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Pardon.

Excusez-moi.

Merci.

- Qu'est-ce que je vous sers ?
- Un demi, s'il vous plaît.

Merci.

C'est pour moi.

OK.

Ben... merci.

Je vous en prie.

Je m'appelle Wim.

Siméon.

Tu viens souvent, ici ?

Non. C'est la première fois.

Moi, je suis pas de Paris.

J'ai atterri là par hasard.

T'es d'où ?

D'Anvers. Belgique.

Je suis venu ici
pour un entretien d'embauche.

Ça s'est bien passé ?

Non.

Ils m'ont trouvé trop... démotivé.

Désolé.

Faut pas.

Je suis plutôt soulagé.

En fait, je fête mon échec.

À la tienne.

À ton échec.

À nos échecs.

On prend la chanson suivante,
toi et moi ?

Non. Je...

- Je sais pas chanter.
- Moi non plus.

Et alors ? Donne-moi ce cahier.

Celui-là. Celui-là, c'est parfait.

Il faut que je rentre.
J'ai beaucoup trop bu.

Wim, j'ai été très heureux
de te rencontrer.

C'est réciproque.
C'est réciproque, mon ami.

On se reverra...

certainement pas,

mais je vais jamais oublier ce duo.
Jamais.

Moi non plus.

Bon retour à Anvers.

En fait,

je suis venu
pour des examens médicaux.

Et...

c'est pas la joie.

Si tu vois ce que je veux dire.

Non.

Rentre chez toi. Hein ? Allez.

Allez, vas-y.

Allez, oust ! Vas-y.

Je suis né à Paris,

au début des années 80.

Je suis le cadet d'une famille
de 2 enfants.

Mon père, après une carrière
de 12 ans dans l'armée,

décidée subitement pour fuir
l'autorité de mon grand-père,

passe des concours
et devient professeur de sport.

Il rencontre Mathilde
dans le collège où ils enseignent.

C'est un véritable coup de foudre.

Alors que mon frère s'intéresse
au travail du corps,

je choisis, guidé par une mère
adorant partager ses émotions,

l'esprit.

Mathilde et Jacques,

sans avoir jamais à se le dire,

se réjouissent de cette répartition
naturelle dans notre éducation.

J'entre au lycée.

C'est la période des 1res amours.

J'aime par-dessus tout être amoureux.

Il y a Laure, avec qui je sors
pendant presque 2 ans.

Puis Clarisse,
mais l'histoire ne dure pas.

Et enfin, Patricia.

À un concert, je rencontre celui
qui deviendra mon meilleur ami,

Oscar.

C'est la 3e fois que je les vois
et c'est de moins en moins bien.

Ça s'appelle la perte de l'innocence.

C'est triste, mais c'est comme ça.

Il a dit quoi ?

Que c'était la 3e fois
qu'il les voyait,

que c'était la perte de l'innocence.

C'est moins bien.

Vous êtes ensemble ?

Ah ouais ? Dommage.

Et vous, vous êtes ensemble ?

Dommage.

Après mon bac, j'entre
dans une école de journalisme.

Patricia me suit.

Tu veux pas ?

Un matin, elle veut avoir un enfant.

Je sais pas.

C'est que t'es pas vraiment amoureux.

Elle me quitte.

Je découvre alors
que j'étais vraiment amoureux.

Ma dépression dure plusieurs mois

et s'interrompt brutalement
avec la mort de mon père.

Comme si cet événement tragique
était un avertissement,

comme si soudain, il me fallait
prendre mes responsabilités,

je décide de poursuivre
mon abstinence sportive,

de réduire ma consommation d'alcool
et d'entrer dans la vie active.

Après quelques expériences
anecdotiques,

je suis engagé comme rédacteur

dans les pages culturelles de Modoï,

à la ligne éditoriale qui se proclame
audacieuse et exigeante.

Mes collègues sont jeunes, ambitieux,

propres sur eux,
de gauche mais pas trop.

J'essaie de leur ressembler
sans me poser de questions.

J'entre dans le moule.

C'est lors de ma seconde année
à Modoï

que je rencontre Béatrice.

Je me remémorerai à de nombreuses
reprises, dans ma vie,

le moment précis
où je l'ai découverte,

ce qui a traversé mon esprit
à cet instant-là.

Hé !

Sois pas timide, hein ?

J'étais curieux de savoir
à qui tu envoyais ces SMS.

C'était nul, comme approche.

Ça te regarde pas.

Tant pis.

Je vais te le dire.

Il s'appelle Sylvain.

Je lui envoie un SMS de rupture.

Voilà.

À partir de maintenant,
je suis célibataire...

et ouverte à l'inconnu.

Ça a commencé comme ça.

OK.

Les 2 premières années avec Béatrice

ressemblent à un roman d'amour
et d'aventure.

Un roman accéléré.

On le garde ?

Oui.

Je deviens père à 26 ans.

Les années passent.

Le temps ralentit.

Sarah grandit.

Sans que ni Béatrice ni moi-même
ne nous l'expliquions,

les liens qui semblaient nous unir
si fort se défont petit à petit.

Le bonheur ne dure qu'un temps.

Nous décidons de nous séparer,

avant de ne plus nous aimer du tout.

Le cosmonaute,

il arrive à vivre des mois
dans une petite navette spatiale.

Et voir la Terre toute petite

à travers le hublot,
ça lui suffit.

Je comprends pas toujours
ce que tu dis, Oscar,

mais ça me fait du bien.

Chouette.

La crise a éclaté.

La crise, ajoutée

à une gestion financière
de plus en plus chaotique,

ont raison de Modoï.

Je me retrouve avec, pour seules
ressources, des indemnités chômage.

Au même moment,
Oscar quitte sa copine de l'époque.

Nous tentons, à 30 ans,
la colocation.

Maintenant que je suis ici,
j'ai une vision.

Je verrais bien mes platines
juste là, comme ça.

Il y a deux jours,
on a fait les plans.

Ta platine est contre le mur.

Attention. Là, tout change tout.

Non, il y a rien qui change.

J'ai une vision.

C'est beau, là. Comme ça...

La vie reprend son cours.

Je tente de retomber amoureux.

Tu vas peut-être trouver ça
bizarre...

Mais je préfère y aller franco.

Voilà.

Serais-tu d'accord pour qu'on passe
le reste de notre vie ensemble ?

T'es sérieux ?

- Salut.
- Salut.

T'as passé une bonne soirée ?

