais rien, c'est un peu effrayant.

Vous avez tué votre femme.

C'est faux.

Elle est morte
parce qu'elle ne pouvait pas vivre.

Elle ne voulait pas vivre.

Sans amour.

L'amour ? J'ignore ce que c'est.

Vous avez pris une étrange revanche.

Quelle revanche ?

Une femme vous méprisait,
alors vous avez méprisé le monde.

Elle ne me méprisait pas !

Personne ne me méprisera jamais.

A part vous-même.

C'est vrai, non ?

Vous m'avez inoculé la maladie
en entrant dans ma vie,

Steiner.

J'aurais dû faire doubler votre salaire.

J'aurais dû donner à Anna
tous les Mozart qu'elle désirait.

Je vous aurais achetés
comme tous les autres.

A part vous, Jones.

Il est trop tard
pour vous acheter maintenant.

Quelle heure est-il ?

Minuit passé.

L'heure de dormir.

Je n'ai jamais autant haï un homme.

Je le hais sans doute aussi.

Mais haïr n'est pas important.

On peut haïr une personne
et en rester là.

Mais si on commence à éprouver
du mépris, comme le Dr Fischer,

on finit par mépriser le monde entier.