Non.

On va en rester là, avec Martha.

J'ai fait une proposition désespérée
et c'est pas ce qu'elle veut.

Et moi non plus.

C'est qui ?

Elle s'appelle Marie.

J'ai trouvé son portefeuille
dans la rue, hier soir.

J'ai l'impression de la connaître.
Pas toi ?

Elle ressemble à la fille
qui jouait dans la pub de...

La pub où ils avaient des...

mais courts et... Je ne sais pas.

Ça me dit rien.

J'ai trouvé son numéro
dans les pages blanches.

Une jolie fille comme ça,
ça s'appelle.

Je te laisse.

Allô ?

Tu décroches pas ?

Allô ?

Vous avez appelé. Ça a coupé.

Oui... Oui. Tout à fait.
J'ai des problèmes de réseau.

Vous êtes chez qui ?

Pardon ?

Quel opérateur ?

Vous travaillez
dans les télécommunications ?

Non.

Je demandais ça comme ça.
J'ai eu des problèmes du genre.

Vous avez essayé de m'appeler ?

En fait, j'ai trouvé le portefeuille
de Marie Andrieu, hier.

J'ai cherché son numéro
dans les pages blanches et...

Elle n'habite plus ici.

Vous auriez son numéro de portable ?

Pour quoi faire ?

Ben... pour lui rendre
son portefeuille.

Allô ? Vous êtes toujours là ?

06 03 53...

...21 79.

Je vous remercie.

Faites attention à Marie.

Pardon ?

Elle est dangereuse.

Merci.

On s'est pas déjà rencontrés ?

Je crois pas, non.

Quand j'ai vu votre photo,
j'ai eu cette impression...

Et là, ça se confirme.

Je ressemble peut-être
à quelqu'un que vous connaissez.

J'ai un visage assez passe-partout.

C'est bizarre de ressembler autant
à tout le monde.

Vous ne ressemblez pas
à tout le monde.

Vraiment ?

Vraiment.

Il faut que j'y aille.

Déjà ?

J'attends un coup de fil
très important.

Voilà. Je vous remercie d'être venu
jusqu'ici. C'était très...

Oh pardon ! Je suis désolée.

Pardon. Je vous invite.

Non. C'est bon.

Si, si.

Et hop. Voilà. Trop tard.

- Et merci.
- Merci.

Au revoir.

- Ça fait longtemps que t'es là ?
- Je viens d'arriver.

C'est vraiment bien.

C'est pas trop ésotérique ?

Ben non.

Non. C'est plutôt... envoûtant.

Sombre et envoûtant.

Je peux faire danser
sur de la musique triste ?

Ah ouais.

Ça sonne toutes les 10 min.
Dès que je décroche, ça raccroche.

J'y vais.

Allô ?

C'est vous.

C'est vous.
Je reconnais votre respiration.

Pardon ?

On s'est parlé, ce matin,

à propos de Marie.

Alors ?

Alors quoi ?

Vous l'avez vue ?

Oui.

Vous comptez la revoir ?

Pourquoi vous me demandez ça ?

Je vous conseille
de ne pas chercher à la revoir.

Si vous cherchez à la revoir,

vous aurez des problèmes.

Je suis né près de Marseille.

Passons sur les premières années.

Je n'en ai aucun souvenir.

Allons directement aux 2 événements
qui ont marqué mon enfance.

À 6 ans, j'accompagne mon père
à la pêche pour la 1re fois.

Mon père était pêcheur.

Occupé à remonter un filet,
il me délaisse quelques instants.

Je tombe.

Le 2e événement
se déroule à l'âge de 11 ans.

Je tombe éperdument amoureux
de mon professeur de français.

À la fin de l'année,

je me décide
à lui déclarer ma flamme.

"Qu'est-ce que j'ai à faire
dans le monde ?"

"Qu'est-ce que j'ai à faire
dans le monde ?

"Les autres s'évertuent
pour la richesse,

"la célébrité, le pouvoir.

"Moi, je n'ai pas d'état.

"Vous êtes mon occupation exclusive.

"Ne sentez-vous pas l'aspiration
de mon âme monter vers la vôtre,

"qu'elles doivent se confondre
et que j'en meurs ?"

- C'est...?
- L'Éducation sentimentale.

Maintenant que c'est les vacances,

je me demandais si...

on pourrait partir tous les deux
loin d'ici.

Elle refuse mes avances.

Je garderai éternellement
de cette expérience

la volonté farouche de devenir
un écrivain, dans le but inavoué

de prouver à mon professeur
que j'en suis capable.

C'est à 30 ans,

après de longues années d'études,
que je me décide à quitter Marseille.

Je monte à Paris et me lance
dans l'écriture d'un 1er roman

intitulé Les Fonds marins.

Une sorte de chronique familiale,
à la fois épique et déstructurée.

Je renonce, après 10 ans,
aux Fonds marins,

dans lesquels je me noyais,

pour commencer un nouveau 1er roman
intitulé À la surface.

Avec À la surface,
je trouve un style,

une façon de raconter une histoire
qui m'est propre,

puisant dans ma vie
la matière nécessaire

pour qu'advienne l'émotion.

Je reçois
de multiples encouragements.

Le manuscrit séduit.

Mais personne ne veut prendre
le risque de sortir À la surface,

trouvant le récit trop expérimental

et éloigné des préoccupations
des lecteurs d'aujourd'hui.

C'est dans cette période difficile,

confronté aux plus grands doutes,
que je rencontre Marie.

Elle semblait venir d'une autre
planète. La même que moi.

C'est ce que je me suis dit,
la 1re fois que je l'ai vue.

Après quelques semaines,

Marie s'installe chez moi.

Je n'avais jamais partagé
la vie de personne,

encore moins d'une fille
qui avait 20 ans de moins que moi.

C'est arrivé comme ça,
au moment où je ne l'attendais plus.

C'est ce qu'on appelle
les électrosensibles.

Les champs électromagnétiques
pourraient rendre sourd.

En France,
on identifie à quelques centaines

les femmes et les hommes
qui s'estiment victimes des ondes.

Un jour d'avril,

je tombe sur un reportage
sur l'hyper-électrosensibilité.

...serait hypersensible
aux champs électromagnétiques,

soit près de 2 millions de personnes.

Je suis convaincu que je tiens là
le sujet de mon prochain roman

et ma dernière chance
de devenir écrivain.

Je rejoins une de ces zones blanches

où se regroupent des personnes
victimes d'hyper-électrosensibilité.

En m'y rendant,
j'étais loin d'imaginer

combien cette expérience
allait changer ma vie.

Je pensais rencontrer des illuminés.

Je ferai la connaissance
de personnages riches et complexes.

Je pensais n'y rester
que quelques jours.

J'y resterai 2 mois,

à partager leur quotidien,

à vivre dans une grotte,
sans électricité.

Et le retour est difficile.

Je viens d'achever un manuscrit
en un temps record.

Marie ne s'y intéresse
que modérément.

J'envoie Zone blanche
à des maisons d'édition.

Après un mois d'attente,
je commence à souffrir de migraines.

Après avoir évacué
plusieurs hypothèses,

je me rends à l'évidence :
je suis victime du mal des ondes.

Je suis devenu électrosensible.

Je renonce au téléphone portable,
au Wi-Fi.

J'isole mon appartement
d'un tissu anti-ondes.

Nous vivons ainsi
de longues semaines.

Je ne vois pas Marie qui,
doucement, s'éloigne de moi.

Puis un matin...

Allô ?

Écoutez, je vous le passe.
Il est juste...

Oui.

Ne quittez pas.

Antoine ?

C'est pour toi.
C'est important.

C'est Marcel Messager,

directeur de collection
aux éditions Des Foudres.

Il a lu Zone blanche et souhaite
me rencontrer au plus vite.

Le roman sort début septembre,
en pleine rentrée littéraire.

C'est un véritable succès.

Étrangement,
mon hyper-sensibilité s'atténue,

jusqu'à disparaître.

Je traverse une période d'ivresse.

Enfin on reconnaît
mes talents d'écrivain.

"Quand j'ai commencé à décrépir,
il est devenu comme fou.

"Il ne croyait pas à ma maladie.

"Moi, je m'étais renseigné,
comme on l'a tous fait.

"Je savais
que j'étais électrosensible.

"Mais pour lui,
c'était des conneries.

"Il me forçait à m'entraîner.
Alors je me suis enfui,

"comme un criminel. Tu vois ?

"Je me suis réfugié dans la forêt.
Tu imagines ?

"Je suis devenu un putain de SDF.

"Je vivais
dans le bois de Vincennes."

Je plonge dans une période difficile.

Je me rends compte que j'ai gâché

la seule belle histoire d'amour
de ma vie.

La vague du succès s'atténue.

Je replonge dans les oubliettes,

et l'écriture du prochain roman

semble un objectif inatteignable.

Un whisky.

Le japonais.

Et voilà. Sans glace.

T'arrives pas à dormir ?

Oscar ?

C'est pas ma faute.

C'est toi, le petit chat ?

- Salut.
- Salut.

Pourquoi tu me regardes comme ça ?

- Tu te souviens de rien ?
- Ben non.

De quoi je devrais me souvenir ?

Papa.

Salut. Désolé.

- Coucou, toi.
- Coucou.

T'as l'air en forme.

- Et toi, ça va ?
- Oui. Ça va bien.

T'as du travail ?

Heu... non.
Rien de spécial. Des piges.

Oscar est somnambule.

À tout à l'heure.

- 15 h, hein ?
- Sans faute.

- On va au cinéma ?
- Tu veux ?

C'est quoi, somnambule ?

C'est les gens
qui se lèvent la nuit...

- T'en as déjà vu ?
- Non.

Tu veux aller voir quel film ?

- Je sais pas.
- Ah ! Il y a un truc super !

Qu'est-ce que tu fais ? Je veux voir.

Attends deux secondes.

- Elle faisait l'amour ?
- Quoi ?

Elle faisait l'amour, la fille ?

Regarde.

C'était un peintre très connu.

Il faisait de beaux autoportraits.

- Tu sais ce que ça veut dire ?
- Non.

C'est comme si tu te dessinais,

comme si tu dessinais
ton propre visage.

Oui. Je peux pas trop parler.

S'il est joli, je le garderai.

Je travaille.

Je suis en train de travailler.

Oh, putain !
J'avais complètement oublié.

J'arrive.

Dites-lui que j'arrive tout de suite.

Je suis désolé.
Je ne serai pas long.

La fille le quitte, sans ménagement.

Il a donc une période
un peu difficile,

durant laquelle il se remet à boire,

sans non plus tomber
dans l'alcoolisme.

Il boit modérément,

mais souvent.

Il s'ennuie, quoi.

Il se dit qu'il a raté
l'histoire d'amour de sa vie,

qu'il aurait dû tout faire
pour la garder.

Et c'est au moment où il décide
de la recontacter

qu'intervient
un deuxième personnage :

Siméon,

que je développe, actuellement.

Ce type, il sort de nulle part,
et il rencontre Marie.

Il tombe immédiatement amoureux.

C'est foudroyant,

ce qui rend triste Victor.

Triste plutôt que jaloux.

Triste et furieux, plus exactement.

Il le suit partout.
C'est une obsession.

Le type a une petite fille.

Une espèce de petit génie,
qui comprend tout à tout,

sans être énervante.

Elle a une sorte
de sensibilité exacerbée.

Je ne raconte pas bien.

Mais si. Au contraire.

Je ne voudrais pas que vous pensiez

que ça va devenir un truc désuet
ou provocant,

une sorte de trio amoureux malsain.

C'est pas la direction
que je veux prendre.

Je comprends très bien.

Vous avez l'air de bien avancer,
non ?

Oui.

Enfin, je crois.

Je suis en train de débloquer
pas mal de noeuds.

Je veux dire,
dénouer pas mal de fils.

Je suis en train de sortir
de l'impasse.

Tant mieux. Tant mieux...

Je suis désolé, Antoine,

mais nous devons mettre un terme
à cet entretien.

J'avais un rendez-vous...

Je comprends.

Je suis désolé pour le retard.

En ce moment, j'ai la tête ailleurs.

Je voudrais savoir si...

vous pensez
qu'il serait possible d'avoir...

un petit à-valoir.

On va voir.

Une dans la chambre,
dans la cuisine et dans le salon,

comme dans Paranormal Activity.

Je commence par celle de la chambre.

Je mets en accéléré.

À mon avis,
il ne va pas se passer grand-chose.

Beau gosse, hein ?

Attends, j'accélère.

Oh, putain !

Passe à une autre caméra.

- T'as vu ce que t'as fait ?
- Non.

Non...

Je vais pas sauter ?

Mais non, tu vas pas sauter.

Sinon, tu serais pas là.

C'est ultra grave, mec.
Je vais sauter.

"Ces déambulations peuvent être
sans danger,

"comme s'asseoir sur le lit
ou nettoyer des objets,

"ou hasardeuses, comme cuisiner,
conduire, violer, causer un homicide.

"En 2004, des experts australiens
ont soigné une femme

"qui, endormie, avait des relations
sexuelles avec des étrangers."

Oh, putain !

"En 2008, il a été rapporté

"qu'une femme envoyait des courriels
insensés lorsqu'elle dormait."

À plus tard.

Oh, putain !

Sarah aimait surtout
rentrer chez elle

en traversant le cimetière
du Père-Lachaise avec son père,

ce qui ne déplaisait pas à Siméon.

C'était pour lui une façon ludique
et intelligente

de lui faire connaître
les grands hommes.

Il pensait à ces talents
enterrés ensemble,

6 pieds sous terre,

à cette communauté qu'ils fondaient,
malgré eux.

La mère de leur enfant s'y opposait
farouchement.

"On ne va pas avec une petite fille
de 6 ans dans un cimetière",

l'avait-elle sermonné ce jour

où il avait eu le malencontreux
réflexe de lui dire la vérité.

Le mensonge,

c'était le principal défaut
de Siméon.

Son second plus grand défaut,

que certains de ses amis
considéraient comme une qualité,

était sa détermination.

Siméon était un être
profondément déterminé.

"Têtu",

préférait dire la mère de son enfant.

Vous êtes détective ?

Ouais.

Je m'en doutais.

Vous êtes en filature ?

Exact.

Génial.

Il s'agit de quel genre d'enquête ?

J'enquête sur une disparition.

Un meurtre ?

Génial.

- Merde !
- Quoi ?

Elle se barre.

- Vous êtes garé loin ?
- Juste en face.

Je dois réquisitionner
votre véhicule.

- Vite.
- Je vous emmène. J'ai 2 casques.

Elle fuit ?

Tenez.

- Merci pour votre coopération.
- De rien.

Bonne chance.
Faites attention à vous.

Le TGV 621 va partir.

Veuillez monter, s'il vous plaît,
et ne pas gêner la fermeture...

Qu'est-ce que tu veux ?

Elle est pas partie ?

Qui ?

La fille.

Quelle fille ?

J'ai transporté votre collègue
en scooter jusqu'à la gare.

Quel collègue ?

Vous n'êtes pas détective ?

Si.

Comment tu sais ?

C'est quoi,
cette histoire de collègue ?

Ben... quoi ?
C'était pas un flic ?

Bon...

Tu vas tout me raconter
depuis le début.

Tout à l'heure, je rentre et je vois
un type assis, comme vous...

Après Lorient,
Marie a pris un taxi.

Elle s'est arrêtée à l'embarcadère
direction l'île de Groix.

"Qui voit Groix voit sa joie",
paraît-il.

J'avais fait le plus long du chemin
et je voulais bien un peu de joie.

Alors j'ai embarqué moi aussi,

sans savoir jusqu'où
cette expédition allait me mener.

Bonjour.

Il vous reste des chambres ?

Vous voulez dormir ici ?

C'est bien un hôtel ?

Oui, bien sûr.

Ce sera la 8.

À l'étage.

- Merci.
- L'escalier est juste là.

- Oscar ?
- Tu fais quoi ? Je t'attends.

Tu vas pas me croire.

T'as trouvé du travail ?

Non, non.

Je suis plus à Paris.
Je suis à l'île de Groix.

L'île de quoi ?

J'ai suivi la fille du portefeuille.

Comment ?

J'ai suivi Marie.

Je la prends.

Voilà votre jolie maison.

Il y a des produits du terroir,
pour vous souhaiter la bienvenue.

Normalement,
vous avez tout ce qu'il vous faut.

Un repas pour ce soir
et un autre pour le petit déjeuner.

Mais je dois pas voir Cosmo ?

On vous a pas prévenue ?

Prévenue de quoi ?

Cosmo ne préférerait pas vous voir
avant demain matin.

Il veut garder la magie
de votre rencontre pour demain.

Bon. Je vais vous laisser.

Vous avez mon portable.

Appelez-moi si vous avez besoin
de quoi que ce soit.

On est un peu plus loin,
dans le manoir.

Je viendrai vous chercher demain,
à 5 h 30.

À "5 h 30" ?

C'est tôt, mais c'est
pour capter le moment magique.

Allez, bonne soirée.

Bonne soirée.

Je suis née le 1er jour de l'hiver.

Mes parents vivent dans un village
du Béarn, dans les Pyrénées.

Ils cultivent la terre
de nos ancêtres.

Enfin,

mon père cultive la terre
des ancêtres de ma mère.

Peu après ma naissance,

le curé supplie mes parents
de me transformer en Enfant Jésus

pour la crèche
qu'il veut offrir à ses paroissiens.

Ce serait beau.

Il n'y avait pas de petit garçon ?

C'est comme ça
que je change de sexe

et obtiens mon 1er grand rôle
devant une assistance émue.

À 7 ans, je suis bouleversée
par la mort de Gédéon,

un canard blanc gagné
lors d'une fête au village voisin.

Je décrète, sur-le-champ,
que toute ma vie

je serai profondément et férocement
opposée au concept de mort.

À 10 ans, je me demande
si je suis la fille de mes parents

et la soeur de ma soeur.

À 17 ans, je décide de quitter
le cocon familial

avant de risquer, malgré
ma détestation du concept de mort,

d'assassiner mon père.

Je pars à Bordeaux, avec Léonard,

que je fréquente
depuis quelques mois.

Toujours aussi mignonne, toi.

Et toi, t'es un épagneul ?

Un épagneul souriant.

Petite souris, coucou.

Souris, la souris.

À Bordeaux, je découvre les bonheurs
de la vie citadine.

J'aime danser, boire,

l'amour physique
et les drogues chimiques.

- Ça va ?
- Oui. Ça va.

Oui. Ça va. Ça va.

Pardon.

Super, la soirée.

Oui. C'est super. Trop bien.

Bon anniversaire, Marie.

Comment tu connais mon nom ?

On s'est déjà vus ?

Tiens.

Ouvre.

C'est mon cadeau pour toi.

Une petite pastille.

Tu t'en vas ?

À partir de ce moment-là,

je suis devenue la fille bizarre
que je suis aujourd'hui.

C'est à la suite de cette nuit

que j'ai commencé à éprouver
cette impression que, parfois,

la vie s'arrêtait brutalement,
durant quelques secondes,

ou que, du moins,
je m'en absentais.

Je décide alors de changer de vie
et de ville,

abandonne mes études de droit,

quitte Bordeaux, Léonard,
et m'installe à Paris.

Les loyers sont hors de prix
et je réponds à une annonce.

C'est là que Suzanne
intervient dans ma vie.

Vous êtes très jolie.

On a dû vous le dire souvent.

Pas tant que ça.

Le monde est cruel

et rempli d'aveugles.

Vous savez,

je ne sors plus guère.
J'ai tout ce qu'il faut, ici.

J'ai mes souvenirs,

mes livres, mes tableaux.

Qu'est-ce que j'irais faire dehors ?

Vous pouvez vous installer
quand vous voulez.

Enfin, si la chambre vous plaît.

Vraiment ?

Vous vivez comme bon vous semble,

vous faites ce que vous avez à faire.

J'ai juste besoin de savoir
que vous n'êtes pas très loin de moi.

Suzanne a été comédienne, bergère,
institutrice, photographe,

femme de ménage dans un hôtel,

modèle pour un peintre américain,

a eu 3 maris
mais n'a jamais voulu d'enfant.

Il était jeune, encore...

Elle me parle des gens
qu'elle a aimés et qui ne sont plus.

De la fatigue, aussi.

De ce sentiment
d'avoir vécu suffisamment.

Après un certain temps,

il y a comme une injustice
à être toujours de ce monde.

Tu ne trouves pas ?

Oui. Peut-être.

Je mens.

Je ne comprends pas qu'on puisse
penser à sa propre mort.

Tu sais, Suzanne ?

T'es ma première amie fille.

Ma première vraie copine.

Suzanne me présente
son ami Balthazar,

un grand photographe de mode.

Je fais quelques photos et m'inscris
dans une agence de modèles.

Les propositions s'enchaînent,

jusqu'au jour où j'accepte de jouer
dans une pub pour un parfum.

Je me retrouve à moitié nue,

en train d'embrasser un type
qui ressemble à un cyborg.

Coupez.

Je choisis de renoncer à gagner
ma vie de cette manière.

Je me mets au baby-sitting.

Les bébés sont, pour moi,
des êtres étranges.

Ils ont l'air de souffrir
perpétuellement.

T'as pas demandé à venir, hein ?

T'es déçu ?

Et puis, une nuit...

Suzanne, ça va ?

Suzanne ?

Suzanne est incinérée au cimetière
du Père-Lachaise.

Pourquoi elle est triste ?

Je quitte la cérémonie seule.
Je ne connais personne.

Je me dis que...

Suzanne aura été un mystère
dans ma vie,

qu'elle sera passée comme une ombre.

Je me dis...

que le sens de tout ça, c'était
que je sois là lors de sa mort

et qu'elle avait prémédité ça.

Je lui en veux.

Puis je lui pardonne.

Je vis à l'hôtel
en attendant de trouver mieux.

J'ai besoin d'argent,

alors je me résous
à redevenir modèle.

En attendant les propositions,

je dors la journée,

et le soir, je marche en essayant
d'imaginer comment rebondir.

C'est à cette époque
que je rencontre Antoine.

Antoine était un être beau.

Beau et triste.

C'est ce qu'on lisait immédiatement
sur son visage.

- Bonsoir.
- Bonsoir.

Il est tard. On se connaît pas.

Mais je peux entrer ?

Il faudrait m'en dire un peu plus.

Je fais pas entrer des inconnus
chez moi après minuit.

Il est 23 h 45.

Ça n'a pas d'importance.
Il faut que je vous en dise plus.

C'est au sujet de votre ami.
C'est important.

Vous n'auriez pas un alcool fort ?
Un whisky ?

- Whisky japonais.
- "Japonais" ?

Japonais.

- J'ai du whisky d'Irlande.
- Ça ira quand même.

Installez-vous.
Faites comme chez vous.

C'est quoi, cette caméra ?

C'est pour me filmer la nuit.

Je suis somnambule.

C'est récent. Je m'enregistre.

- Je peux voir ?
- Quoi ?

Ce que vous avez filmé.

Non. C'est personnel.

C'est dommage.

Désolé. J'ai pas de glaçons.

C'est pas grave.

C'est vous qui avez appelé ici,
plusieurs fois ?

Je m'en doutais.

Vous voulez me dire quoi,
sur Siméon ?

- Dites-moi où il est.
- Pourquoi ?

- Je veux lui parler.
- De quoi ?

C'est personnel.

- Pourquoi je vous dirais ?
- Vous savez où il est ?

Peut-être.

Il est où ?

Servez-vous.

Des grands verres, ça.

Bon...

Je vais vous dire la vérité.

Je suis l'ancien ami de Marie,

la fille dont votre ami Siméon
a trouvé le portefeuille.

On s'est séparés récemment.

J'ai toutes les raisons de croire
qu'il l'a suivie.

Je sais qu'elle a pris un train,
mais j'ignore la destination.

Alors je voudrais savoir,

1. Où ils ont été.

2. Quelles sont les intentions
de Siméon.

3. Je voudrais voir ces images
de somnambulisme.

Vous êtes un type...

très...

Enfin, un type très bizarre.

Vous n'êtes pas immédiatement
sympathique,

mais vous avez une forme
de persévérance qui vous rend...

attachant.

Je dois vous préciser, aussi,
un élément important.

Si j'ai fait cette démarche de venir,
c'est parce que votre ami...

est en danger.

C'est-à-dire ?

Marie est dangereuse.

"Dangereuse" ? Mais...

Dangereuse comment ?

Dangereuse.

Qu'est-ce que vous faites ?

J'ai décidé
de vous montrer les images.

C'était hier.

Depuis, j'ai peur de m'endormir.

Alors je bois du café
pour rester éveillé.

C'est fascinant.

Vous trouvez ?

Quand j'étais adolescent,

j'ai écrit une nouvelle
qui s'appelait L'Amour somnambule.

Ça racontait quoi ?

L'histoire d'un type et d'une fille,

somnambules, tous les deux.

Ils s'aiment la nuit
mais s'ignorent le jour.

- Et ça finit comment ?
- Mal.

Très mal.

Une nuit, le couple somnambule
quitte le village où il habite,

pour vivre leur amour loin.

Ils marchent sur la voie ferrée,

qui est pour eux le symbole
de leur liberté.

Ils sont ensemble,
main dans la main.

Le train avance vers eux,

mais eux ne l'entendent pas.

Ils continuent d'avancer.

Le train approche,

approche...

et pan !

Ils sont happés par le train
et meurent dans leur sommeil.

Bon...

Je veux bien vous dire
où est Siméon.

Mais à une seule condition.

Je vous écoute.

Je vous accompagne.

Marché conclu.

Ne prévenez pas Siméon
de notre arrivée.

Pourquoi ?

Ce serait dangereux.

Promis ?

Promis.

À demain.

8 h. Gare Montparnasse.

Tu vas sur la plage
des Grands Sables ?

Tu me le conseilles ?

Tu peux pas venir à Groix
sans y aller.

Elle est convexe.

"Convexe" ?

C'est la seule plage convexe
d'Europe.

Au lieu d'être comme ça,
elle est comme ça.

Et elle se déplace.

Il y a 10 ans, elle était en face
du village vacances.

Là, elle est de l'autre côté
du phare rouge.

Donc le village vacances se retrouve
avec des rochers et pas de plage.

- C'est marrant.
- C'est vrai ?

Et il y a le Trou de l'enfer.

- "Le Trou de l'enfer" ?
- Ouais.

OK.

J'y vais demain.

Mon arrière-grand-père
faisait partie, déjà,

de la première société de sauvetage.

- Tu en as entendu parler ?
- Non.

À l'époque, à Groix,

il y avait beaucoup de bateaux
qui faisaient naufrage.

- C'était l'île aux naufragés.
- "L'île aux naufragés" ?

T'es là pour quoi, toi ?

- J'ai suivi une fille.
- T'as suivi une fille ?

Que veux-tu à cette fille ?

Qu'est-ce qu'elle est allée faire
à Lorient ?

C'est pas Lorient.

C'est où, alors ?

C'est Groix.

Putain, c'est une île.

Il faut prendre un bateau.

Oui.
C'est un peu le principe d'une île.

J'ai pas pris le bateau
depuis mes 6 ans.

Je suis hyper angoissé
à l'idée de monter sur un bateau.

Je vais dormir un petit peu.

J'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

Quand ma femme m'a quitté,
j'ai failli faire des bêtises, aussi.

Pardon ?

J'ai regardé mon fils, il m'a souri.

Je me suis dit : "Que penserait-il,
si tu le laissais ?"

Vous avez des enfants ?

Non.

J'en ai jamais voulu.

Qu'est-ce qu'ils auraient fait
d'un père comme moi ?

Franchement,
ils n'ont rien loupé.

Le prochain bateau
part dans 15 minutes.

Tu penses souvent à la mort ?

Non.

Je veux dire...

pas forcément à ta propre mort,

mais à l'idée de la donner,

de tuer quelqu'un.

T'en as pris combien ?

Coupez. C'est bon.
On a ce qu'il faut.

Assieds-toi là.

Tu vois,

ce clip et cette chanson
représentent ma scène primitive,

le moment fondateur.

Ça s'est passé ici, sur cette plage,

la seule plage convexe d'Europe.

Elle est comme ça. Tu vois ?

C'est bizarre, non ?

Oui.

Qu'est-ce qui t'est arrivé, alors ?

Attends. J'y viens.

C'était au milieu de l'été 2013.

Je venais de finir une tournée.

J'avais décidé de faire une pause.

Je prends jamais de vacances.
J'aime pas ça.

Pour moi, les vacances,
c'était comme mourir.

Mais là, mon corps m'avait alerté.

J'ai une règle :

quand ton corps te parle,
il faut l'écouter.

Alors je suis venu sur cette île.

Nowell, ma compagne,
avait une maison de famille ici.

J'étais jamais venu. Je savais
même pas que ça existait.

On était arrivés la veille,
on avait mangé et picolé, aussi.

C'était une belle journée.

Nowell m'a emmené sur cette plage,
et là, tout de suite,

j'ai ressenti des vibrations
étranges.

J'étais bien.
Il y avait pas grand monde.

On a sorti nos serviettes,

on s'est allongés sur le sable...

J'avais jamais fait ça.

J'ai commencé à sentir mon corps
s'engourdir. C'était bizarre.

Bizarre mais pas désagréable.
Au contraire.

C'est à ce moment-là
que j'en suis sorti.

Que t'es sorti de quoi ?

De mon corps.
Je faisais 2 avec lui.

Je le voyais là, allongé
sur cette plage, à côté de Nowell,

mais j'étais sorti
de cette enveloppe charnelle.

Je me regardais comme un étranger.

C'est alors que je me suis retourné
vers la mer et que je t'ai vue.

Comment ça, tu m'as vue ?

J'ai vu la fille de l'eau
dans une lumière irréelle.

Et quand j'ai voulu faire ce clip,

j'ai cherché des visages
de comédiennes qui lui ressemblaient.

Alors quand je suis tombé
sur la pub du parfum,

j'ai halluciné.

- Tu sais, la pub où tu...
- Oui, oui, ça va. Je vois.

Encore maintenant,
quand je te regarde, je suis troublé.

Il faut que je fasse disparaître
ta copine.

Elle t'aime pas toi.

Elle aime ta célébrité.

Tu l'aimes pas non plus.

Pas véritablement.

T'aimes coucher avec elle,
mais c'est tout.

- Qu'est-ce que tu fais ?
- Ta gueule. Je me concentre.

Elle est où, putain ?

Maintenant, je vais t'habiller,

pour que tu sois
un peu moins beauf.

"Beauf" ?

Mais c'est quoi, ce délire ?

C'est mieux !

Bon... Vas-y. Fais comme moi.

Vas-y ! Fais comme moi.

Alors j'ai fait ce que la fille
de l'eau m'a demandé.

J'ai levé les bras

et c'est comme si je renaissais.

Comme si je devenais quelqu'un
d'autre. Et c'est la réalité.

Je suis devenu quelqu'un d'autre.

À partir de maintenant,

tu t'appelleras Cosmo.

"Cosmo" ?

Oui. Cosmo.

Comme le cosmos, mais sans "s".

Ensuite,

tu vas arrêter de faire cette musique
pleine de cynisme,

qui te ressemble pas du tout.

Tu te mettras
à la musique électronique.

Mais j'y connais rien.

Mais tu apprendras.
T'es pas plus con qu'un autre.

En plus, t'es un vrai musicien.

Mais tu n'oses pas.

Mets des claviers.

- "Des claviers" ?
- Oui.

Des claviers, des boîtes à rythme
et un bon beat.

Et tu dois écrire des paroles
abstraites,

que toi seul tu comprendras.

Elles susciteront des images

qui n'appartiendront qu'à toi,

qui seront bouleversantes.

Tu reviendras ici tourner
le clip de ton premier single,

de ton premier album...

de ta nouvelle carrière.

Tu raconteras
ce qu'on a vécu aujourd'hui.

Puis t'as disparu

et je me suis retrouvé seul,

debout, comme un con sur la plage.

Voilà comment ça s'est passé.

Mais qu'est-ce que...?

Mais... Je comprends pas. Comment...?

Vous m'avez suivie.

- Vous vous connaissez ?
- Non.

- Vous êtes...
- Cosmo.

Je vous avais pas reconnu.

Siméon.

- Cosmo ?
- Ouais ?

Il faut vous abriter.
Ça va tomber.

Allez, venez.

C'est bien, ça.

Allez, asseyez-vous.

Tequila, rhum...

vodka...

Vous vous servirez.
Vous êtes grands.

Ne jamais oublier d'où on vient,

qui on a été.

Je regarde cette photo chaque matin.

Bon, je me sers une petite vodka.

- Je te sers aussi ?
- Oui. Merci.

Ça va pour moi.

Allez-y, parlez.

Vous devez avoir plein de choses
à vous dire. Oubliez qu'on est là.

Je vais essayer de vous expliquer.

Je suis retourné dans le bar
dans lequel on s'est rencontrés.

J'ai attendu que vous sortiez.

Je voulais vous parler.

Qu'est-ce que tu fous, là ?
T'es où ?

Ah, celui-là...

Le taxi est arrivé
et ça m'a coupé l'herbe sous le pied.

Ça, je comprends très bien.

Allez-y. Je t'écoute.

Après,
je vous ai suivie à la gare,

je suis monté dans le train,

puis sur le bateau.

C'est très factuel, tout ça.

Tu devrais lui dire ce que tu ressens
maintenant, au fond de toi.

On n'a qu'une vie.

Il ne faut pas rater des moments
comme ça.

Par exemple, moi,

si j'avais pas saisi l'opportunité
de cette rencontre sur la plage,

avec Marie,

enfin, la fille de l'eau,

je serais devenu un type malheureux,

un être artificiel,
un musicien sans âme,

un type préoccupé
par sa propre image.

Il y a un proverbe chinois qui dit :

"On ne peut pas marcher
et regarder les étoiles

"si on a une pierre
dans son soulier."

Ben moi, tu vois,

j'avais un gros caillou
dans mon soulier

avant de rencontrer
la fille de l'eau.

Cosmo, je crois
que tu as eu une insolation,

une très forte insolation
qui t'a fait halluciner.

Tu penses pas ce que tu dis.

Il s'est arrêté de pleuvoir.
Je vais rentrer me changer.

Vous voulez pas
qu'on vous démaquille ?

Non. Ça ira.

- Vous m'accompagnez ?
- Oui.

Attendez. Il y a une fête
de fin de tournage, ce soir.

Il y aura toute l'île.
Tu as distribué les flyers ?

J'y suis allé pendant la pause.

Vous viendrez ? Je compte sur vous.

Ouais.

À tout à l'heure.

C'est moi.

Ce que je vais te dire est bizarre.
J'aurais dû te prévenir plus tôt.

Mais tout a été très vite.
Alors ne m'engueule pas.

Voilà.

Je suis sur un bateau,

en direction de l'île, avec l'ex-ami
de la fille que tu as suivie.

Je te raconterai tout plus tard.

Apparemment, la fille est dangereuse,

et le type...

Il faut que je te laisse.

- Oh, putain !
- Ça va ?

- Ça bouge.
- Il faut que tu prennes l'air.

Ça va pas du tout.

Contrarie pas la mer.

Épouse le mouvement de la vague
comme une bouteille qui flotte.

Regarde.

Elle est juste là, l'île.

Ça y est. On y est.

Je trouvais pas ça idiot,
ce qu'a dit Cosmo.

Qu'est-ce qu'il a dit ?

Il a dit...

qu'on n'a qu'une vie.

Il a parlé des étoiles
et du caillou dans son soulier.

J'ai pas trouvé ça fulgurant,
comme exemple.

Marie ?

Oui ?

Ça y est. Je m'en souviens.

- De quoi ?
- La 1re fois que je t'ai vue.

C'était au Père-Lachaise.
J'étais avec ma fille.

Elle m'a demandé
pourquoi tu étais triste.

Merci de m'avoir rendu
mon portefeuille.

De rien.

Tu peux m'aider pour...?

Regarde.

Regarde comme c'est beau.

C'est beau.

J'ai angoissé.

J'ai été ridicule. Je suis désolé.

Regarde.

Il est pas mal, cet hôtel.

On est obligés de dormir là.
Il y a pas de ferry avant demain.

Allons-y.

- Bonjour.
- Bonjour.

Bonjour.

On voudrait 2 chambres.

- Quoi ?
- Deux chambres.

Merci.

C'est à l'étage. L'escalier est là.

D'accord. Merci.

On se retrouve, le temps
que je reprenne mes esprits.

Tu fais rien sans moi.

Je peux te faire confiance ?

- Promis ?
- Promis.

- C'est une fête ?
- Oui.

La traversée avait été difficile.

Victor avait dû combattre ses démons
pour parvenir jusqu'à l'île.

Siméon et Marie
étaient arrivés la veille,

chacun de leur côté.

Victor ignorait
s'ils s'étaient déjà retrouvés.

Il ignorait aussi
les intentions de Siméon.

Il ignorait
jusqu'à ses propres intentions.

Pourquoi était-il venu
sur cette île ?

Quelle serait l'issue de ce voyage ?

Il se sentait capable du pire.

Il sentait remonter en lui
ses plus inquiétantes pulsions.

Pour l'heure, il se reposait
dans la chambre de La Jetée,

en essayant de repousser les images
qui parasitaient son esprit.

Il en profitait pour repenser
à ce film intitulé La Jetée,

qu'il avait fait découvrir à Marie.

Victor se souvenait de la voix off
qui commençait ainsi :

"Ceci est l'histoire d'un homme
marqué par une image d'enfance."

Mais aussitôt, les images parasites
revenaient le hanter.

Aujourd'hui, à 15 h 53.

Oui. C'est moi.

Ça va te paraître bizarre.
J'aurais dû te le dire plus tôt.

Mais tout a été très vite
et j'ai promis de rien dire.

Aujourd'hui, à 17 h 04.

Pourquoi tu décroches pas ?

On vient d'arriver sur l'île.

On a pris 2 chambres à l'hôtel...

- Comment c'est, l'hôtel ?
- L'hôtel de La Jetée.

L'hôtel de La Jetée.
C'est super sympa.

Rappelle-moi le plus vite possible.
Je ne sais plus trop quoi faire.

Surtout que le type
avec qui je suis venu,

disons qu'il est un peu fragile.

Bon, rappelle-moi. Oscar.

Fin des nouveaux messages.
Pour écouter vos messages...

- Tu réponds pas ?
- Non.

- Tu écris ?
- Oui.

Bon...

On fait quoi, maintenant ?

Il faut que je retrouve Marie.

Apparemment, Siméon est arrivé ici
hier soir et a pris une chambre.

Sinon,
il y a une fête dans un manoir.

Ils célèbrent la fin
du tournage d'un clip.

J'irais bien faire un tour.

T'es un génie, Oscar.

Attends-moi.

- C'est par là ?
- Oui. C'est tout droit.

Pourquoi tu veux aller au manoir ?

Marie y est certainement.

Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Quand on était ensemble,
elle faisait des tournages.

Il me semblait bien
que je l'avais déjà vue.

C'est Siméon !

- Merde !
- Oscar ?

- Vous faites quoi ?
- Tu fais quoi ?

- Vous allez me tirer dessus ?
- Levez les mains.

Vous ne voulez pas discuter ?

J'étais venu vers vous pour ça.

Vous voulez parler de quoi ?

Franchement, je vois pas de quoi
nous pourrions parler.

La situation et le décor
sont intéressants.

La lumière, le vent...

On est trois sur cette île.

Marie, dans les environs...

Pourquoi tu l'as suivie ?

Selon vous, elle était dangereuse.

Et alors ?

Tu vas vers le danger, tête baissée,
sans te poser de questions.

Ben si. Je me suis dit :
"C'est quoi, une fille dangereuse ?"

Ça m'a intrigué.
J'ai eu envie d'aller voir.

Ça se défend.

Oscar.

- Que se passe-t-il ?
- Je te raconterai.

La salle de bains est à l'étage.

Antoine ?

C'est pas vrai.

- Qui c'est, lui ?
- C'est Oscar.

Mon coloc.

Un pistolet d'alarme, je savais pas
qu'un truc aussi con existait.

Quelle idée de te jeter sur moi.

Comme si j'allais tuer
ton meilleur ami.

Antoine ?
T'es vraiment un type bizarre.

Tu m'as pas dit.

- T'es amoureux de Marie ?
- Hou là là...

Je suis tombé amoureux de toi
dès qu'on s'est vus à l'arrêt de bus.

Vous avez couché ensemble ?

Peut-être...

que vous devriez avoir
une discussion.

On devrait aller fumer, Oscar.

Mais, Siméon, je ne fume plus.

Viens.

Oscar.

J'étais devenu con,
avec mon hyper-électrosensibilité,

la sortie de mon livre.

Il y a un truc
que je voulais te dire.

Je comprends que tu m'aies quitté.

J'aurais fait la même chose.

Je me serais quitté.

Je me serais même quitté avant.

Mais tu crois pas
que le plus important,

c'est qu'on se soit connus ?

On aurait pu passer l'un à côté
de l'autre sans jamais se rencontrer.

Si j'avais pas été attendre le bus,
par exemple.

Ça va ?

Tu pleures ?

C'est de la lacrymo, je pense.

T'as changé, Marie.

T'es plus calme.

C'est à cause de ce type ?

Peut-être.

Tu sais qu'il amène sa fille,
qui est toute petite,

dans les cimetières ?

Oui, je sais.

Et il lui fait voir
des films érotiques.

Enfin, coréens, quoi.

T'as recommencé à écrire ?

Oui.

Et alors ? Ça raconte quoi ?

Je préfère garder ça secret,
pour l'instant.

Il y a une plage convexe
qui se déplace.

C'est quoi, ces conneries ?

C'est pas des conneries.

En parlant de déplacements bizarres,

t'es toujours somnambule ?

J'ai pas dormi depuis hier.
Donc je ne sais pas.

Par contre, j'ai eu une conversation
avec moi-même.

Ah oui ?

Au moment où je discutais
avec moi-même, je me suis dit :

"Oscar, c'est étrange

"que ces histoires de somnambulisme
arrivent

"au moment
où tu termines le morceau."

Ça m'a donné l'impulsion de terminer
et ça m'a aussi donné une idée.

Regarde.

J'ai mis ça sur YouTube.

5 000 vues depuis que je l'ai postée.

C'est génial !

Bravo, Oscar.

T'as réussi à faire un tube
à la fois triste et dansant.

C'est quoi, ce truc ?

On dirait un mélange entre
ce chanteur bizarre et Raël.

- Bonsoir, Cosmo.
- Alors, mon ami Siméon ?

Il faut venir vous chercher ?

Je vous présente Oscar,
mon meilleur ami,

qui est aussi musicien.

Enchanté, Oscar.

Enchanté, Cosmo.

Superbe.

Incroyablement dément.

Vas-y.

Mets ta musique pour eux.

- Vas-y.
- Vraiment ?

Non.
Je vais pas mettre ma musique.

Ose, ose !

C'est bon !

À toi.

Marie ? Siméon ?

Rejoignez-nous.

Allez.

Marie.

Siméon.

Antoine.

Marie.

Quoi ?

Je vais rester sur l'île
pour terminer le roman.

T'es sûr ?

Oui.

J'ai trouvé le titre.

Ça s'appellera comment ?

Ça s'appellera
Marie et les Naufragés.

Le lendemain matin,

ils marchèrent ensemble
sur la plage des Grands Sables...

et s'approchèrent
du Trou de l'enfer.

Une pensée démoniaque
traversa l'esprit de Victor.

Puis Marie et Siméon
quittèrent l'île,

laissant Victor,
seul, avec son histoire.

Qu'est-ce qui se passe, après ?

Adaptation : Aude Salmon
pour Eclair Media